lundi 29 décembre 2014

Partout les inégalités explosent. Fin de la théorie du ruissellement ?

Alors que la somme des richesses créées n’a jamais été aussi importante, 2014 s’affirme comme l’année de toutes les inégalités. Même des organismes aussi libéraux que le FMI et l’OCDE s’en alarment !

 
Si les financiers déposaient des cadeaux au pied de la corbeille de la Bourse de Paris, nul doute que le plus demandé au père Noël du capital serait... une action d’Axa, l’entreprise la plus généreuse en France avec 2,7 milliards distribués au deuxième trimestre (celui du versement principal). Mais le père Noël n’est pas capitaliste ; au reste, les actionnaires n’ont pas besoin de cadeau cette année, car 2014 a été celle de tous les records. Pensez : rien qu’en France, plus de 80 milliards d’euros distribués par les entreprises du CAC 40 – les oies ne sont pas les seules à être gavées. « Une juste rétribution des risques et de la création de richesses », chantent-ils en choeur. Mais comment expliquer qu’en 2014 les mêmes entreprises ont vu leurs profits baisser de 8 %, pour s’établir à 48 milliards d’euros, distribuant ainsi plus de dividendes qu’elles n’ont dégagé de bénéfices ? La voracité de la finance est telle que même le magazine « Challenges », peu suspect d’anticapitalisme, parle « d’un très gros effort qui se fait au détriment de l’investissement ». Et encore, il ne parle pas des salaires... Michel Sapin, le ministre des Finances, y a déjà pensé, exhortant, le 18 décembre, les patrons éventuellement frappés par le virus de la justice sociale à « faire en sorte que les salaires n’augmentent pas considérablement plus que la productivité de leur entreprise ». Il faut bien payer les dividendes : la France est au deuxième rang mondial, derrière les États- Unis, en ce qui concerne la rétribution des actionnaires.
 
 

Une pluie de dividendes !
 
L’année 2014 a donc été celle de l’accélération brutale de la voracité du capital, que les dirigeants accommodants appellent « crise ». Mais comment parler de crise quand on sait que depuis 2009 la hausse des dividendes atteint... 60 % (70 % aux États-Unis, 136 % pour les BRICS, et seulement 22 % pour l’Europe). D’ailleurs, le record est tombé : cette année, les 1 200 plus grandes entreprises mondiales ont distribué un peu moins de 1 200 milliards de dollars (980 milliards d’euros), soit 133 milliards de plus qu’en 2013. Mention spéciale aux heureux détenteurs d’actions de la finance (57 milliards d’euros au troisième trimestre 2014), de l’énergie (35 milliards d’euros) ou des télécommunications (19,6 milliards d’euros). En France, Orange, BNP Paribas, Axa donc, ou la Société générale sont en tête. Et de l’autre côté ? Peanuts. Au point que l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), d’habitude au garde-à-vous libéral, s’alarme dans un rapport paru le 9 décembre : les inégalités se creusent trop. « Jamais en trente ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé », y est-il écrit.
 
Au sein des pays développés, le revenu des 10% les plus riches est 9,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres.

 
À l’échelle de la zone OCDE (pays issus pour la plupart du monde occidental), le revenu des 10 % les plus riches est aujourd’hui 9,5 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres : ce rapport était de 1 à 7 dans les années 1980. Surtout, l’organisation d’études économiques prend peur : loin des antiennes libérales qui répètent que déverser des montagnes de cash au sommet de la pyramide permet un ruissellement jusqu’à la base de la société et profite à tous, le rapport établit que ces inégalités ont coûté... 8,5 points de PIB sur 25 ans. Énorme. Et de poursuivre : « Ce n’est pas uniquement la pauvreté ou le revenu des 10 % de la population au bas de l’échelle qui inhibe la croissance. Les pouvoirs publics doivent se préoccuper plus généralement du sort des 40 % les plus défavorisés. (...) Lutter contre les inégalités par l’impôt et les transferts ne nuit pas à la croissance. » Transmis à la troïka... Désormais, tout le monde sait ce qu’il faut faire, comme le rappelait Robert Reich, dans ces colonnes (lire « HD » n° 400) : « Le pas suivant est de s’organiser et de s’engager politiquement. » Cela commence maintenant. C’est une bonne résolution.
 
BENJAMIN KÖNIG , L'Humanité, 28/12/2014.

Le dimanche, pause nécessaire à la cellule familiale

Quel serait l’impact d’une ouverture douze dimanches par an des commerces sur la vie privée et familiale des salariés concernés ? De façon étonnante, rien ou presque n’a été dit sur ce sujet depuis que le gouvernement a annoncé sa volonté d’étendre le travail dominical dans le cadre de la loi Macron, qui sera discutée à l’Assemblée nationale à partir du 26 janvier 2015. L’essentiel du débat a porté sur l’efficacité économique de la réforme, et sur la place supposée croissante de la consommation dans les loisirs. C’était l’un des principaux griefs formulés par la maire PS de Lille, Martine Aubry, dans sa tribune parue dans Le Monde du 11 décembre.


Quelques voix se sont même élevées pour saluer la mesure, comme celle du sociologue Jean Viard pour qui le travail « arythmique » a du bon pour les individus. Thierry Pech, du cercle de réflexion Terra Nova, et Gilles Finchelstein, de la Fondation Jean-Jaurès, se sont insurgés contre l’idée que la puissance publique « règle pour tous les horloges du travail et du repos ».
Ces partisans de la mesure citent un sondage BVA du 4 décembre qui affirme que 62 % des Français sont favorables à l’ouverture des magasins le dimanche… en oubliant, signe de la forte ambivalence de la population, que 60 % ne sont, dans le même temps, pas d’accord pour travailler eux-mêmes ce jour-là.

Photo Séverin Millet

« Fléau relationnel »

Or, s’ils ne se sont guère fait entendre jusqu’à présent, les spécialistes de la famille interrogés par Le Monde s’inquiètent presque unanimement de la mesure. « Tout ce qui désynchronise les temps est destructeur de la famille, affirme ainsi le sociologue François de Singly. Dans la semaine, les gens ne sont pas très disponibles le soir en rentrant du travail. Le samedi, chacun part pour ses activités, c’est une journée de transition. C’est le dimanche qu’ils font une pause. Ce jour-là, les parents sont cool, comme disent les adolescents. C’est grâce à cela que tiennent les bonnes relations familiales. »
« Les enfants ont besoin d’un temps où leurs deux parents sont présents, dans un état interne d’apaisement, renchérit la psychanalyste Sylviane Giampino, spécialiste de la petite enfance. Quand on sait que personne ne travaille ni ne va à l’école le lendemain, la détente s’installe. De plus en plus, les parents se relaient auprès des enfants. Cette perte de cohésion est un vrai fléau relationnel, donc psychologique pour le développement de l’enfant. »
Pierre Suesser, président du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile, observe également un « stress croissant pour concilier vie professionnelle et vie familiale ». « L’imbrication croissante des sphères a un effet néfaste sur la tranquillité d’esprit des parents et leur disponibilité », observe-t-il.
Le constat est partagé : peu importe que ce temps de repos à plusieurs ait lieu le dimanche, aujourd’hui largement désacralisé, ou un autre jour. « L’important, c’est de garder une pause commune, argumente M. de Singly. La difficulté à préserver ce temps où l’on se retrouve, c’est la fragilité de la famille d’aujourd’hui. Si on supprime progressivement les occasions, il sera très difficile de les recréer. »
Le dimanche ne serait donc pas – seulement – un jour de vie en collectivité forcée, voire d’ennui ? « Quand on est célibataire ou étudiant, on peut être content de travailler le dimanche pour gagner davantage ou payer ses études, relève le psychiatre Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris. Il me semble pourtant que cela doit être réduit au minimum. Pour un enfant ou un adolescent, sentir le groupe autour de soi est fondamental. Le dimanche est le seul moment où il est possible de mettre en place la cellule familiale, d’avoir des interactions et une transmission émotionnelle. » Cela ne concerne pas seulement les parents et les enfants, mais aussi les grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines, etc.
De telles préventions sont-elles disproportionnées, quand on parle de douze dimanches par an, compensés financièrement, et sur la base du volontariat ? « Si le travail du dimanche permet de desserrer l’étau des difficultés financières, ce n’est pas forcément un mal, reconnaît la psychanalyste Claude Halmos, qui a publié en septembre un ouvrage consacré aux effets psychologiques de la crise, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (Fayard, 286 p., 18,50 euros). Mais il serait souhaitable de ne pas être obligé de travailler le dimanche pour cela. On sous-estime les conséquences individuelles de telles mesures. Et rien ne dit que, dans cinq ans, le travail du dimanche restera un choix. »
Celui-ci n’a en effet cessé de progresser depuis une vingtaine d’années. « Le travail dominical touche principalement certains groupes sociaux, analyse Laurent Lesnard, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’emploi du temps dans les sociétés contemporaines, qui a étudié cette question en détail à partir des données de l’enquête « Emploi du temps » réalisée par l’Insee en 2009-2010. Aux côtés des professions chargées de missions de service public se trouvent des ouvriers et des employés du commerce et des services. Dans ces deux cas, ce sont principalement des salariés faiblement qualifiés du bas de l’espace économique. »

