mercredi 31 mai 2017

Dix graphiques qui illustrent les inégalités en France

Le deuxième rapport de l’Observatoire des inégalités souligne les écarts persistants de situation dans de nombreux domaines.


Dans l’ambitieuse devise de la France « liberté, égalité, fraternité », le deuxième point tient davantage, dans les faits, de l’idéal que de la réalité, tant les écarts de situation persistent entre les citoyens. C’est ce que relève le deuxième rapport de l’Observatoire des inégalités, publié jeudi 1er juin. Cette association, qui rassemble depuis 2003 une trentaine d’experts et chercheurs, s’appuie sur des statistiques diverses (Insee, ministères…) et travaux universitaires pour dresser un état des lieux des domaines où il est « urgent d’agir » pour réduire les décalages.

Plus d’un quart des revenus pour 10 % de la population

La première des inégalités est financière et concerne les revenus. Malgré le système de redistribution (impôts et prestations sociales), les 10 % des Français les plus riches possèdent à eux seuls plus du quart des revenus, soit dix fois plus que les 10 % les plus pauvres.

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Article intégral en ligne sur le site internet du journal Le Monde, 30/05/2017 : http://www.lemonde.fr

mardi 30 mai 2017

Dix baromètres pour décrypter la France

Le rapport du Conseil économique, social et environnemental sur l’état du pays en 2017 s’appuie sur des indicateurs économiques différents du PIB.

Emploi : Les hommes frappés par la crise, les femmes par le sous-emploi

Sur une longue durée, la part des hommes de 25 ans à 49 ans occupant un emploi s’est érodée : 11 points de moins entre 1975 et 2014, alors que la part des femmes gagne 19 points. La plupart des pays industrialisés ­connaissent le même phénomène, la crise ayant frappé en priorité les ­métiers oc­cupés par les hommes, ­notamment dans l’industrie. En France, la tendance est plus accentuée. La situation des femmes est ­paradoxale : si leur participation au marché du travail s’est accrue, la qualité des emplois qu’elles occupent s’est dégradée. Le sous-emploi – temps partiel subi, par exemple – concerne 6,6 % des plus de 25 ans et touche particulièrement les femmes (9,8 % contre 3,8 % pour les hommes). Enfin, bien que le nombre de contrats à durée indéterminée reste stable, les CDD très courts, ceux d’un mois ou moins, sont en forte hausse (69 % du total des CDD) et concernent, là ­encore, en priorité les femmes.


Recherche : L’effort public régresse ; la France toujours en retard

Les dépenses de recherche et développement (R & D) plafonnent, en proportion, au même niveau depuis près de vingt-cinq ans : 2,3 % du PIB en 1990, et toujours 2,3 % en 2014. Très loin derrière le Japon et la ­Corée du Sud. L’effort public a même ­régressé, malgré une hausse des ­effectifs R & D de 1,5 %. La faiblesse des recrutements a également ­entraîné une aggravation de la précarité des chercheurs : à lui seul, le CNRS emploie 13 000 contractuels en situation de précarité. La France n’est pas à la hauteur de l’engagement européen de 3 % du PIB, pourtant prévu par le traité de Lisbonne. Dans le privé, la situation n’est pas meilleure et les effectifs ont même ­diminué de 0,8 % en 2014 par rapport à 2013.
 
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Article intégral en ligne : http://www.lemonde.fr

LE MONDE | | Par

lundi 29 mai 2017

L’investissement social peut-il redessiner un projet de société ?

Pour Julien Damon, l’investissement social permet d’affirmer que la dépense sociale a un rendement. Nathalie Morel estime que la protection sociale y acquiert une dimension plus préventive. Les deux chercheurs y voient la possibilité de choix stratégiques politiques.


Quel intérêt présente une stratégie d’investissement social ?

Julien Damon : L’idée d’investissement social consiste à dire qu’à toute charge est rattaché un produit ! À un ensemble de cotisations est attaché un ensemble de prestations. C’est un raisonnement comptable basique qu’il est judicieux de rappeler pour aller à l’encontre de fausses représentations sur la protection sociale et ses coûts.
En effet, quand on entend parler à longueur de temps de la lourdeur des charges et quand on entend rituellement répéter « ce ne sont pas des charges, ce sont des cotisations », l’idée d’investissement social permet de remettre les pendules à l’heure.
Plus stratégiquement, élaborer et soutenir une stratégie d’investissement social c’est non seulement rappeler, en termes bassement comptables, qu’à toute charge est rattaché un produit, mais c’est surtout raisonner en termes économiques. Il y a un rendement de la dépense sociale.
Dépenser aujourd’hui c’est limiter des coûts demain. Au fond, raisonner et agir en termes d’investissement social, c’est souligner que la dépense sociale a une rentabilité.

