samedi 30 mai 2015

La délicate évaluation du « coût social » du tabac

Alors que l'Assemblée nationale a commencé à examiner le budget de la Sécurité sociale 2015, l'ancienne ministre socialiste Michèle Delaunay et un groupe de députés ont présenté mardi 21 octobre un amendement qui réclame que le prix du tabac soit « fixé de manière à compenser le coût sanitaire et social, minoré des recettes liées au tabac ». Un coût difficile à estimer.


En France, le prix du tabac est composé à 80 % de taxes, tandis que 8,74 % reviennent aux buralistes, et le solde va aux fabricants.
En France, le prix du tabac est composé à 80 % de taxes, tandis que 
8,74 % reviennent aux buralistes, et le solde va aux fabricants. Curran Kelleher/CC

47,7 milliards d'euros Le tabagisme et ses conséquences coûtent cher à la société, on le sait. La ministre de la santé, Marisol Touraine, l'avait rappelé à l'occasion du lancement du plan antitabac, avançant le chiffre de 47,7 milliards d'euros par an. Ce, alors que les rentrées fiscales ne représenteraient que 12 milliards d'euros par an, selon la Cour des comptes. Soit un manque à gagner pour l'Etat de 35,7 milliards d'euros.
>> Lire : Encadrement du vapotage, mise en place du paquet « neutre » : les annonces du plan antitabac

Un chiffre fiable ?

Ce chiffre de 47,7 milliards d'euros est avancé depuis une dizaine d'années par l'ensemble des acteurs de la lutte contre le tabac.
Dans son rapport sur les politiques de lutte contre le tabagisme, qui date de 2012, la Cour des comptes pointe du doigt les approximations méthodologiques de l'étude, préjudiciables à l'efficacité de la lutte contre le tabac.
« Si la dangerosité du tabac ne fait plus aujourd'hui débat, le coût sanitaire et social indirect du tabagisme et son impact en termes de dépenses d'assurance maladie font l'objet de contestations récurrentes par certains acteurs. »
En d'autres termes, l'existence d'un coût direct élevé est avérée, mais l'estimation du coût total du tabagisme pour la société « fait appel à des hypothèses ouvertes à la discussion ». Coûts sanitaires, coûts pour l'entreprise et l'individu...


Pour l'auteur même de l'enquête ayant abouti au chiffre de 47 milliards, Pierre Kopp, « la mesure du coût social du tabac pose un sérieux problème méthodologique » : est-ce un coût imputable à la collectivité ou à l'individu, dans la mesure où ce dernier choisit de fumer en toute conscience ? L'économiste, enseignant à Paris 1, ajoute : 
« Un calcul économique qui n'accorderait aucun poids à la satisfaction du fumeur rangerait la totalité des coûts de la santé du fumeur du côté des externalités, et qui considérerait les profits des entreprises du tabac comme trop amoraux pour être pris en compte aboutirait inéluctablement à un résultat conduisant à bannir le tabac de la société. »
Calcul qu'il ne fait pas. Autres limites, que reconnaît l'auteur, l'actualisation des données (qui datent de 2000) et l'hypothèse de plein-emploi des fumeurs (pour en déduire le manque à gagner de la sphère privée).
La Direction générale de la santé (DGS) considère qu'« il n'y a pas de raison de considérer que ces estimations soient fondamentalement obsolètes en termes de grands équilibres ». Elle a cependant indiqué qu'une nouvelle étude devrait paraître d'ici la fin de l'année.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS), elle, ne dispose pas de comparaisons internationales sur le coût global du tabagisme.

Pourquoi y a-t-il si peu d'études sur cette question ?

Pas la moindre trace d'autres évaluations, à part celle commandée par la Cour des comptes à l'Assurance-maladie pour la seule partie « branche maladie ».   La principale raison invoquée : les études du coût social sont rares car onéreuses, de l'ordre de 50 000 euros l'une, selon Pierre Kopp.
Les études ont été financées par la DGS pour  l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), groupement d'intérêt public. Elles sont réalisées par des chercheurs indépendants à la suite d'un appel d'offres.
Par ailleurs, les études prennent du temps, et peu de chercheurs sont spécialisés dans le domaine (on peut citer également Catherine Hill et Philippe Fenoglio). 
L'étude de Pierre Kopp a été actualisée (incluant par exemple le changement de modalité pour les remboursements des traitements du cancer du poumon) pour la dernière fois en 2006, avec un financement de l'Institut national du cancer (INCA)

Quid du rapport entre dépenses et recettes ?

