vendredi 12 juin 2020

Que change le port du masque dans la relation soignant-soigné ?

Au cours de ces dernières semaines, le recours systématique au port du masque par les professionnels de santé a bouleversé la relation soignant-soigné. Quels changements sont à l’œuvre ? Quelles réactions le port du masque par les soignants suscite-t-il chez les patients ? Comment les soignants accompagnent-ils leurs patients dans cette période anxiogène ? Comment parviennent-ils à leur manifester leur empathie et leur soutien en dépit du masque qu’ils portent ? Existe-t-il des situations plus préoccupantes où le soin est empêché – ou tout au moins rendu plus délicat – par le port du masque ? Les premiers résultats d’une enquête sociologique donnent quelques éclairages sur ces questions.

Avec des collègues des universités de Toulouse, de Nice et de l’École des mines de Paris, je participe actuellement à une enquête sociologique baptisée « Maskovid » portant sur l’usage des masques lors de la pandémie. Cette enquête comprend un volet dédié au recueil de témoignages des personnels soignants. Les récits ainsi obtenus sont très précieux : ils donnent à voir de l’intérieur la façon dont les professionnels de santé (médicaux et paramédicaux) s’organisent, se mobilisent, se réinventent dans une situation de pénurie au cours de laquelle les ressources matérielles et humaines indispensables à la bonne administration des soins manquent cruellement. À ce jour, ce sont près de 300 témoignages qui ont été recueillis et qui feront l’objet d’un traitement approfondi dans les mois à venir. Avant que l’enquête livre toutes ses conclusions, nous souhaitons ici rendre compte de premiers résultats tirés de la lecture attentive des 120 premiers témoignages recueillis entre le 5 et le 21 avril 2020. C’est une façon pour nous de remercier ceux qui ont pris le temps de nous répondre et/ou qui ont prêté leur concours à la diffusion de notre appel à témoignage ; c’est également l’occasion de renouveler notre invitation à renseigner cet appel et à prendre ainsi part à une recherche participative et ouverte visant une meilleure compréhension de l’épreuve collective que nous traversons.

Commençons par rappeler que le port du masque a de tout temps fait partie de la vie des personnels soignants. Dans le cadre de leur formation et de l’exercice de leur pratique, ce geste de protection est exécuté à maintes reprises : il fait donc partie des routines professionnelles les plus élémentaires. S’il s’agit d’un équipement familier pour les professionnels de santé, il l’est beaucoup moins pour la population des soignés qui découvrent, ces dernières semaines, l’existence de différents types de masques et prennent lentement conscience des mesures d’hygiène particulièrement strictes associées à leur usage. Objet familier pour les uns, découverte pour les autres, le masque se place au cœur de la relation soignant-soigné durant l’épidémie en cours. Il est un nouvel élément à domestiquer pour les patients, un dispositif à intégrer durablement dans une routine de soin qui ne peut désormais plus en faire l’économie.

Le masque : un symbole à démystifier

Les soignants nous rapportent l’existence de deux temps dans l’appréhension du masque par les patients. Un premier temps, celui de la dernière quinzaine de mars, où la sidération domine et donne lieu à de nombreuses interrogations, à l’expression de sourdes inquiétudes chez les patients. Il faut dire que le masque est l’objet-symbole de l’exception sanitaire, de la dangerosité imminente, d’une circulation libre du virus sur l’ensemble du territoire. Il amène donc le patient à s’interroger à la fois sur son propre état (sa fragilité, son appartenance ou non à une population plus particulièrement à risque) mais également sur celui de la personne qui le soigne (le soignant a-t-il été exposé au Covid 19 ? Est-il vecteur de la maladie ?). De nombreux répondants indiquent que, dans un premier temps, il leur a fallu allouer un temps conséquent à la nécessaire explication des modes de transmission du virus, à la description des gestes barrières, à la présentation des raisons qui les amènent à se munir de masques et autres équipements de protection. Ainsi, Clémentine, médecin généraliste de 31 ans, confie : « Au début, le port du masque a créé la surprise chez mes patients, il fallait presque s’en excuser et expliquer à chacun : “Non, je ne suis pas malade, c’est pour vous protéger aussi, je ne veux pas devenir une source de contamination pour mes patients.” » Dans la suite de son témoignage, elle indique qu’avec le confinement « les patients s’y sont habitués » et que le temps nécessaire à l’éducation à la maladie a progressivement diminué. Même constat rapporté par Mathilde, infirmière de 35 ans effectuant des visites à domicile, qui indique, qu’en début d’épidémie, beaucoup des patients pensaient qu’elle « [faisait] du zèle », notamment les personnes âgées. Une part non négligeable de son temps de visite a donc été réaffecté à l’« éducation permanente et répétée des consignes de distanciation » et aux bonnes pratiques d’usage du masque et des gants.