DRJulien Damon, est professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale (En3s). Il est le créateur de la société de conseil et d’étude Éclairs.

Nathalie Morel : Les transformations économiques, démographiques et sociologiques (transformation des formes familiales, participation accrue des femmes au marché du travail) de ces dernières décennies se sont traduites par l’émergence de nouveaux risques sociaux peu ou mal pris en charge par les systèmes de protection sociale mis en place dans la période d’après-guerre.
La stratégie d’investissement vise à répondre à ces nouveaux risques en modifiant leur logique d’action : à la fonction traditionnellement compensatrice doit s’ajouter une dimension plus préventive. Il ne s’agit pas d’intervenir seulement en aval, lorsque le risque est avéré, mais plutôt de prévenir en investissant dans le capital humain tout au long du cycle de vie et en offrant un accompagnement continu pour faciliter et sécuriser les transitions, tant dans les parcours biographiques que professionnels.
Dans un contexte de polarisation croissante des sociétés, en termes d’inégalités de revenus mais aussi en termes d’investissement dans le capital humain des enfants, cette stratégie permet en outre de réduire la transmission intergénérationnelle de ces inégalités, en donnant les mêmes chances à tous les enfants dès le plus jeune âge. Il s’agit ainsi de soutenir et « d’équiper » les individus, en investissant de façon précoce et continue dans l’éducation dès le plus jeune âge, dans la formation tout au long de la vie et dans la santé, de façon à renforcer les capacités de chacun dans une économie en constante mutation.

DRNathalie Morel, est politiste, docteure en sociologie de l’université Paris I. Elle codirige l’axe « Politiques sociofiscales » au LIEPP et est membre élue du bureau du Réseau de l’Association française de sociologie : protection sociale, politiques sociales et solidarités (RT6).

Quelles sont ses limites ?

JD : Les stratégies et communications autour de l’investissement social présentent deux limites. La première relève de la méthode. Il faut savoir comment mesurer le rendement des dépenses sociales. Les banquiers et les services financiers savent calculer le ROI (return on investment).
Les experts et opérateurs des politiques sociales sont appelés à s’accorder afin de calculer, de façon robuste et de manière aussi simple que possible, le SROI (social return on investment). À cet effet, il faut de la méthodologie à la fois rigoureuse, pour être sérieuse et opposable, et lisible, pour ne pas verser dans l’économétrie incompréhensible. En un mot, il faut des outils.
La deuxième limite procède des choix à faire. Tout, dans les dépenses sociales, n’est pas investissement… Comme la rhétorique est à la mode, tout le monde se prévaut de l’expression. La difficulté est de bien centrer et choisir les dépenses qui s’inscrivent vraiment dans cette logique, les dépenses en faveur des enfants, celles en faveur de la prévention et de la formation.
À défaut, le terme « investissement social » sera donné à toute activité de manière à la consolider et la légitimer en lui donnant un lustre ripoliné.
NM : L’accent qui est mis sur le potentiel productif des politiques d’investissement social peut s’avérer à double tranchant : si cela représente un argument persuasif en faveur de l’intervention sociale, les gouvernements, soucieux de faire des économies, peuvent s’en servir pour couper dans les dépenses sociales « non productives » ou « passives » (indemnisation chômage, retraites…) au profit des dépenses « actives », quand bien même il existe une complémentarité institutionnelle importante entre les deux.
L’enjeu réside notamment dans l’identification des complémentarités institutionnelles tout au long du cycle de vie permettant un redéploiement efficace des politiques sociales.

Comment financer des politiques d’investissement social ?

JD : La question de la capacité à financer spécifiquement des politiques d’investissement social est secondaire derrière ce qui est essentiel : faire des choix sur des priorités et donc sur des instruments. De fait, faire de l’investissement social une véritable stratégie c’est faire des efforts après avoir fait des choix.

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Article intégral à retrouver en ligne dans le dossier Protection sociale : l’action sociale réduite à un marché ? de la revue Gazette Santé Social : http://www.gazette-sante-social.fr

dimanche 28 mai 2017

A quoi sert l’Organisation mondiale de la santé ?

Généralement, on entend parler de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans deux cas de figure : lorsque les journalistes donnent des informations sur la santé dans le monde et lorsque l’organisation onusienne se choisit un nouveau chef. C’était le cas, mardi 23 mai : l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus a été élu directeur général de l’OMS. Il remplace la Chinoise Margaret Chan et devient ainsi le premier ressortissant du continent africain à prendre la tête de cette agence. Mais à quoi sert-elle ? Explication en trois minutes.