La légende urbaine fait long feu : nombreux sont les Français à croire que les fumeurs rapportent plus qu'ils ne coûtent à l'Etat, en raison de la fiscalité du tabac.
Pourtant, les chiffres ne sont pas vraiment en faveur des fumeurs : ces derniers coûtent 47,7 milliards d'euros par an (en omettant les contrats passés avec les buralistes afin de compenser la baisse attendue de leurs revenus, environ 300 millions d'euros par an) ; ils ne rapportent par contre que 12,3 milliards d'euros par an, selon l'estimation la plus récente de la Cour des comptes (rapport de février 2013, PDF).
La DGS estime que la difficulté méthodologique propre à ce type d'études « repose vraisemblablement sur deux asymétries : les recettes et les dépenses générées par le tabac ne sont pas administrées par les mêmes ministères, et leur temporalité est immédiate pour les recettes et décalées de quelques années pour les dépenses de santé ».
Se pose aussi la question des « économies » en termes de retraites. La Cour des comptes refuse en tout cas d'intégrer de tels chiffres :
« A supposer en tout état de cause qu'elle soit mieux connue, une éventuelle soustraction de ces “gains” pour l'assurance vieillesse du coût global du tabagisme relèverait d'une comptabilité purement financière. Elle aboutirait, d'une manière éthiquement très discutable, à ce que la collectivité traite comme un “avantage” la disparition prématurée d'une part significative de ses membres dans des conditions de pathologies particulièrement douloureuses. »
Le Monde.fr, mis à jour le | Par

mercredi 27 mai 2015

Les gens du voyage pourraient devenir " Français à part entière "

Une proposition de loi socialiste, présentée mercredi, vise à supprimer le livret de circulation et à accélérer la construction d'aires d'accueil