« Perte de sociabilité »

Ces salariés ont plus souvent que d’autres des horaires atypiques en semaine. « C’est la double peine, affirme le chercheur. Ils voient déjà beaucoup moins leur famille et leurs amis la semaine et travaillent le dimanche. » L’impact sur la vie privée de tels horaires a été quantifié. « Des études menées aux Etats-Unis et aux Pays-Bas ont montré que, sur le long terme, ils augmentent le risque de conflits familiaux et de divorce », relève M. Lesnard.
La récupération des dimanches travaillés compensera les heures, mais pas la sociabilité perdue. « Un dimanche travaillé n’a pas le même impact qu’un jour de semaine, affirme M. Lesnard. Il multiplie par deux la perte de sociabilité familiale et amicale. »
Les parents séparés et les familles monoparentales focalisent les inquiétudes, car ils auront des difficultés d’organisation accrues et devront faire appel au système D pour faire garder leurs enfants. Rares sont les experts qui trouvent des effets positifs à la réforme. « Le fait pour les parents de se relayer auprès des enfants peut permettre de passer des moments seul à seul qui sont appréciés », relève la pédopsychiatre Caroline Eliacheff. Pour le psychologue scolaire Laurent Chazelas, cela pourrait en effet être un « bénéfice secondaire »… à condition qu’il ne concerne pas toujours le même parent, au détriment de l’autre.

Gaëlle Dupont, Le Monde, 23/12/2014.

vendredi 26 décembre 2014

2014 en dix graphiques

Avant que ne s'éteigne 2014, les Décodeurs vous proposent de rembobiner l'année à travers dix datavisualisations.
Nous avons choisi de trier ces tendances ou ces actualités par rapport à un prisme français, éventuellement européen.

Parmi les thèmes traités par les graphiques détaillés du Monde :
  • Le nombre de morts liées au sida dans le monde poursuit sa décrue
  • La compétitivité tricolore s'est maintenue après quatre années de recul
  • Ebola : plus de 6000 morts en en dix mois
  • 2014 en passe d'être l'année la plus chaude jamais enregistrée
  • Le bilan incertain du conflit syrien
  • La croissance de la France et de l'Allemagne toujours atone
  • Le chômage continue d'augmenter dans l'hexagone
  • La France est la deuxième démographie la plus dynamique d'Europe
  • La féminisation du Parlement poursuit sa (lente) marche 
  • La baisse du cours du pétrole allège la facture énergétique des pays importateurs (dont la France)
      
     
    Les décodeurs, journalistes au Monde, 24/12/2014.
 

jeudi 25 décembre 2014

Les crèches de Noël et la laïcité

L’interdiction de la crèche de Noël installée dans les locaux du conseil général de Vendée a fait grand bruit, ravivant le débat sur la laïcité.

 

Une crèche de Noël dans une rue de Luceram, dans le sud de la France. 
SEBASTIEN NOGIER/AFP)
Une crèche de Noël dans une rue de Luceram, dans le sud de la France.

La décision a provoqué de vives réactions. Début décembre, le tribunal administratif de Nantes a demandé au conseil général de Vendée de retirer la crèche de la Nativité installée dans le hall de ses locaux, une décision dont le conseil général a fait appel.

Pourtant, selon un sondage Ifop, 71 % des Français sont « plutôt favorables » à la présence de crèches dans les bâtiments publics. La crèche est-elle devenue davantage une tradition culturelle qu’un symbole chrétien ?
« La Croix » revient sur ces questions au coeur de la laïcité à la française.

Lire le dossier complet de La croix sur les crèches de Noël et la laïcité : 
http://www.la-croix.com/Actualite/France/Les-creches-de-Noel-et-la-laicite-2014-12-17-1281264

Dans l’enfer des fabricants de jouets chinois

Construire des poupées en Chine à l’approche de Noël n’est pas un sort plus enviable que les assembleurs d’iPhone avant une sortie mondiale. Les violations des plus élémentaires droits du travail y sont nombreuses.

REUTERS

Les ONG, comme China Labor Watch se sont penchées sur les conditions de travail dans les usines de jouets en 2010 à la suite d’un terrible drame. Une mère de famille, Hu Nianzhen, a sauté par la fenêtre de l’usine de Shenzhen, sous-traitante de Mattel, dans laquelle elle travaillait. Elle était menacée de licenciement parce qu’à 45 ans, ses contremaitres ne la jugeait plus assez productive. Le jour où ils l’ont forcée à démissionner, elle s’est suicidée. Son mari et ses enfants ont essayé d’aller en justice et d’avertir la presse, mais ils se sont fait menacer puis sévèrement tabasser par les gros bras de l’entreprise. En témoigne la photo ci-dessous de l'un des fils de Hu Nianzhen qui réclamait justice.

Depuis, les sous-traitants des gros constructeurs de jouets, de Mattel à Disney, sont surveillés, et China Labor Watch publie à l'approche de Noël un rapport d’enquête édifiant portant sur 4 sites et plusieurs centaines de témoignages. Et la situation ne s'améliore pas. Les usines de jouets de la côte chinoise, bien que comptant plusieurs milliers d’ouvriers, restent bien loin des monstrueuses fabriques de Foxconn qui peuvent atteindre 200.000 salariés. Pourtant les conditions de travail se révèlent très similaires, parfois pire.
Dès l’embauche, les abus commencent. Discrimination, puis surtout confiscation des papiers d’identité des ouvriers. Ceux-ci doivent signer des papiers garantissant avoir reçu au moins une journée de formation à leur poste de travail, comme aux consignes sécurité. Pour la majorité d’entre eux, cet entraînement n’a duré que 30 minutes.
Le gros des droits sociaux sont bafoués : assurance maladie insuffisante, plus de 120 heures supplémentaires imposées à l’approche de Noël alors que le maximum légal est de 36, heures qui ne sont pas payées comme il le devrait. Un travailleur qui trime 12 heures par jour, 6 jours par semaine touche moins de 400 euros par mois, c’est 100 de moins qu’un ouvrier de Foxconn dans les même conditions.
Les ouvriers sont logés dans des dortoirs insalubres qu’ils doivent louer à l’employeur. Jusqu’à 18 par chambre, ils n’ont accès qu’à 5 douches pour 180 employés.
Les usines affichent la présence de syndicats, mais dans la majorité d’entre elles, ce n’est qu’une vitrine et il n’y a aucun représentant derrière. Deux des sites ont également fraudé des inspections du travail, usant d’intimidation pour forcer les employés à ne pas dire la vérité sur leurs conditions au quotidien. Elles sont même allées jusqu’à créer de faux ateliers vitrines à destination des inspecteurs.


Le rapport de China Labor Watch

Pi.M. , L'Humanité, 19/12/2014.

Urgentistes, généralistes, cliniques : qui fait grève et pour quoi ?

A l'approche des fêtes de Noël, ce n'est pas le moment de tomber malade. A quelques jours d'intervalle, plusieurs professions médicales ont entamé des grèves pour se faire entendre du gouvernement, dont le projet de loi santé est inscrit à l'agenda 2015. Les Décodeurs font le point sur les revendications des urgentistes, des généralistes, des spécialistes et des cliniques privés afin d'y voir plus clair.


Par Maxime Vaudan, Le Monde, 23/12/2014.

Les urgences de l'hôpital Cochin, dans le 14e arrondissement de Paris, le 20 février 2014.