Le Monde, 24/05/2017.


samedi 27 mai 2017

Droit de la robotique : « le robot demeure juridiquement un objet qui n’est pas responsable de ses actes »

Les robots et l’intelligence artificielle font beaucoup parler d’eux sur les questions de l’emploi, les services et la fiscalité. Mais qu’en est-il du point de vue du droit et quel est leur statut ?

Entretien avec Rodolphe Gelin, directeur de la Recherche chez mère de NAO, Pepper et Roméo sur les robots et le droit. Pour lui et le directeur juridique Olivier Guilhem le robot demeure un objet sous la responsabilité et au service des Humains.

 

Le robot est-il une personne électronique ?

Rodolphe Gelin et Olivier Guilhem : « Non, la personne ou personnalité robotique ou électronique n’existe pas à ce jour. Le robot est juridiquement un bien au même titre qu’un super ordinateur ou une voiture (autonome ou non). Un robot est un objet dont les mouvements sont régis par un programme informatique qui prend en compte des informations capteurs. Il est de la même nature qu’une voiture qui se gare toute seule. »

 Rodolphe Gelin et Romeo

A quelle réglementation est-il soumis notamment en matière de responsabilité ?

« Aujourd’hui, il n’y a aucune réglementation spécifique pour les robots que Softbank Robotics fabrique. Cela ne signifie aucunement qu’un vide juridique existe.
Comme tous les autres objets manufacturés, ils sont, par exemple, soumis à la responsabilité des produits défectueux -
Il convient toutefois de se questionner pour savoir si la législation applicable peut être améliorée ou si au regard des spécificités de la robotique, des aménagements sont souhaitables.
A titre d’exemple, les drones, qui pourraient aussi être qualifiés de robot, font aujourd’hui l’objet d’une

 

En cas de problème, d’incident, d’accident qui est responsable : le fabricant, le concepteur, l’utilisateur, le propriétaire, le robot ?

« Cela dépend bien sûr de l’incident. Comme lors d’un accident de voiture, le responsable peut être le conducteur de la voiture, qui a commis un écart de conduite, le garagiste en charge de l’entretien et/ou le fabricant de la voiture.
De même pour le robot, cela dépendra de ce qui s’est passé. Il conviendra certainement de prendre en considération le développeur de l’application (logiciel) qui pourrait être à l’origine de l’action dommageable du robot mais aussi l’utilisateur qui a pu par ses instructions et l’apprentissage donné au robot concourir au dommage.
Sur le fond, en aucun cas le robot ne pourra être tenu responsable de l’incident car tous ses actes ont une origine humaine. Même doué, à terme, d’une certaine autonomie, celle-ci n’est jamais que la résultante d’une volonté humaine.
Le robot n’a pas de libre arbitre. »

 Si on observe les quelles garanties de protections des humains contre les atteintes causées par les robots ?

« Les deuxième et troisième lois d’Asimov sont aujourd’hui « implémentées » sur nos robots : le robot obéit aux ordres de l’humain et il protège son intégrité tant que cela ne contrevient pas à la loi précédente.
En revanche la première loi, qui dit que le robot ne doit pas blesser un être humain, est très difficile à appliquer en raison de la complexité, pour le robot (comme pour les humains parfois) d’évaluer tous les paramètres permettant d’évaluer les conséquences d’une action entreprise.
C’est particulièrement vrai quand on prend en compte que le dommage peut être d’ordre psychologique, moral voir sociétal. Il nous sera donc difficile, voire impossible, à nous fabricants de robots, d’implanter cette première loi sur nos robots, d’autant plus que, comme nous l’avons vu plus haut, d’autres personnes peuvent implanter des programmes sur les robots.
Cela dit, les robots de Softbank Robotics sont dotés de fonctions de base qui veillent à éviter les collisions avec les personnes et avec l’environnement.
Nous travaillons sur le contrôle des efforts pour qu’un robot n’applique pas, sans le vouloir, des efforts importants. Cela permettra par exemple d’éviter que le robot pince un doigt coincé dans une articulation.
Cependant ce contrôle dépend de la finalité du geste : quand une personne âgée s’appuie sur le robot pour se lever, le robot doit fournir un effort important dans son bras alors qu’il est au contact d’un être humain. C’est cette compréhension de la finalité d’une action qui rend la tâche difficile pour le robot. »

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Article intégral en ligne : http://www.humanite.fr

L'Humanité, Daniel Roucous, 18/05/2017.


jeudi 25 mai 2017

Santé des Français : des inégalités sociales encore très marquées

La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et Santé Publique France ont publié le rapport 2017 sur l’état de santé de la population en France. Cette étude permet de décrire les évolutions de l’état de santé général de la population.  Infirmiers.com fait le point.