s gens du voyage passeront-ils du statut de "  Français entièrement à part  " à celui de "  Français à part entière  "  ? La question, posée par le préfet de Mayotte Hubert Derache dans un rapport remis au gouvernement en juillet  2013, pourrait trouver prochainement une réponse législative.
Le député socialiste de Loire-Atlantique Dominique Raimbourg présente, mercredi 27  mai, à la commission des lois de l'Assemblée nationale, une proposition de loi visant entre autres à supprimer le livret de circulation. Instauré en 1969, il est une survivance de l'Ancien Régime qui voulait contrôler nomadisme et vagabondage.
"  Bien que français, les gens du voyage doivent encore pointer régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie  ", déplore Olivier Le Mailloux, un avocat marseillais spécialiste de la question. En effet, les "  personnes n'ayant pas de domicile fixe ni de résidence fixe depuis plus de six mois, et âgées de plus de 16 ans  " ont obligation d'avoir sur eux un livret de circulation à jour.
Quelques exceptions ont été apportées en octobre  2012 à cette mesure vexatoire  : certaines catégories de population itinérante ont été exemptées de livret. A l'époque, "  le Conseil constitutionnel a ouvert une brèche dans l'évolution manifestement jugée trop lente des gens du voyage dans leur longue marche vers l'égalité républicaine  ", rappelle Hubert Derache dans son rapport.
C'est Me Le Mailloux qui est derrière cette avancée. La question prioritaire de constitutionnalité qu'il a déposée est alors venue à bout du "  carnet de circulation  ", la version la plus inquisitrice de cette famille de documents puisque "  dans ce carnet figuraient des données anthropométriques comme la circonférence de tête ou la couleur du teint  ", s'insurge l'avocat. Il reste le livret, moins contraignant, mais toujours -présent.
Pouvoir de substitution du préfetLa proposition de loi portée par M. Raimbourg, qui se décline en trois volets, veut accélérer l'insertion de ce groupe de population dans le droit commun. Outre la fin des livrets, il inclut une obligation renforcée pour les communes de construire des aires d'accueil et leur octroie en retour la possibilité d'expulser plus aisément ceux qui s'installeraient ailleurs que dans un endroit balisé.
La loi du 5  juillet 2000 obligeait déjà les communes de plus de 5  000 habitants à construire une aire d'accueil. "  Aujourd'hui, 40  000 communes devraient offrir un espace aux gens du voyage, or seules 27  000 le font réellement  ", regrette M. Raimbourg. "  Dans le sud de la France, que l'on s'intéresse à Marseille, où j'exerce, ou bien aux Alpes-Maritimes, 80  % n'en ont pas  ", ajoute Olivier Le Mailloux.
La loi de 2000 accordait bien au préfet un pouvoir de substitution dans la réalisation et la gestion des aires si la commune ne répondait pas à ses obligations, mais il n'a pas été utilisé. "  Si des mises en demeure ont pu être adressées en nombre limité, ce pouvoir de substitution n'a jamais été mis en œuvre  ", rappelle le rapport Derache. Cette fois, la proposition de loi de Dominique Raimbourg proposera que le préfet ponctionne directement sur le budget communal le coût de construction d'une aire.
" Réticences " au PSSensible, le sujet ne fait pour l'heure pas de remous à l'Assemblée. Aucun des groupes parlementaires ne l'a évoqué lors de sa réunion du mardi matin et, au PS comme à l'UMP, les députés semblent davantage préoccupés par les congrès de leurs partis que par le travail législatif. Pourtant, lorsque ce texte avait été présenté pour la première fois au groupe PS, à l'été 2013 – à quelques mois des élections municipales –, il avait suscité quelques réactions, entre autres sur le renforcement des pouvoirs des préfets. Le député d'Indre-et-Loire, Laurent Baumel, s'y était notamment opposé et continue d'exprimer aujourd'hui ses "  réticences  " sur cette mesure, dans un contexte de "  budgets communaux très contraints  ".
Toutefois, la proposition de loi devrait rencontrer un large consensus à gauche, en partie grâce au rapporteur PS et vice-président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, considéré comme un "  gage de consensus  " par son collègue Olivier Dussopt. Ce qui n'empêchera pas l'UMP de combattre ce texte "  déséquilibré, qui ne répond pas aux problèmes concrets des communes  " d'après la députée du Doubs, Annie Genevard, qui a déposé une proposition de loi de son côté, cosignée par 80 de ses collègues de droite. "  Il se focalise sur la question de la discrimination, or il faut équilibrer les droits et les devoirs. Or, les difficultés des communes ne sont absolument pas prises en compte  ", déplore-t-elle. Egalement maire de Morteau, l'élue témoigne dans sa commune de "  harcèlement envers la population, intimidation des commerçants et dégradations des installations publiques  " de la part de gens du voyage.
Enfin, la droite défendra également des amendements pour maintenir le seuil maximum (3  % de la population) au-delà duquel une commune ne peut plus -accueillir de gens du voyage, que Dominique Raimbourg propose de faire disparaître. Aux yeux du député, cette barre a d'autant moins de sens que, sur les 36  000 communes, 300  seulement -l'atteignent.
La France et l'Irlande sont les deux seuls pays d'Europe où la communauté du voyage ne s'est jamais sédentarisée. En France, la crise économique doublée d'une amélioration de la scolarisation des enfants ont amorcé un mouvement d'installation, léger encore, mais que la loi en cours de discussion pourrait accentuer.
maryline Baumard et Hélène Bekmezian
© Le Monde 28/05/2015