Les urgentistes

 

Pourquoi la grève ?
Les médecins urgentistes se sont mis en grève lundi 22 décembre à l'appel de leur association nationale, l'AMUF, pour réclamer :
  • une réduction de leur temps de travail à 48 heures maximum par semaine (la limite prévue par la législation européenne) ;
  • une rémunération de leurs heures supplémentaires travaillées entre 39 et 48 heures.
Où en est la grève ?
Grève terminée
L'AMUF a décidé mardi 23 décembre d'annuler son appel à la grève, au lendemain d'un « accord historique » conclu avec Marisol Touraine. La ministre de la santé a accédé aux deux principales exigences des urgentistes sur le temps de travail, qui pourraient entrer en vigueur dès le premier semestre 2015.
Selon la Fédération hospitalière de France, hostile à la grève, ces mesures « catégorielles » représenteront un « surcoût » de 90 millions d'euros pour les hôpitaux, déjà lourdement déficitaires (environ 400 millions d'euros par an).








Grève des médecins libéraux : « Ce gouvernement veut vendre notre profession à la découpe »

Plus de cinquante médecins généralistes ont répondu à l'appel à témoignages lancé sur LeMonde.fr leur demandant d'expliquer pourquoi ils comptaient faire grève du 23 au 31 décembre. Nous en publions ici une sélection.

Un médecin ausculte une patiente qui présente des symptômes de gastro-entérite, à Bordeaux, en 2006.
AFP/PATRICK BERNARD
  • « En devenant gratuit, notre travail sera encore plus dévalorisé », par Céline, 40 ans, Rouen
« Charge de travail colossale, mauvaise couverture maladie et maternité, agressivité de certains patients toujours plus exigeants, contraintes de l'assurance maladie toujours plus fortes... Nous n'arrivons plus à recruter de jeunes médecins. Et parmi ceux qui restent, de plus en plus frôlent le burn-out sans pouvoir s'arrêter de travailler. Quant à la généralisation du tiers payant, il ne fera qu'accroître encore plus notre charge administrative, qui est déjà énorme. Avec 400 mutuelles differentes, il sera compliqué de récupérer la part mutuelle de nos consultations. Nous estimons qu'en devenant gratuit pour tous notre travail sera encore plus dévalorisé et que les patients seront déresponsabilisés. Nous sommes favorables au tiers payant pour nos patients dans le besoin comme nous le pratiquons déjà. »
  • « On a maltraité systématiquement le généraliste »,  par Jean-Christophe, Feytiat (Haute-Vienne)
« On a maltraité systématiquement le généraliste, aussi bien matériellement (tarifs inférieurs et horaires extensifs) que moralement (déconsidération). Que l'on veuille créer des « sous-médecins » pour vacciner n'est que le symptôme de la totale incompréhension de la réalité du soin généraliste par les responsables politiques. On met en avant sans cesse le tiers payant, ce n'est qu'un écran de fumée. Peut importe qui me paie si je suis payé. Mais comment est évaluée ma contribution à l'état des gens qui me confient leur santé ? C'est le nœud du problème, le lieu même de la maltraitance à l'encontre de mon métier. Est-il plus difficile de faire une radio ou de diagnostiquer une méningite chez un gosse qui vomit ? Le radiologue gagne « en moyenne » trois fois plus que le généraliste... Oui, je vais faire la grève ! »
  • « Je pratique déjà le tiers payant, sans trompette ni fanfare, plusieurs fois par jour », par Franck, médecin de famille breton
« La généralisation du tiers payant est une mesurette démagogique et idéologique qui ne coûte rien à celle qui la propose, généreusement. Je pratique déjà le tiers payant, sans trompette ni fanfare, plusieurs fois par jour, avec tous mes patients CMU [couverture maladie universelle] et certains patients à 100 %, mais aussi tous les autres qui me le demandent ou à qui je le propose, connaissant leur difficultés financières. Il n'est pas rare que je ne demande pas du tout d'honoraires. Mais je serai en grève dure car la généralisation du tiers payant est une fausse bonne idée. Il me faudra, en plus de mes actes médicaux, ajouter des actes de comptabilité pour vérifier et pointer mes « remboursements ». Les retours de paiement sont une véritable usine à gaz et je serai bien incapable de les pointer. Je suis d'accord pour généraliser le tiers payant à une condition : que la Sécu me règle les 23 euros et qu'ensuite, elle se fasse rembourser. »
  • « Ce gouvernement veut détruire notre profession en la vendant à la découpe », par Adrian, 38 ans, Lannilis (Finistère)
« Ce gouvernement veut détruire notre profession en la vendant à la découpe. Les vaccins aux pharmaciens et aux sages femmes, le passage des visites de sport tous les trois ans, ce qui est une aberration pour les enfants, la prévention et l'éducation aux auxiliaires de santé alors que nous nous en chargeons en réclamant depuis longtemps que cela soit reconnu. (…) C'est un métier passionnant mais il y a un mal-être qui grandit. La loi santé pourrait nous rendre complétement dépendants d'une administration qui soigne des chiffres quand nous soignons des êtres humains. »

  • « La généralisation du tiers payant est la porte ouverte à une inflation de consultations sans raison », par Catherine, 53 ans, Paris-19e
« La généralisation du tiers payant est la porte ouverte à une inflation de consultations sans raison. Il faut absolument sensibiliser le patient à la valeur de notre compétence, et, la plupart du temps, cela passe par une responsabilisation du coût de l'acte médical. 23 euros à avancer pour être pris en charge correctement par des professionnels surformés, est-ce vraiment trop demander ? Nos conditions de travail sont très difficiles : les caisses ne nous parlent que d'économies au détriment de notre savoir et le patient en oublie notre art. La médecine nous concerne tous et la dégradation générale de l'exercice de la profession va nuire dans un avenir très proche à la prise en charge des patients. »
  • « C'est la fin de la liberté d'installation », par Bénédicte, généraliste en maison de santé
« Je fermerai du 23 au 31 décembre pour exprimer mon désaccord vis-à-vis de la loi que veut nous imposer Marisol Touraine. Cette loi fait des trous de gruyère dans notre exercice et je crains que bientôt, il n'y ait plus assez de matière pour tenir les trous. C'est en suivant notre patient au long cours et en le voyant régulièrement, notamment pour des suivis dits simples – dont la prévention – que nous sommes au plus près de lui et que nous sommes les plus à même de nous occuper de sa santé, y compris quand ça se complique. Je pense aussi que le tiers payant, comme on veut nous l'imposer systématiquement, n'est pas au point. Avec cette loi, c'est la fin de la liberté d'installation et donc le libre choix du médecin pour le patient, car il faudra aller voir celui qu'on aura obligé à exercer près de chez vous. »
  • « A ce prix-là, on ne va pas passer trente minutes pour résoudre un problème complexe », par Joël, 51 ans, « sorti de la médecine générale par dépit », Rouen
« L'évolution de la profession : une humiliation croissante de tous bords, patients, tutelles, médias. Avec un tarif inférieur à une coupe homme chez le coiffeur, il ne peut pas y avoir de reconnaissance. Comme pour tous les métiers en rapport avec l'humain, enseignants, politiciens, policiers, commerçants, la perte du respect de la fonction entraîne mathématiquement une perte de la qualité du travail effectué. Les conditions d'exercice sont finalement meilleures, car produire un travail bas de gamme, à la valeur de ce qu'il est rémunéré, est moins fatigant... A ce prix-là, on ne va pas faire d'heures supplémenaire, on ne va pas passer trente minutes pour résoudre un problème complexe, on va choisir les patients faciles. C'est juste un peu frustrant après avoir gâché dix ans de sa jeunesse à apprendre un beau métier qui pourrait être bien mieux mis en valeur. »

Le Monde, 22/12/2014.

« Le tiers payant est un outil fondamental de justice sociale »

Alors que des syndicats de médecins libéraux appellent à la grève, le Syndicat de la médecine générale (SMG) s’y refuse, ne cautionnant pas 
des revendications « injustes pour la population ». Pourtant, les motifs de mécontentement sont nombreux, souligne Patrick Dubreil, son secrétaire. 

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B. BOISSONNET / BSIP

Les médecins libéraux sont appelés à la grève jusqu’au 31 décembre contre le projet de loi sur la santé par quatre syndicats. Mais si, parmi eux, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) rejette un « système de soins reposant sur le tout public », son concurrent MG France, premier syndicat chez les généralistes, ne partage pas ses positions, en particulier sur la généralisation du tiers payant, qu’il veut voir encadré. Le SMG a refusé de son côté de s’associer au mouvement et défend la mise en place d’un « guichet unique ».

La colère des médecins libéraux se focalise notamment sur la question du tiers payant, que le projet de loi de santé entend rendre obligatoire. Quelle est votre position à ce sujet ?