Blouse blanche médecin
Ce sont souvent les populations les moins favorisées
(faible revenu, peu diplômées), qui cumulent les expositions
aux différents facteurs de risque pour la santé.

Les Français sont globalement en bonne santé par rapport aux pays de niveau de richesse similaire, et à plus forte raison en regard de la population mondiale. Voici ce qui ressort de la dernière étude publiée par la DREES et Santé Publique France sur l’état de santé général de la population de l’hexagone. Ce bilan est appuyé par des chiffres. L’espérance de vie des Français atteint 85 ans chez les femmes et près de 79 ans chez les hommes, des scores élevés qui se situent dans la moyenne européenne, souligne l’étude. De même, le rapport 2017 révèle que la mortalité continue à diminuer pour toutes les classes d’âges aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Côté bonnes nouvelles toujours, la mortalité prématurée continue de baisser (et ce depuis 15 ans), tout comme la mortalité évitable liée aux comportements à risque (notamment chez les hommes). Ce recul s’explique surtout par une réduction du tabagisme, de la consommation d’alcool, de la conduite routière dangereuse...)
Près d’un décès sur cinq est prématuré (avant 65 ans) et la mortalité prématurée est deux fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes.

 

Les décès prématurés restent toutefois importants

 

Le bilan est pourtant plus contrasté qu’il n’y paraît si l’on regarde les chiffres un peu plus dans le détail. Malgré une baisse globale de la mortalité prématurée observée, elle reste trop importante. Près d’un décès sur cinq est prématuré (décès avant 65 ans), relève ainsi le rapport et elle touche surtout les hommes, deux fois plus que les femmes. Quant à la mortalité dite évitable par la réduction des comportements à risques, elle représente 30% de la mortalité prématurée, mais elle est aussi trois fois supérieure chez les hommes comparée aux femmes. Même chose du côté du tableau des maladies chroniques : la morbidité par maladies chroniques ne régresse pas et celles-ci touchent plus de personnes qu’auparavant, notamment du fait du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie

 

Cancers et maladies cardio-vasculaires : les deux premières causes de décès.

 

Sur les 567 000 décès observés en France métropolitaine en 2013, les cancers et les maladies cardio-vasculaires constituent les causes les plus fréquentes (respectivement 27,6 et 25,1 %), suivies par les maladies de l’appareil respiratoire (autres que les cancers), qui représentent un décès sur quinze, et les morts violentes (suicides, accidents…) qui représentent également un décès sur quinze. Ces quatre groupes de maladies rassemblent près de deux tiers des décès. La répartition de la mortalité liée à ces groupes de pathologies évolue peu d’une année sur l’autre mais de manière relativement régulière. Les cancers sont progressivement devenus la première cause de mortalité depuis 2004, devant les maladies cardio-vasculaires, pour l’ensemble de la population. Les maladies cardio-vasculaires restent cependant la première cause de mortalité chez les femmes, devant les cancers, à l’inverse des hommes. Les taux standardisés sur l’âge de décès pour les maladies cardiovasculaires en France sont parmi les plus bas de l’Union européenne, chez les hommes comme chez les femmes.
Etat de santé perçu selon l'âge et le sexe
L’espérance de vie des hommes cadres à 35 ans est de 49 ans, soit 6,4 ans de plus que celle des hommes ouvriers

mercredi 24 mai 2017

L’action sociale réduite à un marché ?

Selon un rapport du Cese de 2014, notre système de protection sociale peine à apporter des réponses satisfaisantes face aux mutations des risques sociaux traditionnels. Sous l’égide de la DGCS, une série de séminaires a permis d’interroger la stratégie d’investissement social en France. Une « notion essentielle pour démontrer selon les mots de Ségolène Neuville « que l’action sociale est moderne et innovante ». Si pour certains, modéliser les meilleures pratiques contribue à améliorer la performance sociale, d’autres craignent surtout que ce soit là un moyen de réduire l’action sociale à un marché.