Malgré de nets progrès, 795 millions d'humains souffrent encore de la faim

 LA faim décline dans le monde, mais 10  % de la population de la planète, 795  millions de personnes, continuent de souffrir de sous-alimentation. Selon le rapport 2015 de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), présenté à Rome mercredi 27  mai, sur " l'état de l'insécurité alimentaire dans le monde ", le nombre de personnes en situation de sous-alimentation – qui ne mangent pas assez pour mener une vie active et en bonne santé – a diminué de 167  millions sur la dernière décennie, et de 216  millions depuis les années 1990-1992. " En dépit de la croissance démographique rapide, la proportion de la population mondiale de personnes sous-alimentées a été ramenée de 18,6  % en  1990-1992 à 10,9  % en  2014-2016 ", écrivent les auteurs du rapport.
Malgré cette amélioration globale,57 pays sur les 129 suivis par la FAO n'ont pas atteint l'Objectif du millénaire pour le développement (OMD) numéro un, de réduire de moitié la pauvreté et la proportion de personnes souffrant de la faim. A six mois de l'échéance de ces OMD définis en  1990, la FAO se félicite des progrès enregistrés, notamment en Afrique de l'Ouest, où le nombre de personnes sous-alimentées a diminué de près de 25  % en vingt-cinq ans. L'Asie centrale, de l'Est et du Sud-Est et l'Amérique latine sont aussi citées au rang des bons élèves. Mais la situation en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud reste préoccupante. Ces deux régions concentrent le plus grand nombre d'habitants -confrontés à la faim.
Insécurité alimentaire
Les obstacles sont connus : la volatilité " excessive " du prix des aliments, les guerres, l'instabilité politique, les troubles civils, les catastrophes naturelles ou encore les chocs climatiques et leurs cortèges de populations déplacées. Mardi, le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) a appelé à cesser les combats en Syrie afin que les agriculteurs puissent moissonner et acheminer les récoltes dans l'ensemble du pays. " Dans un contexte d'insécurité alimentaire et de déplacements massifs, il est essentiel que les récoltes ne soient pas perdues et que la nourriture reste à l'intérieur du pays ", a affirmé la directrice exécutive du PAM, Ertharin Cousin.
D'autres raisons poussent à tempérer l'optimisme. Le calcul de la sous-alimentation repose sur des moyennes réalisées sur l'année, n'intégrant pas la sous-alimentation à court terme. Il ne prend pas en compte les inégalités dans la répartition de la nourriture au sein des populations et des familles. De plus, indiquait en janvier  2014 Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies dans son rapport à l'assemblée générale du Conseil des droits de l'homme sur le droit à l'alimentation, " les calculs sont basés sur un seuil peu élevé de besoins énergétiques quotidiens qui suppose un mode de vie sédentaire, alors que beaucoup de personnes pauvres ont des activités qui exigent des efforts physiques importants ". L'apport alimentaire peut être suffisant, en quantité, mais les régimes peuvent être inadaptés, entraînant des carences en micronutriments, par exemple en iode, en fer ou en vitamine A, avec de graves conséquences pour la croissance des enfants.
Le changement climatique pourrait mettre à mal les efforts réalisés au cours de la dernière décennie. Mardi 26  mai, 24 ONG ont signé un appel pour demander à la communauté internationale d'intégrer dans les négociations climatiques la question de la sécurité alimentaire. Ainsi, 70  % des cultures pourraient être affectées par le changement climatique. Si rien n'est fait, 600  millions de personnes supplémentaires souffriront de la faim d'ici à 2080.

Rémi Barroux
© Le Monde 28/05/2015

lundi 25 mai 2015

Le quotidien exténuant des soignants d’un hôpital parisien

Bruno, Fernando et Solène sont soignants à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Ils racontent comment ils exercent, tant bien que mal, leur métier, parfois jusqu’à quinze heures par jour. Et pointent en filigrane les dangers 
de la réforme de l’organisation du travail que prépare la direction. 

 
«Ce matin, j’ai commencé mon service à 7 heures. J’étais affecté à l’endoscopie digestive. Après avoir préparé la salle, j’ai endormi mon premier patient à 7 h 40. J’en ai endormi douze jusqu’à ma pause. J’en ai encore deux à faire et une fois ce programme terminé, je vais basculer sur le bloc central jusqu’à 18 heures. » Les journées de travail de Bruno Franceschi, infirmier anesthésiste à l’hôpital du Kremlin- Bicêtre, établissement de l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris situé à Villejuif (Val-de-Marne), ne sont pas un long fleuve tranquille. En horaires variables, il peut travailler de jour comme de nuit, tantôt en maternité, tantôt en transplantation hépatique pédiatrique, tantôt au bloc. « Polyvalent, on navigue entre une vingtaine de sites d’anesthésie. En règle générale, on sait la veille à 16 heures où on sera affecté le lendemain. Lundi, poursuit-il, j’ai fait une journée de 13 heures, mardi 10 heures, et autant mercredi. » 