Patrick Dubreil L’ensemble des syndicats a décidé de dire non au tiers payant généralisé. Il faut qu’ils prennent conscience qu’en pleine crise économique il n’est pas acceptable que ce dispositif soit attaqué, car c’est un outil fondamental de justice sociale. Surtout dans une période où le renoncement aux soins progresse. Tourner le dos à cette pratique, c’est rajouter de la violence à la violence. En tant que médecin, on ne peut pas le tolérer, d’autant que les pharmaciens et les kinés, eux, pratiquent le tiers payant sans que cela pose de problème…

Un grand nombre de vos collègues dénoncent non pas l’objectif du tiers payant, mais la lourdeur de ce système qu’ils jugent trop compliqué. Qu’en pensez-vous ?

Patrick Dubreil Il est vrai qu’aujourd’hui le tiers payant est utilisé au prix d’une augmentation de la charge administrative des professionnels, d’une réduction de leur temps médical et donc de leur épuisement. À chaque fois qu’un médecin effectue un tiers payant, il lui faut vérifier à quelle caisse le patient est affilié, s’il a une mutuelle et, ensuite, contrôler s’il est bien remboursé par l’assurance maladie et par les complémentaires. Cela prend du temps. En outre, l’assurance maladie ne rembourse les frais que si le patient a déclaré un médecin traitant, y compris dans les cabinets de groupe. Personnellement, je travaille avec quatre collègues. Si je reçois le patient d’un collègue, parce que celui-ci est absent, je ne suis remboursé que 30 % de la consultation car je ne suis pas déclaré comme étant son médecin traitant. Ce qui me fait un manque à gagner de 9,20 euros.
Comment, selon vous, le tiers payant pourrait-il être généralisé sans léser les médecins ?
Patrick Dubreil Au sein du SMG, nous réclamons la création d’un guichet unique, qui serait l’assurance maladie, car c’est la seule caisse qui est solidaire et c’est aussi la moins coûteuse, qui dispenserait l’avance de frais totale du tiers payant. Celui-ci serait systématiquement proposé aux patients et aux médecins qui le souhaitent tant que le système est régi par le paiement à l’acte. Concrètement, l’assurance maladie réglerait la totalité des actes de secteur 1 aux professionnels et se ferait ensuite régler le ticket modérateur par les complémentaires santé. Les médecins seraient alors libérés de la vérification administrative de la récupération d’une partie de leurs revenus et de la contractualisation avec ces mêmes complémentaires. Il faut que l’assurance maladie comprenne que ce n’est pas en faisant payer plus les malades qu’on fera baisser les dépenses de santé…

Vous évoquez en filigrane une sortie du paiement à l’acte. Pouvez-vous expliquer quel en serait l’intérêt pour les médecins et les patients ?

Patrick Dubreil Le paiement actuel favorise la course à l’acte. Plus on fait de consultations et d’actes, plus on est payé. Au SMG, nous refusons cette logique inflationniste. Tout comme nous prônons la suppression de la prime à la performance – appelée rémunération sur objectifs de santé publique. C’est un forfait variable, qui peut aller jusqu’à 12 000 euros par médecin par an, basé sur des critères médico-économiques fixés par l’assurance maladie. Inégalitaire entre praticiens, inefficace pour réduire les inégalités, comme son application l’a montré dans de nombreux pays, elle est perverse dans son principe – individualisme, logique financière prenant le pas sur le soin, formatage des pratiques… – et coûteuse pour l’assurance maladie. Nous pensons qu’il faut développer d’autres modes de rémunération. Pour éviter les inégalités de revenus des médecins, on pourrait augmenter le forfait des patients en ALD (affection de longue durée), qui est de 40 euros seulement par an, on pourrait instaurer des forfaits pour certaines pratiques. J’ai fait hier un certificat pour coups et blessures sur une femme violentée, cela m’a pris presque une heure… Pour 23 euros ! On pourrait tout à fait forfaitiser les revenus des médecins de manière globale et non variable. Quelques améliorations ont été faites, comme le forfait de la consultation post-hospitalisation, fixé à 46 euros. Sauf que, dans le même temps, au lieu de lutter contre les dépassements d’honoraires, on les a généralisés…

Comme les autres syndicats de médecins libéraux, vous êtes très critiques vis-à-vis du projet de loi santé ?

Patrick Dubreil Cette loi met tout le monde en colère dans le monde médical mais pour des motifs différents. Marisol Touraine tourne le dos à la stratégie nationale de santé, à laquelle nous avons cru, qui jetait les bases d’un système coordonné, avec une prise en compte des besoins de la population. Le décalage entre l’exposé des motifs et les mesures envisagées est énorme : d’un côté, ce projet de loi s’appuie sur la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) et renforce le pouvoir de l’État sur l’ensemble du champ médico-social à travers les agences régionales de santé. De l’autre, il n’annonce aucun changement profond de l’organisation de l’offre de santé. De notre point de vue, quelques mesurettes vont dans le bon sens, comme la délégation de tâche ou les salles de shoot. Mais c’est insuffisant. Donc oui, nous sommes en colère contre ce gouvernement qui ne prend pas en compte les besoins de la population et les réalités de terrain des médecins généralistes. Mais faire grève ne résoudra rien. C’est le mouvement social dans son ensemble qui doit permettre de débattre et de faire des propositions.

Entretien réalisé par 
Alexandra Chaignon, L'Humanité, 24/12/2014.

C’est officiel : baisser le temps de travail réduit le chômage

Un rapport parlementaire, présenté hier à la presse, démontre que la réduction du temps de travail en 2000 a permis la création massive d’emplois, sans obérer la compétitivité. Un défi que le pacte de responsabilité, cher au gouvernement, est loin de relever. 

Photo : Raphael Fournier/Divergence
À partir de 2000 et de l’instauration des 35 heures,
2 millions d’emplois ont été créés en cinq ans et
le chômage a diminué dans toutes les catégories.
Photo : Raphael Fournier/Divergence

Les Français qui ne travaillent pas. « Travailler plus pour gagner plus. » Extension du travail le dimanche. La question du temps de travail alimente bien des fantasmes, quand elle ne sert pas à justifier tous les problèmes de l’économie française. Avec l’épouvantail ultime : les 35 heures, la loi Aubry, qui en 2000 a instauré la réduction du temps de travail. Cible naturelle des frappes de la droite, elles sont aussi, depuis le virage hollandais, mises en cause par de hauts responsables socialistes. Manuel Valls, Emmanuel Macron, François Rebsamen, se prononçant tour à tour qui pour un « assouplissement », qui pour « faire sauter le verrou », qui pour « faire tomber 
le tabou »…

11,8 % de chômeurs en 1997,
8,8 % en 2001

 