Le 9 juin 2016, Ségolène Neuville, secrétaire d’État en charge de la lutte contre l’exclusion, ouvre un séminaire pour interroger la stratégie d’investissement social en France. Une « notion essentielle [pour] démontrer que l’action sociale est moderne et innovante », indiquait-elle alors.
Suivent cinq séances sur des politiques publiques que l’investissement social pourrait infléchir, en faveur des femmes et des enfants, de l’égalité homme-femme, de la jeunesse, de la formation tout au long de la vie, de la qualité des emplois et de la prise en charge des personnes âgées ou atteintes de handicap. Un ultime colloque clôt ce travail en janvier 2017.

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Solution réformiste

L’idée n’est pas neuve. Dès les années 1990, les bouleversements sociaux et économiques au niveau international suscitent l’intérêt pour l’investissement social (IS).
Pour le directeur de recherche au CNRS, Bruno Palier, l’IS s’analyse différemment selon les régions du monde où il est mis en œuvre : « réaction contre les politiques néolibérales d’ajustement structurel imposées dans les pays en voie de développement et visant à lutter durablement contre la pauvreté des enfants », « réponse sociale basée sur le capital humain, alternative aux modèles européens, mise en œuvre dans les pays d’Asie après la crise financière de 1997 », et pour ­l’Europe, volonté de « renouveler la sociale démocratie, d’augmenter le taux d’emploi, notamment des femmes ».
Dans les pays occidentaux, l’IS est théorisé comme solution réformiste pour affronter la société post-industrielle.
En 2013, la Commission européenne le définit comme l’adoption « de mesures pour renforcer [les] compétences et [les] capacités [des personnes], leur autonomie et leur permettre de participer pleinement au monde du travail et à la société ». Elle propose un « paquet investissement social » pour 2014-2020, axé sur l’éducation, les services de garde d’enfants de qualité, les soins de santé, la formation, l’aide à la recherche d’emploi et la réinsertion.

L’investissement social

Selon Bruno Palier, l’investissement social invite :
  • à préparer pour avoir moins à réparer, à prévenir, à soutenir et équiper les individus, ce qui suppose d’investir de façon précoce et continue dans leur éducation et leur formation, leur santé ;
  • à adopter des politiques sociales qui développent des services accessibles et de qualité, notamment vers la petite enfance et la jeunesse ainsi que des politiques actives du marché du travail, de conciliation entre vie familiale et professionnelle et une prise en charge de qualité des personnes handicapées et dépendantes.

Mutations des risques sociaux traditionnels

Dans une étude du Cese parue en 2014, Bruno Palier pointe, en France, les « mutations des risques sociaux traditionnels » auxquels « notre système de protection sociale peine à apporter des réponses satisfaisantes ».
L’allongement de la durée de la vie, le papy-boom, l’importance des maladies chroniques et l’entrée des femmes sur le marché du travail obligent à adapter la protection sociale actuelle. D’autant, note le chercheur, que la population est désormais « exposée à de nouveaux risques et besoins ».
La pauvreté a changé de visage, frappant davantage les jeunes, les familles monoparentales, les travailleurs peu diplômés et les personnes âgées ou handicapées. « Les ruptures et l’isolement constituent des facteurs aggravants », note Bruno Palier.
Les inégalités s’accroissent, la précarité s’hérite. En 2014, 8,8 millions de personnes vivent avec moins de 1 008 euros par mois. Le taux de pauvreté progresse depuis 2005. Les femmes paient un lourd tribut avec des écarts salariaux persistants, un chômage plus fréquent, du temps partiel, des retraites plus faibles et la charge de concilier vie professionnelle et vie familiale. L
a formation continue profite surtout aux plus diplômés. La « faible qualification est un obstacle de plus en plus difficile à surmonter », ajoute le chercheur.

Minimiser les risques

Cette nouvelle donne sociale s’accompagne d’une économie confrontée à une féroce concurrence internationale et interne à l’Europe, à un chômage de masse, à une croissance atone et à des niveaux de déficit et d’endettement public préoccupants. La crise de 2008 accentue la pression.
Dans ce contexte, l’IS pourrait réorienter le système de protection sociale en lui ajoutant de nouvelles priorités pour minimiser les risques sociaux, en amont et dès la petite enfance. Cette approche, soucieuse des parcours et des transitions, permet « de montrer combien les logiques d’assurance sociale, d’aide sociale, de redistribution verticale et d’investissement social se complètent », souligne Bruno Palier. Elle peut dès lors « contribuer à bâtir une nouvelle économie, fondée sur le savoir et les qualifications ».