Par manque de personnel, les hospitaliers (ici auCHU de Kremlin-Bicêtre) 
n’arrivent pas à prendre leurs jours de RTT . « On est à flux tendu en permanence ».
Photo : Florence Durand/Sipa

On est au-delà des 45 heures par semaine

À ces journées interminables s’ajoute la permanence des soins. Bruno Franceschi, lui, assure entre six et huit gardes par mois. « C’est 12 heures de travail de jour comme de nuit. » Pour cet infirmier anesthésiste, l’accord de 2002 de réduction du temps de travail à l’AP-HP (non signé par la CGT) ne s’est pas traduit par des semaines de 35 heures, loin de là. Pour lui, les 35 heures, « c’est théorique ». « On est au-delà des 45 heures par semaine, calcule-t-il. Dans mon service, on devrait être 51 infirmiers anesthésistes, mais on n’est que 38. Du coup, on est tout le temps à flux tendu. On est arrivé à une telle pénurie de personnel qu’on enchaîne les heures supplémentaires. Il arrive très fréquemment que notre cadre nous appelle pour venir en renfort. Le mythe des 35 heures et des professionnels de santé qui ne travaillent que trois jours par semaine est éculé. Nous, notre quotidien, c’est assurer les soins aux patients, ce qu’on appelle les missions de service public : une notion oubliée par Martin Hirsch, qui ne raisonne qu’en tableaux Excel… »

Emplois et RTT : 
la bombe à retardement

Si dans la réalité, les soignants des hôpitaux de l’AP-HP sont loin des 35 heures, ils ont bel et bien des jours de RTT (en moyenne, entre 20 et 24 jours par an). Sauf qu’ils ne peuvent pas les poser, faute de bras ! Ceux-ci s’accumulent donc dans des comptes épargne temps (CET) qui ne cessent de gonfler au fil des années. « Dans ce contexte, la RTT est quelque chose d’illusoire, témoigne Bruno franceschi. On cumule des jours, mais on ne peut pas les poser. Personnellement, j’ai un CET avec 45 jours et, rien que sur 2015, mon compteur d’heures explose… » 
Pour ce militant de la CGT qui siège au CTE (comité technique d’établissement) central, ce n’est pas la faute des 35 heures en tant que telles, mais bel et bien de la direction qui a mis en place cette réforme en 2002 sans adjoindre de personnels supplémentaires. « En 2002, quand l’accord sur la RTT a été signé, il manquait entre 4 500 et 5 000 personnels. Il était évident qu’on était assis sur une bombe à retardement. »
Aide-soignant aux urgences adultes du même établissement, Fernando n’est pas mieux loti. Employé dans l’équipe du matin, il travaille de 6 h 50 à 14 h 36. Mais ses journées ont tendance à s’allonger, faute de personnel en nombre suffisant. « Ce n’est pas rare que je reste jusqu’à 15 ou 16 heures. Hier encore, c’était le cas. On est à flux tendu en permanence. Pas une journée ne passe sans qu’il ne manque quelqu’un. » Comme son collègue, Fernando dispose de 40 jours sur son CET. Il y a quelques mois, lui en a monnayé quatre pour un total de 200 euros. « C’est toujours ça de pris, même si on se fait avoir, car les jours sont vendus comme une somme forfaitaire, qui dépend du grade que l’on occupe, mais qui est inférieure au taux horaire », explique Fernando.
Arborant un macaron « J’aime RTT », Solène Guillin, jeune infirmière de 25 ans affectée au service de médecine aiguë polyvalente en grande équipe, abonde : « Notre quotidien, c’est l’effectif minimum. Trois infirmières le matin et l’après-midi pour 30 patients. » Trop juste en cas de pépin. Ce qui arrive pourtant régulièrement. « Certains de nos patients, qui viennent pour beaucoup des urgences, ne sont pas stabilisés. On sort le chariot d’urgence de réanimation au moins une fois par semaine. Et, dans ces cas, les trois infirmières sont mobilisées autour du patient, ce qui signifie qu’il n’y a plus personne pour les autres », raconte l’infirmière.

Alexandra Chaigno, jeudi 21 Mai 2015, L'Humanité