On nous avait promis le grand déballage, le lessivage intégral, l’opération mani pulite du cinéma français. On pouvait se raconter que la cérémonie des césars 2018 - qui s’est tenue vendredi soir salle Pleyel devant un public de professionnels rodé à rire poliment devant tout et n’importe quoi - serait placée, pour le meilleur et les pires blagounettes, sous le signe de l’ère post-Weinstein, dont là France n’a pris pour l’heure que sa part d’écume. Or, malgré les effets d’annonce et le sentiment que quelque chose de l’époque se joue là, avec le cinéma pour témoin de premières loges et principal catalyseur, il semble que tout le monde ou presque dans la salle était prêt à se contenter d’un cours express de consentement mutuel administré par le poussif Manu Payet et d’une standing ovation très pénétrée mais pliée en quarante-cinq secondes, dont on a eu quelques difficultés à cerner l’impact exact sur l’évolution des moeurs. Ce passage néanmoins obligé, annoncé par le maître de cérémonie comme le «moment balance ton porc» (on a entendu quelques frémissements dans l’assistance), minuté et encadré, aura neutralisé tout phénomène de féminisme intempestif, loquace et mal placé, comme naguère on invitait les intermittents à monter faire entendre leur voix sur scène pour les dissuader d’envahir la salle - l’an prochain, on peut donc compter sur une séquence similaire dévolue à la cause des cheminots. Seule Blanche Gardin, qui remettait le césar du meilleur espoir féminin, aura apporté une touche un peu grinçante à cet édifice d’ensevelissement sous des nappes de consensuel contrôlé, arborant à la fois le ruban blanc de l’opération #MaintenantOnAgit initiée par la Fondation des femmes et un badge à l’effigie du comique américain Louis C.K., à la carrière torpillée il y a quelques mois suite aux accusations de masturbation spontanée devant plusieurs femmes qui ne lui avaient rien demandé.