Le tabou, des parlementaires se sont ingéniés à le faire tomber. Une commission d’enquête, initiée par le député UDI Thierry Benoît mais instaurée par un vote unanime, s’est penchée sur ces fameuses dispositions, pour en donner enfin la vérité des prix. Après six mois de travaux, le constat établi par Barbara Romagnan, députée socialiste nommée rapporteure de cette commission d’enquête, est clair et net. Elle le déroule en quelques chiffres : 2 millions d’emplois créés en cinq ans (« À comparer avec le siècle précédent, je dis bien le siècle, où on avait créé 3 millions d’emplois », insiste-t-elle) ; 350 000 créations « nettes » (en tenant compte des emplois disparus dans le même temps) ; baisse du taux de chômage avéré pour toutes les catégories. « Selon l’OIT (Organisation internationale du travail – NDLR), on est passé de 11,8 % de chômeurs en 1997 à 8,8 % en 2001, alors même que la population active passait de 25,5 millions à 26 millions. On a donc non seulement intégré les nouveaux venus sur le marché du travail, mais aussi réintégré les gens qui avaient été écartés ou l’auraient sans doute été en raison de leur âge », estime Barbara Romagnan.
Moins de chômeurs, d’accord, c’est établi. Mais la productivité dans tout ça ? Cela peut sembler paradoxal, mais c’est au moment de la mise en place des 35 heures que la France bat des records d’heures travaillées. On y travaille moins longtemps, certes, mais on est plus nombreux à travailler. « Ça s’est fait sans dommage pour la compétitivité française, explique la députée du Doubs. Nous sommes tous d’accord pour relativiser le poids du coût du travail dans la compétitivité. » Mais c’est tout de même là que le tableau est un peu moins réjouissant : « Le coût du travail a été largement modéré par des allégements de cotisations et un gel des salaires qui a été en moyenne de dix-huit mois », concède la rapporteure tout en appelant à « relativiser » le poids des baisses de cotisations sociales dans le succès des 35 heures. « Les gouvernements précédents et les suivants en faisaient, et pourtant on n’avait pas autant de création d’emplois. Le gouvernement actuel a baissé pour 41 milliards les cotisations des entreprises, ce n’est pas pour ça que l’on a autant de création d’emplois ».
Et c’est bien grâce aux créations d’emplois générées par les 35 heures que les caisses ne se sont pas vidées excessivement : « Il y a les cotisations qui ne rentrent plus parce qu’on les a baissées. Mais il y a aussi les cotisations de ceux qui ont retrouvé un emploi, les chômeurs que l’on n’a plus besoin d’indemniser et la consommation des ménages qui se relance. Cela fait des rentrées. » Un emploi créé grâce aux 35 heures « coûte » environ 12 800 euros à l’État. Un chiffre que Barbara Romagnan appelle à comparer, avec le pacte de responsabilité. « En échange de 41 milliards de baisse de cotisations, on n’a pas vu de création d’emplois, relève-t-elle. Même si on arrivait à 1 million (comme le fait miroiter le patronat – NDLR), cela signifierait que chaque emploi aurait coûté 41 000 euros. » En 2003, 2004, puis en 2008 avec la loi Tepa, le contingent d’heures supplémentaires à la disposition des entreprises augmente fortement, annihilant l’effet de la réforme. Mais la méthode pourrait-elle à nouveau fonctionner aujourd’hui ? Faut-il aller, comme certains le recommandent, vers les 32 heures ? Certes, la croissance de 2000 n’est plus là, mais, note la députée, « si on n’utilise pas la loi et la négociation pour répartir autrement le travail, il va évidemment continuer à se réduire ». À bon entendeur.
Une souplesse déjà bien généreuse. « Je ne vois pas très bien ce que l’on pourrait faire pour assouplir encore les 35 heures », estime Barbara Romagnan. Les entreprises ont notamment obtenu la possibilité d’annualiser le temps de travail pour que leurs salariés travaillent plus sur une période intense, sans recourir aux heures supplémentaires, mais à condition qu’ils travaillent moins sur une autre période.
 Par Adrien Rouchaleo, L'Humanité, 17/12/2014.

Notre système de soins est-il vraiment en péril ?

Etienne Caniard, président de la Mutualité française

L’ampleur inhabituelle de la mobilisation des médecins appelant à fermer leur cabinet entre Noël et le Jour de l’an ne peut laisser indifférent. Le projet de loi santé, qui focalise les mécontentements de nombreux professionnels, mérite-t-il cette réprobation ? L’outrance des positions de la plupart des syndicats médicaux, de l’Ordre des médecins, les excès de certaines campagnes de communication pourraient laisser penser que les orientations de la future loi menacent la médecine libérale, et au-delà tout notre système de santé.


Caisse primaire d'assurances maladie (CAM), 8 octobe 2014 à Lille (Nord). AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN
Caisse primaire d'assurances maladie (CAM), 8 octobe 2014 à Lille (Nord).
AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN | AFP / PHILIPPE HUGUEN


Trois dispositions de cette loi concentrent les critiques : la timide évolution du dispositif conventionnel pour mieux prendre en compte les disparités territoriales, la volonté d’encadrer les pratiques tarifaires dans le service public hospitalier ouvert aux cliniques privées et la généralisation du tiers payant. Ce sont pourtant trois dispositions qui visent à lutter contre les renoncements aux soins, qui n’ont jamais été aussi élevés : 26 % de nos concitoyens. La généralisation du tiers payant facilite l’accès aux soins. Il est déjà pratiqué par près de 100 000 professionnels de santé en France, de manière volontaire et à la satisfaction de l’immense majorité d’entre eux et des patients.
C’est aussi un moyen de paiement moderne qui, généralisé, permettrait de laisser plus de 11 milliards d’euros dans l’économie, à la disposition des ménages. Ce progrès va tellement de soi qu’il a été adopté par vingt-cinq des vingt-huit pays européens. Bien sûr, sa mise en œuvre ne doit pas générer de charge administrative nouvelle pour les professionnels de santé. Les complémentaires s’y engagent, car rien ne se fera sans les médecins, moins encore contre eux.

Il faut aller plus loin

 

En réalité, l’opposition au tiers payant est le symptôme d’un malaise plus profond, lié notamment aux conditions d’exercice, aux contenus des métiers, à l’adaptation des pratiques au progrès médical. La question des rémunérations doit aussi être abordée. Certains médecins, les généralistes, ceux dont la pratique est essentiellement clinique et nécessite temps et écoute, les praticiens de secteur 1 [tarif qui sert de base aux remboursements de la caisse d’assurance-maladie] en général et l’immense majorité des soignants, éternels oubliés du débat, doivent bénéficier de revalorisations. Celles-ci sont en cours pour les généralistes à travers les rémunérations forfaitaires qui ont permis une progression significative de leurs revenus. Il faut aller plus loin !
Nous avons besoin d’une approche d’ensemble de la rémunération des professionnels de santé, d’une véritable politique des revenus et des carrières, qui nécessite de revoir profondément l’ensemble du dispositif conventionnel avec les professionnels de santé – dispositif qui n’a atteint aucun de ses objectifs dans les dernières décennies. La contractualisation avec les professionnels de santé doit permettre une relation directe entre ces derniers et les mutuelles, afin de mieux rembourser les dépassements d’honoraires lorsqu’ils sont pertinents et raisonnables, pour réduire le reste à charge des patients tout en contribuant à la revalorisation de la pratique des médecins – notamment clinique.
Enfin, avant même les questions de financement, notre système souffre d’un défaut d’organisation. Aucune solution n’émergera si l’Etat, après avoir fixé les objectifs et affiché les résultats à atteindre, ne fait pas confiance aux acteurs. Le système est trop complexe pour prétendre pouvoir être géré de manière centralisée et solitaire par l’Etat ou l’Assurance-maladie. Les acteurs (professionnels de santé, complémentaires…) doivent pouvoir prendre leurs responsabilités, négocier entre eux, s’adapter aux réalités territoriales, aux besoins spécifiques de certaines populations, s’engager sur des résultats et, surtout, revenir toujours à l’intérêt des patients. Il est temps de donner au débat sur la politique de santé et de protection sociale la place qui doit être la sienne dans la définition de politiques publiques. La Mutualité prendra sa place dans ce débat, avec pour seul objectif d’améliorer l’accès aux soins et de diminuer le reste à charge des Français.

Le Monde, 22/12/2014.

Inquiets sur leurs études, les étudiants-infirmiers dans la rue

Plusieurs centaines d’étudiants aussi joyeux que déterminés ont défilé en blouses, jeudi 18 décembre, entre la République et le siège de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), derrière la bannière de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) aux cris de « Formation en danger, étudiants mobilisés ».

 

Manifestation d'étudiants-infirmiers, à Paris, le 18 décembre.
Photo Eric Feferberg / AFP


En cause : le risque, apparu ces dernières semaines, de devoir rembourser, pour certains, leurs frais de scolarité après avoir accédé au concours de ces écoles en trois ans, très sélectives et souvent fréquentées lors de conversions professionnelles. « On ne veut pas payer, sacrifiés en premier », ont scandé les jeunes professionnels de santé. « Etudiants en colère », ont-ils crié en chœur.
Depuis 2004, le financement des études dans le cadre de la formation professionnelle a été transféré aux régions. Une convention passée en 2012 entre l’AP-HP et la Région Ile-de-France fixe des critères d’éligibilité des étudiants au remboursement de leur formation : comme l’âge, le statut (titulaire du RSA, contrat aidé…). Ce dont tout le monde paraît se rendre compte depuis peu.
Et, sur les 8 000 étudiants que compte l’AP-HP, environ 200 étaient encore, au moment de la manifestation, potentiellement concernés par une demande de remboursement de leurs études, soit environ 22 000 euros sur trois ans, redoute Loïc Massardier, président de la Fnesi.
Dans un communiqué publié après la réception de la délégation étudiante, l’AP-HP a estimé que 75 étudiants – soit 1 % de l’effectif – seraient amenés à autofinancer leur formation, même si environ un quart des 2 000 dossiers en cours d’examen serait encore incomplets. « C’est révélateur d’une problématique de fond : le financement est-il suffisant, compte tenu qu’il s’agit d’une formation prise en charge par la région pour des étudiants infirmiers du service public dont les rémunérations ne seront pas folles ? », s’interrogeait Loïc Massardier, président de la Fnesi.