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Article intégral en ligne dans le dossier Protection sociale : l’action sociale réduite à un marché ? 24/05/2017, de la revue Gazette Santé Social : http://www.gazette-sante-social.fr

mardi 23 mai 2017

La difficile lutte contre l’antibiorésistance

La résistance aux antibiotiques est au menu du premier G20 de la Santé à Berlin : les bactéries sur qui les antibiotiques n’ont plus d’effets posent de nombreux problèmes. Il est cependant possible de les réduire.


Sur le front de la guerre contre la résistance aux antibiotiques, toute bataille gagnée sonne comme une petite victoire. En janvier dernier, la revue The Lancet Infectious Diseases exposait celle remportée dans les hôpitaux anglais sur une souche résistante de Clostridium difficile. Cette bactérie est responsable de diarrhée et de colites dites «pseudomembraneuses» souvent accompagnées de fièvre et de douleurs, dont les complications peuvent être extrêmement sévères voire mortelles. L’étude publiée par la revue spécialisée montre que restreindre l’utilisation d’antibiotiques de la famille des fluoroquinolones, comme la ciprofloxacine, a entraîné la disparition dans la grande majorité des cas d’infections causées par les souches de C. difficile résistantes aux traitements.
L’équipe de chercheurs d’Oxford a enregistré une baisse d’environ 80 % du nombre de ces infections au Royaume-Uni. Dans le comté d’Oxfordshire, au sud-est de l’Angleterre, où deux tiers des bactéries C. difficile étaient résistantes aux antibiotiques en septembre 2006, elles n’étaient plus que 3 % en février 2013! Dans le même temps, le nombre de bactéries transmises d’une personne à une autre n’avait pas changé. Et ce, malgré la mise en œuvre de mesures d’hygiène pour éviter la transmission dans les établissements hospitaliers. «Cette étude vient conforter l’existence du lien entre la prescription d’antibiotiques et le développement des résistances chez les bactéries », analyse le professeur France Cazenave-Roblot, infectiologue au CHU de Poitiers.
«Le taux de résistance de Escherichia coli est passé de 1,4 % à 11,9 en 10 ans !» Le professeur Pascal Astagnau responsable du centre de prévention des infections associées aux soins de Paris
La consommation massive d’antibiotiques exerce sur les bactéries
une pression de sélection: exposées à l’antibiotique, les souches sensibles cèdent la place
aux souches résistantes, qui prolifèrent. 147548355/Richard Villalon - Fotolia
 La difficile lutte contre l’antibiorésistanceLa difficile lutte contre l’antibiorésistanceLa difficile lutte contre l’antibiorésistanceLa difficile lutte contre l’antibiorésistance
En effet, la consommation massive d’antibiotiques exerce sur les bactéries ce que les scientifiques appellent une pression de sélection: exposées à l’antibiotique, les souches sensibles cèdent la place aux souches résistantes, qui prolifèrent. La résistance de la bactérie peut être innée ou acquise. Une bactérie résistante peut en effet transmettre son matériel génétique (plasmide) porteur d’un ou plusieurs gènes de résistance à une bactérie jusqu’alors sensible. Ces résistances plasmidiques concernent 80 % des résistances acquises et sont sans aucun doute les plus préoccupantes. Pour éviter la multiplication des résistances, diminuer la prescription d’antibiotiques demeure une nécessité, comme le prouve l’étude anglaise. Si l’ensemble de la communauté scientifique s’accorde sur ce point depuis des années, les résultats se font attendre. «Nous savons que nous consommons encore trop d’antibiotiques. En France, la situation n’est pas bonne», s’alarme le professeur Antoine Andremont, chef du service de bactériologie de l’hôpital Bichat à Paris.
«Les épidémies restent modestes en France car nous avons de très bonnes unités d’hygiène dans les hôpitaux qui savent éviter la diffusion de ces souches lorsqu’elles sont détectées»
Le docteur Jean Carlet, président de l’Alliance contre le développement des bactéries multirésistantes
Malgré les campagnes de communication et les mises en garde, la consommation est en effet repartie à la hausse entre 2005 et 2015, selon les données du rapport publié à la fin de l’année dernière. Une tendance particulièrement marquée en ville alors que la consommation à l’hôpital est restée stable. «Contrôler la consommation est sans conteste plus facile à l’hôpital. Nous devons aujourd’hui être vigilants sur les gestes qui peuvent être responsables de la transmission de bactéries comme par exemple la pose trop prolongée de sondes urinaires», souligne le professeur Alain Astier, pharmacien hospitalier à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Car malgré une consommation contenue, les résistances, à quelques exceptions près, progressent. «La résistance aux staphylocoques doré a diminué grâce à la mise en place de mesures d’hygiène», détaille le professeur Pascal Astagnau responsable du centre de prévention des infections associées aux soins de Paris. Celle-ci est en effet passée de 27 % en 2005 à 16 % en 2015. «Mais parallèlement on voit la progression d’entérobactéries résistantes», poursuit le spécialiste. C’est notamment le cas d’Escherichia coli. Le taux de résistance de cette bactérie responsable de gastroentérites ou encore d’infections urinaires est passé de 1,4 % à 11,9 !