(...)

Article intégral en ligne : https://www.scienceshumaines.com

lundi 8 juin 2020

Confinement : à la recherche des enfants perdus de l’école

L’Éducation nationale aurait perdu le contact avec 5 à 8 % des élèves depuis le début du confinement. Dans les quartiers populaires, des adultes se démènent pour que les enfants ne décrochent pas. Enseignante, directrice, parent d’élève : La Croix L’Hebdo vous propose trois récits de combat de ces héros ordinaires. Pour que pas un élève ne manque.


Anna, une prof au bout du fil

La sonnerie du portable retentit. Tout en décrochant, Anna (les prénoms ont été modifiés) jette un coup d’œil à l’heure : minuit et demi.

« Madame ? »

La voix au bout du fil n’a pas plus de 12 ans…

« Madame, c’est Djibril. Je voulais vous demander si je pouvais vous expliquer la photosynthèse… Voir si j’avais bien compris…

- Djibril ? Tu as vu l’heure ? Tu devrais être couché, là… Je te propose qu’on prenne rendez-vous demain pour en parler. Ça te va ?

- Ah oui… Pardon Madame… À demain alors ! »

Confinement : à la recherche des enfants perdus de l’école

Heureusement qu’Anna a un bon forfait téléphonique. Depuis le début du confinement, son portable est en surchauffe. Professeure principale d’une classe de cinquième dans un collège de Seine-Saint-Denis classé REP + (réseau d’éducation prioritaire), c’est par le téléphone que le lien s’est maintenu avec ses élèves.

Le vendredi 13 mars, lendemain de l’annonce par Emmanuel Macron de la fermeture des établissements scolaires, elle n’a pas cours. Elle prend rapidement contact avec sa collègue professeure de français : « Tu laisses les élèves prendre les livres qu’ils veulent dans ma salle. » Depuis quelque temps, autant pour désengorger ses étagères que pour en faire profiter ses élèves, elle a en effet délocalisé une partie de sa bibliothèque personnelle au collège. Elle se doute bien que les médiathèques vont elles aussi bientôt fermer leurs portes, il est donc important que les enfants repartent avec des livres chez eux.

En REP +, elle a affaire à des élèves en grande difficulté sociale : des familles dans lesquelles le chômage fait des ravages, où il n’y a pas de travail, pas d’argent, où de grandes fratries se partagent de petits espaces. Persepolis, une monographie de Marc Chagall, un ouvrage sur les monstres… Les enfants emportent une petite dose d’évasion dans leur sac à dos.

Calmer l’angoisse des enfants

Dès le lundi, Anna se félicite d’avoir mis en place des groupes WhatsApp avec sa classe : il y en a un entre elles et ses élèves et un autre qui inclut les parents. En ce début de semaine, c’est déjà l’affolement. Les professeurs, pressés d’envoyer du travail, ont fait parvenir aux élèves des quantités colossales de devoirs. Avec en plus BFMTV qui tourne en boucle sur la télévision dans de nombreuses familles, l’anxiété est palpable au bout du fil. D’autant que certains ne sont pas équipés pour recevoir les devoirs envoyés par e-mail.

(...)

Article intégral en ligne : https://www.la-croix.com

Source : La Croix, 08/05/2020.