« Beaucoup de gens vont abandonner »

 

Ce dernier espérait une meilleure solution que la mise en place d’un simple examen au cas par cas par des assistantes sociales et d’un étalement des versements proposé par l’AP-HP. Sa délégation avait aussi rendez-vous au conseil régional en fin de journée. « Les étudiants ont mal, conseil régional ! », faisait aussi partie des slogans.
« Je suis potentiellement concerné, car ne suis pas dans les critères : j’ai plus de 26 ans et j’ai continué à bosser comme pion jusqu’à la veille de la rentrée, parce que j’en avais besoin, que je voulais rester indépendant. On pourrait donc me reprocher, en quelque sorte, de ne pas avoir été chômeur inscrit à Pôle emploi pendant trois mois… », s’inquiète Claude-Emmanuel Barrot, 29 ans, étudiant en troisième et dernière année, présent à la manifestation.
Autour de lui, des jeunes âgés de 21 à 23 ans, et aussi élèves de deuxième et troisième années. Concernés ou pas ? En cas de redoublement peut-être ? Le flou règne encore mais Laure Guillaume, Yelena Bodiangi, Nassira Akkari, Leila Flereau, Malika Cialec ou Julie Fernandez sont unanimes : « Si c’est ça, beaucoup de gens vont abandonner, car nous ne sommes pas riches. Ce n’était pas stipulé : si c’était une école payante, on ne serait pas là, on ne se serait pas inscrits au concours. On a déjà des emprunts pour vivre en région parisienne, payer la taxe d’habitation, les cartes de transport… », dit l’une.

 

« 60 centimes de l’heure la première année »

 

« Quand on gagnera 1 500 euros net par mois en début de carrière, on ne sera pas très riches. Et en trois ans de formation, on aura déjà fait un an et demi de stages, où les frais de transports ne sont pas pris en charge et nous n’avons pas toujours accès à la cantine », indique un autre.
« Pendant ces stages, nous faisons 35 heures officiellement par semaine, comme les titulaires, y compris les week-ends et les jours fériés, pour un dédommagement hebdomadaire de 23 euros la première année, 30 euros la seconde et 40 euros la troisième ! », précisent les manifestants.

Lire aussi : Les étudiants infirmiers pris en otage par les cliniques privées

« On a calculé : 60 centimes de l’heure la première année, 66 centimes la seconde et un peu plus d’un euro la troisième… », soulignent les étudiants. « Il y a beaucoup de reconversions, de pères et de mères de famille : très peu de post-bac. On ne vient pas de milieux aisés, il y a très peu de Parisiens, et nous n’avons pas accès aux bourses universitaires mais aux bourses régionales qui ne correspondent pas aux mêmes échelons », concluent ces étudiants.
Des solutions seront peut-être trouvées pour les étudiants concernés et peut-être seront-ils finalement peu nombreux à devoir sortir de l’argent de leur poche.

Par Adrien de Tricornot, Le Monde, 18/12/2014.

Les élèves manquent de temps pour apprendre à lire

Et si les 15 % de jeunes qui ânonnent encore en fin d’école primaire avaient tout simplement manqué de temps pour apprendre à lire ? C’est la thèse que défend Bruno Suchaut, directeur de l’Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques (URSP) suisse et professeur à l’université de Lausanne. Son article, qui sera publié prochainement dans une revue scientifique, pourrait offrir une aide précieuse à la « priorité au primaire » promise par les ministres successifs de l’éducation – et le chef de l’Etat, François Hollande – mais jamais concrétisée.

Des écoliers effectuent un exercice de lecture dans une école à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), le 27 août 2012.
Des écoliers effectuent un exercice de lecture dans une école
à Vitrolles (Bouches-du-Rhône), le 27 août 2012. | GERARD JULIEN / AFP


Spécialiste du temps scolaire, Bruno Suchaut est arrivé à la conclusion inédite qu’il faut 35 heures de sollicitation quasi individuelle de chaque élève fragile durant son année de CP pour être sûr qu’il apprenne à lire. Or, les observations qu’il a menées avec la chercheuse Alice Bougnères de l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu) dans une centaine de classes l’ont conduit à la conclusion que le temps moyen durant lequel chaque élève travaille effectivement ses compétences en lecture est de 20 heures.

 

Un vrai temps de qualité

 

Comme le rappelle Bruno Suchaut, « il a été montré que le temps d’engagement individuel sur une tâche est un facteur majeur de la réussite des élèves. Ce temps passé concentré et actif est directement corrélé à trois quarts des acquisitions en mathématiques ou en français, et notamment chez les élèves faibles au départ ». Bref, il faut non seulement y consacrer du temps, mais un vrai temps de qualité durant lequel l’élève est sollicité quasi individuellement.
« Pour apprendre à associer deux sons à l’oral, la majorité des élèves faibles que nous avons observés ont eu besoin de 2 h 30 d’engagement effectif. Pour combiner automatiquement les lettres, jusqu’à lire des mots et des phrases courtes, il a fallu entre 15 et 20 heures ; et ensuite une dizaine d’heures pour comprendre un texte simple et être capable de le lire avec une relative fluidité… Pour les 30 % d’élèves les plus fragiles, il faut donc près de 35 heures d’engagement individuel pour devenir lecteur », résume M. Suchaut.
Comparé à ce temps nécessaire, le temps d’engagement réel proposé dans les classes est largement déficitaire. Pour le calculer, le chercheur a d’abord soustrait aux 864 heures de classe annuelles théoriques les absences des enseignants, des élèves et les sorties scolaires (− 130 heures) ainsi que le temps passé sur des disciplines autres que la lecture (− 534 heures). « Nous estimons à 200 heures annuelles le temps effectivement alloué à la lecture. Cela représente les deux tiers du temps consacré au français en CP », rappelle le chercheur.

 

Quelques pistes

 

La grosse déperdition se niche après. C’est le décalage entre le temps passé en classe et le temps efficace… « Pour déterminer le temps d’apprentissage effectif d’un élève, il ne faut retenir que le laps de temps où il s’engage vraiment individuellement. Or nos observations montrent que ce temps-là est très réduit. Si l’enseignant travaille en petits groupes, on peut atteindre 20 % du temps de la séance ; s’il est face à une classe entière, chaque élève sera engagé dans son apprentissage entre 5 et 10 % du temps total qu’il aura passé. » Ce qui explique qu’un élève n’avance en lecture que durant 20 heures sur son année. Insuffisant pour les plus faibles.
Pragmatique, le chercheur avance quelques pistes, qui pourraient trouver place rapidement dans la refondation de l’école, sans requérir de moyens supplémentaires par rapport à ceux promis. « On peut envisager, dans les classes où le maître travaille par petits groupes, de permettre à l’élève de réaliser une tâche d’apprentissage sur support numérique pendant les séances des autres groupes. Avec les maîtres supplémentaires, promis pour la refondation de l’école, on peut arriver à 30 heures d’engagement individuel des élèves dans les classes qui auront deux adultes… Et puis, on peut recourir aussi au temps d’activité périscolaire à condition que les intervenants articulent leurs pratiques avec l’enseignant », estime le chercheur.
La volonté politique suffirait. Mais aujourd’hui, les quelques maîtres supplémentaires arrivés dans les classes sans contrat précis risquent fort de ne pas permettre d’augmenter ce temps réel d’apprentissage des fondamentaux. C’est en tout cas ce que disent les premières observations réalisées par les inspecteurs généraux.

dimanche 14 décembre 2014

Le Conseil d'Etat valide l'attribution de la nationalité française aux enfants nés après GPA à l'étranger

Sa diffusion avait fait grand bruit et avait permis aux questions autour de la gestation pour autrui (GPA) de faire une irruption fracassante dans le débat parlementaire sur le mariage pour tous, fin janvier 2013. La circulaire Taubira, dont l’objectif est de faciliter la délivrance de papiers d’identité français à des enfants nés par GPA à l’étranger, a été validée par le Conseil d’État, vendredi 12 décembre.


Cette circulaire était attaquée par plusieurs associations familiales et catholiques et par de nombreux députés de l’opposition, représentés par Guillaume Larrivé, député UMP de l’Yonne. Ces élus estiment d’une telle reconnaissance encourage le contournement de la loi en avalisant le fait de se rendre à l’étranger malgré l’interdiction de la GPA en France.

La plus haute juridiction administrative estime que, même si la GPA est interdite sur le sol français, le fait qu’un enfant naisse par ce biais à l’étranger ne peut justifier de le priver de sa nationalité, dès lors que sa filiation avec un parent français est légalement établie à l’étranger. « Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français (…), tout acte d’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait, en principe, foi », rappelle le Conseil d’Etat.