Certaines entérobactéries productrices de carbapénémases confrontent les médecins à de véritables impasses thérapeutiques car elles sont résistantes à pratiquement tous les antibiotiques. «Heureusement, les épidémies restent modestes en France car nous avons de très bonnes unités d’hygiène dans les hôpitaux qui savent éviter la diffusion de ces souches lorsqu’elles sont détectées», souligne le docteur Jean Carlet, président de l’Alliance contre le développement des bactéries multirésistantes. Contenir leur diffusion va cependant nécessiter la mise en place de mesures drastiques et coûteuses. Conscient des enjeux, le gouvernement a annoncé un plan de campagne pour lutter contre l’antibiorésistance. Il doit maintenant être déroulé.

Le Figaro santé, 18/05/2017.

dimanche 21 mai 2017

Concentré de tomate made in China : bienvenue dans la mondialisation dégueu !

Il est sans saveur, peu cher, et donc partout dans nos sauces et pizzas de supermarché : le concentré de tomate industriel, venu souvent de Chine, fait l’objet d’une passionnante enquête.


À moins de ne jamais mettre les pieds dans les grandes surfaces ou dans la plupart des restos, il y a de grandes chances que vous en ayez déjà consommé. Et en grande quantité. Le concentré de tomate chinois est omniprésent dans la world food, la nourriture mondialisée qu’on engloutit du nord au sud, quels que soient ses goûts et ses revenus.

"Global sushi" ou comment la mondialisation vide les océansSauces, soupes, pizzas, surgelés… La pâte rougeâtre et visqueuse qui nimbe tous ces plats provient très souvent du Xinjiang, une province de Chine - pays qui, pourtant, consomme assez peu de tomate.

Comment en l’espace de 20 ans à peine, les cueilleurs et fabricants européens et américains de concentré ont-ils été supplantés par les Chinois, qui fournissent aujourd’hui les géants de l’agro-industrie comme Heinz, Kraft Foods ou Unilever ? C’est ce que décrypte "L’Empire de l’or rouge", une enquête de Jean-Baptiste Malet, qui sort en librairie ce mercredi 17 mai (Editions Fayard, 288 p., 19 euros).


Concentré de tomate made in China : bienvenue dans la mondialisation dégueu !
Jean-Baptiste Malet décrit le recours au travail forcé pour la
récolte de tomates en Chine, l'ajout d'additifs chez certains producteurs,
mais aussi la taylorisation des chaînes de production par exemple chez Heinz.
(CC0 Public Domain)

Mondialisation dégueu

Le journaliste de 30 ans, qui s’est fait connaître en 2013 pour son enquête saignante sur les conditions de travail chez Amazon  explique :

"Le point de départ de cette enquête, ce sont des barils de concentré de tomate que j’ai aperçus dans l’entreprise Le Cabanon, en Provence. J’ai vu qu’ils venaient de Chine, ça m’a interloqué. Pourquoi les faire venir de si loin ?"

Le Cabanon, racheté par un conglomérat chinois en 2004, a été littéralement dépecé et n’est plus aujourd'hui que le fantôme de lui-même. Il est arrivé la même chose chez les transformateurs de tomate de nos voisins européens et américains.

Ce terrifiant phénomène pourrait s’appeler la "sino-militarisation" de la tomate. C’est en effet au sein de conglomérats (Cofco Tunhe, Chalkis) - sortes d’Etats dans l’Etat tenus par des généraux de l’Armée populaire de Chine - que la grande gagnante de la mondialisation dégueu est produite. Cueillie et transportée par des ouvriers sous-payés, non syndiqués, parfois même par des enfants, cette tomate, gorgée jusqu’à la gueule de pesticides, ne ressemble en rien au fruit rond et avenant que l’on se figure.

"Tomate de combat"

Jean-Baptiste Malet explique :

"La tomate destinée à être transformée en concentré n’est pas ronde, mais de forme oblongue. Elle est lourde, dense, très dure, car elle a été génétiquement fabriquée pour pouvoir être transportée par bennes sans s’abîmer. Quand on la croque, c’est très surprenant : sa peau croustille !"