« ATTEINTE DISPROPORTIONNÉE AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE DE L’ENFANT »

Les enfants nés par GPA ont au minimum un parent français, le père biologique, dont les gamètes ont été utilisés pour la fécondation in vitro avant l’implantation de l’embryon dans l’utérus de la mère porteuse. Ne pas délivrer de certificats de nationalité française serait « une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’enfant », estiment les juges administratifs, qui se réfèrent à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Cette validation est une victoire pour la garde des sceaux, Christiane Taubira, qui entendait ainsi résoudre une partie des difficultés rencontrées par les parents d’enfants nés par GPA à l’étranger (quelque 200 couples hétérosexuels et homosexuels y ont recours chaque année selon les associations), qui vivent en France avec des papiers étrangers.

Le certificat de nationalité française autorise en effet en théorie la délivrance de papiers d’identité français sans passer par une transcription de la filiation établie à l’étranger à l’état-civil national, interdite par la jurisprudence de la Cour de cassation. C’est aussi une victoire pour les parents, pour qui des papiers officiels représentent une forme de normalisation de leur situation.

Dans les faits, la circulaire a été très diversement appliquée jusqu’à aujourd’hui. Des arrêts rendus par la Cour de cassation en septembre 2013 ont effet semé le doute dans les tribunaux. La Cour estimait que le refus de transcription d’un acte de naissance établi à l’étranger lorsque la naissance « est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui ».


Une mère porte l'une de ses jumelles, nées d'une mère porteuse ukrainienne.
Photo AFP/OLEXANDER ZOBIN

DEPUIS JUIN, RIEN N'A BOUGÉ

De nombreux dossiers sont remontés à la Chancellerie pour avis. Fait remarquable, le Conseil d’Etat se réfère explicitement à l’article 8 de la CEDH. Celui au nom duquel la Cour européenne a condamné, en juin, la France, pour refus de transcrire l’état-civil d’enfants nés pas GPA à l’étranger. Cependant, depuis juin, rien n’a bougé. Aucune transcription d’un état-civil établi à l’étranger après une naissance par GPA n’a encore eu lieu.

« La seule voie possible est de saisir de tribunal », estime l’avocate Caroline Mécary, qui a assigné le procureur de la République de Nantes afin d’obtenir cette transcription pour les enfants de trois de ses clients (l’état-civil des enfants français nés à l’étranger est centralisé à Nantes). Les époux Mennesson, concernés au premier chef car c’est sur leur situation concrète que la CEDH s’est prononcée, s’apprêtent à effectuer la même démarche.

« Le procureur ne bouge pas, il dit attendre des instructions de la chancellerie, tandis que la chancellerie affirme qu’elle n’a aucune instruction à donner », ironise Me Mécary. Le sujet oppose Manuel Valls, qui a écarté toute « transcription automatique » et Mme Taubira, qui souhaite faire appliquer la décision de la CEDH. L’opinion, elle, est favorable. Selon un sondage IFOP réalisé les 2 et 3 décembre, 65 % des personnes interrogées souhaitent que les enfants aient des papiers français et 72 % sont pour la délivrance d’un livret de famille, obtenu par la transcription des actes d’état civil étrangers.
 

Le Monde,

Sida : des objectifs fixés pour en finir avec l’épidémie en 2030

Le monde est à un tournant. « Nous avons infléchi la courbe de l’épidémie. A présent, nous avons cinq années pour la briser, sinon l’épidémie rebondira encore plus fort. » C’est le message que véhicule le nouveau rapport annuel du Programme commun des Nations unies contre le VIH-sida (Onusida), « Fast-Track » (« Programme accéléré : mettre un terme à l’épidémie d’ici à 2030 »), rendu public mardi 18 novembre. Si l’on redouble d’efforts et que les objectifs pour 2020 sont tenus, l’humanité pourrait bien vaincre la plus grande épidémie contemporaine.


Ainsi, avec l’accélération prônée par l’Onusida, 28 millions de nouvelles infections par le VIH et 21 millions de morts liées au sida seraient évitées entre 2015 et 2030. Pour l’institution des Nations unies, il est clair que des progrès importants ont été accomplis de manière accélérée au cours des cinq dernières années. S’il ne fallait en prendre qu’un exemple, celui du nombre de personnes vivant avec le VIH et ayant accès aux traitements antirétroviraux serait emblématique.

13,6 millions de personnes sous traitement

En 2011, lors de l’assemblée générale extraordinaire des Nations unies sur le sida, le directeur exécutif de l’Onusida, Michel Sidibé, pressait les Etats membres de s’engager sur l’objectif de 15 millions de personnes sous antirétroviraux en 2015 dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. A l’époque, seulement 6 millions de personnes en bénéficiaient, et encore, 1,4 million d’entre elles n’y ont accédé qu’en 2010.
Le rapport « Fast-Track » mentionne qu’en juin 2014 13,6 millions de personnes porteuses du VIH étaient sous traitement. « Nous avons de bonnes raisons de penser que nous atteindrons l’objectif fixé pour l’année 2015. Ce n’est pas tous les jours que les institutions internationales tiennent en temps et en heure leur promesse », se réjouit Michel Sidibé.
Pourtant, l’optimisme doit être tempéré, car nombreux sont ceux qui sont laissés pour compte du fait de leur statut social ou de leur orientation sexuelle, reconnaît le directeur exécutif de l’Onusida. Si à la fin de 2013 38 % des adultes vivant avec le VIH avaient accès aux traitements, la proportion tombe à 24 % pour les enfants. Au cours du premier semestre 2014, le nombre d’enfants traités s’est accru de 3 %, quand il augmentait de 6 % pour les adultes.



Le Monde, Paul Benkimoun, 18/11/2014.


Sédation profonde et directives anticipées : ce que permettrait le nouveau droit à mourir

Un patient atteint d’une maladie grave et incurable, et « dont le pronostic vital est engagé à court terme », pourra, demain, être en droit d’exiger une sédation profonde jusqu’à son décès afin d’éviter de souffrir. C’est le sens de la proposition qu’ont remise à François Hollande, vendredi 12 décembre, les députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) et que le chef de l’Etat a approuvée.

Sédation profonde

La sédation profonde consiste en l’injection d’un cocktail médicamenteux qui plonge le patient dans un état d’inconscience. La mort survient soit parce qu’il est au dernier stade de sa maladie, soit parce que ses traitements ont été arrêtés, ou enfin parce que son hydratation et son alimentation artificielle sont interrompues. La sédation risque aussi d’accélérer la mort.
Si cette pratique a déjà cours dans les hôpitaux français, « elle est loin d’être générale ni homogène », relèvent les deux parlementaires, pour expliquer pourquoi ils souhaitent lui donner force de loi. La sédation profonde et continue devrait également concerner, selon eux, un patient qui déciderait de demander l’arrêt de tous les traitements qui le maintiennent en vie, « parce qu’il estime que [ces traitements] prolongent inutilement sa vie, étant trop lourds ou ayant trop duré ».
L’actuelle loi sur la fin de vie, dite loi Leonetti, mentionne explicitement le fait qu’un traitement puisse « avoir pour effet secondaire d’abréger [la] vie » du patient. Face à ce « double effet » des sédatifs ou des antalgiques, certains s’inquiètent, notamment dans le milieu des soins palliatifs, de la frontière entre sédation profonde et euthanasie passive.

François Hollande a approuvé les propositions des députés Alain Claeys et Jean Leonetti qui préconisent des nouveaux droits pour les patients en fin de vie.
Photo AFP / Thomas Samson

Euthanasie passive ?

Lors de son audition à l’Assemblée nationale, Vincent Morel, le président de la Société française des soins palliatifs (SFAP), a ainsi dit se méfier d’un « droit créance », c’est-à-dire qui systématiserait cette sédation. Pour lui, « sa mise en place créerait une confusion majeure sur la finalité de cette pratique. Le parallèle entre euthanasie et sédation pourrait alors être effectué ».
Pour distinguer les deux, le rapport du professeur Didier Sicard sur la fin de vie, rendu en décembre 2012, mettait en avant deux critères : l’intention et les médicaments utilisés sont différents. « Le plus difficile est de ne pas faire de ce double effet une culture euthanasique par défaut », alertait le rapport, qui précisait cependant que « l’administration de doses massives d’un sédatif ne peut pas s’appeler un double effet. Il s’agit, qu’on le veuille ou non, d’une pratique euthanasique lente ».
Pour M. Claeys, les cas dans lesquels ces « actes médicaux » de sédation doivent être pratiqués sont « parfaitement décrits » dans la proposition de loi. « On ne peut pas être débordé par je ne sais quel apprenti sorcier », assure-t-il.
La sédation doit « être associée à l’arrêt de tout traitement de maintien en vie », expliquent les deux parlementaires. Par ce terme, ils désignent aussi bien les « techniques invasives de réanimation », comme un respirateur artificiel, les traitements antibiotiques ou anticoagulants que les traitements dits de « survie », parmi lesquels la nutrition et l’hydratation artificielle. Vincent Lambert, le patient tétraplégique dans un état végétatif sur le sort duquel la famille se déchirait, entre dans ce cas de figure.
Cette sédation doit par ailleurs être « continue » jusqu’au décès, prévoient Alain Claeys et Jean Leonetti. Aujourd’hui, il arrive en effet que des médecins réveillent des patients pour leur demander de confirmer leur décision. Ce que Bernard Devalois, responsable d’une unité de soins palliatifs, assimile à une forme de « maltraitance ».

Directives anticipées

Les médecins auront enfin l’obligation de respecter les « directives anticipées » laissées par les patients à des proches sur le sort qu’ils souhaitent. Le texte prévoit cependant deux exceptions. En cas d’urgence vitale, lorsque le médecin n’a pas eu le temps d’avoir accès aux souhaits du patient. Et lorsque ces directives sont « manifestement inappropriées ». Jean Leonetti cite l’exemple d’une femme qui avait simplement écrit « ne pas vouloir de tuyaux ». Le médecin devra alors justifier son refus, consulter un confrère, et motiver sa décision par écrit dans le dossier médical.
Les directives devraient enfin évoluer dans leur forme. Aujourd’hui rédigées sur papier libre, elles peuvent parfois « ne pas être claires, ni assez précises ou adaptées à la situation de la personne », ce qui peut « conduire le médecin à les négliger ». Elles devraient donc à l’avenir être rédigées selon un « cadre de rédaction » déjà défini, comme cela se pratique en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Aujourd’hui renouvelables tous les trois ans, elles seraient sans délai de validité, « la dernière rédaction étant à retenir », comme pour les testaments.

Le Monde,
François Béguin, 12/12/2014.

Fin de vie : Hollande veut instaurer un « droit nouveau » à mourir

Après avoir soigneusement temporisé et consulté plus qu’à l’envi, François Hollande a, enfin, trouvé le point d’équilibre politique sur une des plus délicates questions sociétales de son quinquennat, celle de la fin de vie. La formule avancée se veut la plus consensuelle possible : ni suicide assisté ni euthanasie, mais la mise en place d’un « droit nouveau » des personnes. C’est ce qu’ont proposé, vendredi 12 décembre, sans véritable surprise, les députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) au président, qui leur avait demandé en juin de préparer, « dans un esprit de rassemblement », un nouveau texte de loi.


Le chef de l’Etat, estimant que « le temps est venu d’engager la discussion parlementaire sur ces bases », semble néanmoins à ce stade disposé à accélérer, qui a demandé, vendredi 12 décembre, « à ce qu’un débat général puisse être organisé dès le mois de janvier à l’Assemblée nationale ». À l’Elysée, on souligne ainsi qu’un débouché politique rapide conclut deux ans et demi de pilotage pointilleux et parfois déroutant. « La démarche consensuelle n’exclut pas la rapidité d’exécution, explique un conseiller. Le président avait certes cherché la convergence, mais le résultat est puissant et fort, car il consacre le droit à mourir dans la dignité. Il y a une volonté d’aller vite. »
MM. Claeys et Leonetti, dans leur proposition de loi, souhaitent en effet que soit inclus dans le code de la santé publique un droit à une sédation « profonde et continue » en phase terminale et que les directives anticipées, jusqu’ici simplement indicatives, s’imposent sous certaines conditions aux médecins. « Ce basculement d’un devoir des médecins à un droit nouveau des malades est une étape culturelle lourde », juge Jean Leonetti, dont la loi d’avril 2005 sur la fin de vie porte le nom. Une loi qui, selon François Hollande, « reste mal connue » et « donc mal appliquée », mais laisse également « des questions en suspens, notamment la prise en compte des volontés de la personne en fin de vie ».

Le droit à la sédation, une « inégalité de fait »

« Notre texte lève un certain nombre d’ambiguïtés », estime Alain Claeys. Il l’assure, cette proposition de loi est le fruit d’un « cheminement, pas d’un compromis » avec M. Leonetti. « On n’a ni l’un ni l’autre renoncé à quoi que ce soit. On savait sur quoi on voulait aboutir. » À en croire les parlementaires, il ne s’agirait donc pas d’un accord sur un plus petit dénominateur commun, mais bien d’une avancée.
Le droit à une sédation « profonde et continue » constitue ainsi, selon eux, une réponse à des pratiques « très hétérogènes » qui créent aujourd’hui une « inégalité de fait ». Leur proposition s’appuie sur le « consensus » qui ressort, selon eux, des rapports rédigés par le professeur Didier Sicard en décembre 2012 et par le Comité national d’éthique (CCNE) en juillet 2013. Ce droit, qui ne figurait jusqu’à présent pas dans les textes de loi, devrait permettre de soulager les souffrances d’un malade atteint d’une maladie grave et incurable, « dont le pronostic vital est engagé à court terme » et pour lequel aucun traitement ne s’est montré efficace. Il pourra aussi concerner un malade atteint d’une maladie grave et incurable qui déciderait d’arrêter les traitements le maintenant en vie.

Pour les deux députés, les directives anticipées devraient également être profondément remaniées. Elles devraient être rédigées sur un modèle standardisé, ne plus avoir de durée de validité limitée, et leur existence devrait figurer sur la carte Vitale d’assuré social. Enfin, et c’est l’autre grande proposition, elles devraient s’imposer aux médecins, ce qui « devrait les faire apparaître plus utiles ». Les deux parlementaires estiment que leur texte s’accorde avec la proposition n° 21 du programme du candidat Hollande en 2012 qui faisait état de la possibilité pour une personne « en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable » de pouvoir bénéficier, « dans des conditions précises et strictes », d’une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».

Deux ans et demi de réflexion

C’est donc, conformément à sa préoccupation, un texte consensuel, susceptible d’être voté au Parlement par la droite et la gauche, qu’a reçu vendredi le chef de l’Etat. Mais, également, une réelle avancée. Personnellement concerné par la question de la fin de vie depuis le décès de sa mère, Nicole Hollande, en 2009, et convaincu de la nécessité d’une évolution législative d’une part, au point de l’avoir inscrite dans ses 60 engagements de campagne, le président se montrait également soucieux de ne pas ressusciter les tensions et fractures qui avaient accompagné le vote du mariage pour tous, insuffisamment anticipées par l’Elysée. « Je souhaite que ce texte puisse être élaboré sans polémiques, sans divisions et simplement dans l’idée qu’un cheminement est possible pour rassembler toute la société », avait posé M. Hollande en janvier.
C’est pourquoi le chef de l’Etat s’est donné près de deux ans et demi de réflexion sur la question, en la confiant à la mission Sicard d’abord, puis au CCNE et enfin, en novembre 2013, à une conférence de citoyens. Et avait, à plusieurs reprises, reporté une date d’examen sur ce sujet. A ce stade, « il était inutile de repartir à nouveau dans un cycle d’auditions qui avaient déjà été menées », selon un conseiller, qui souligne « un texte de loi fort, qui change beaucoup de choses dans le paysage ». M. Hollande l’assure : « Le vote de cette loi constituera un grand progrès. Mais il ne faut pas seulement ouvrir le droit. Il convient aussi de faire évoluer les mentalités, les attitudes, les pratiques. »
Pressentant le contenu du texte, l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), qui milite pour la légalisation de l’euthanasie, avait d’ores et déjà appelé à un rassemblement vendredi après-midi devant l’Assemblée nationale pour dénoncer une « loi Leonetti de gauche ». Conscient qu’ils ne donneront satisfaction ni aux partisans du suicide assisté ou de l’euthanasie ni aux militants pro-vie partisans d’un certain statu quo, Jean Leonetti et Alain Claeys assument. « Nous voulions répondre aux attentes des citoyens, pas à celles des associations et des lobbys », déclare le premier. « Le débat de société, légitime, entre laisser mourir et faire mourir ne s’arrêtera pas avec cette proposition de loi », assure le second. Quant au chef de l’Etat, il estime qu’avec ce texte « c’est toute la société que nous ferons progresser ».

Le Monde,