Ce caillou sans saveur, bidouillé par les savants des labos du géant Heinz contient 6% de matière sèche (près du double d'une tomate normale) pour être plus rentable à la tonne, et un pédoncule spécialement fragile pour être cueillie hyper facilement. Une véritable "tomate de combat" taillée pour évincer la concurrence. Et ça a marché !

Tout espoir n’est cependant pas perdu, insiste Jean-Baptiste Malet : le consommateur vigilant peut encore décider d’acheter du concentré de qualité, produit made in Europe plutôt que made in China. Mais c’est plus cher et plus difficile, forcément.

Arnaud Gonzague, L'Observateur, 16/05/2017.

vendredi 19 mai 2017

Les accidents cardiaques touchent beaucoup plus de femmes

Les maladies cardio-vasculaires sont devenues la première cause de mortalité chez les femmes en France. Elles tuent huit fois plus que le cancer du sein. Le documentaire Accidents cardiaques : les femmes en première ligne, diffusé sur France 5, se penche sur les raisons de cette nouvelle donne.


«C’était comme si quelqu’un s’était assis sur ma poitrine» ; «J’avais des nausées» ;«J’avais des douleurs dans le dos» ; «J’ai des douleurs dans la main gauche»… Tous les témoignages de femmes présentés dans le documentaire Accidents cardiaques: les femmes en première ligne, le prouvent: les symptômes d’une femme victime d’un infarctus du myocardene sont pas les mêmes que ceux d’un homme. Pourtant, nous rappelle ce film présenté dans Enquête de santé (France 5, diffusé mardi 16 mai à 20h50 puis accessible en replay), il est communément admis que la crise cardiaque est une affaire d’hommes! Or, aujourd’hui, une femme sur trois meurt d’une maladie cardio-vasculaire. Le cancer du sein tue huit fois moins.
Les femmes souffrent de nombreuses injustices vis-à-vis de la médecine en général. En ce qui concerne le risque cardiovasculaire, elles ont plusieurs handicaps. Il y a une méconnaissance patente, aussi bien dans le grand public que chez les personnels soignants, des signes de la crise cardiaque spécifiques aux femmes. D’où un «errement» diagnostic qui retarde la prise en charge de la patiente en crise.

Des artères plus petites et plus fragiles

Et ce d’autant que la gent féminine a tendance à attendre avant d’appeler les secours. Seules 21 % des femmes, contre 36 % des hommes, sont prises en charge moins de trois heures après le début de l’attaque. Le cas de Nathalie, alors âgé de 43 ans, fait froid dans le dos. Elle se plaint de douleurs, de fatigue, d’essoufflement. Son médecin parle de problèmes gastriques. Le cardiologue lui emboîte le pas. Après des mois d’analyses, d’examens plus ou moins désagréables, les médecins comprennent enfin que cela se passe du côté du cœur de Nathalie: elle a une artère presque complètement bouchée.
On s’est longtemps reposé sur les faits que les hormones féminines, les œstrogènes, protègent les artères féminines, qui sont, bien que plus souples, plus petites et plus fragiles que celles des hommes. Pour le Dr Stéphane Manzo-Silberman, les changements de mode de vie depuis vingt ou trente ans ont changé la donne. Les femmes en général font moins de sport, ont plus de stress, fument et boivent plus qu’avant, ont une mauvaise alimentation, d’où une augmentation des risques de diabète et d’hypertension. Et donc du risque cardiovasculaire. Chaque année, on constate une augmentation de 5 % du nombre de femmes de moins de 50 ans hospitalisées pour des problèmes cardio-vasculaires, alors que les chiffres restent stables chez les hommes.
La protection des œstrogènes a été modifiée par l’usage de la pilule avec œstrogènes de synthèse, surtout associée au tabac. Leur influence peut être modifiée lors de grossesses qui entraînent des pré-éclampsies (hypertension). Et il y a bien sûr la ménopause, qui est un facteur de risque supplémentaire. Le documentaire pose la question de savoir s’il ne serait pas judicieux que toutes les femmes puissent bénéficier d’une consultation-bilan au moment de leur ménopause.
Bien sûr, il existe des solutions médicales aux artères bouchées comme la pose de stent, ces petits ressorts qui permettent le retour d’un flux sanguin normal. Mais la maladie peut laisser des séquelles, devenir chronique, avec récidives… Il est important, nous dit-on, d’avoir des séances de rééducation cardiologique et d’adopter un mode de vie adapté. Autant le faire préventivement. Notre cœur le vaut bien.

Le Figaro santé, 16/05/2017.