dimanche 22 février 2015

Césars : tout pour «Timbuktu»

Le film d'Abderrahmane Sissako a raflé sept récompenses lors d'une cérémonie interminable, ne laissant que des miettes aux autres favoris.

 

Abderrahmane Sissako avec les sept césars de «Timbuktu», vendredi soir.
Abderrahmane Sissako avec les sept césars de «Timbuktu»,
vendredi soir. (Photo Bertrand Guay. aFP)

Le suspense, au contraire de la cérémonie, n’aura pas duré. En s’arrogeant dès la première demi-heure de la remise des prix un applaudimètre au top et les premières distinctions pour lesquelles il concourrait dans les catégories techniques, Timbuktu s’est imposé presque aussitôt comme l’aspirateur à récompenses de ces césars 2015. Meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur montage, meilleur photo, meilleur scénario original, meilleur son, meilleure musique… Avec sept bibelots dorés glanés sur huit possibles, le film d’Abderrahmane Sissako n’a laissé à ses principaux concurrents que les trophées pour lesquels on n’avait pas songé à le nommer (celui du meilleur film d’animation). Porté sans doute autant par son vif succès en salles (plus de 730 000 entrées en France, avant probable ressortie massive dès mercredi prochain) qu’un climat post-attentats forcément présent à l’esprit des votants, Timbuktu dépeint sur un mode calme et douloureux la dévastation humaine et culturelle d’une communauté par l’irruption de l’ordre jihadiste, lors de la guerre de l’Azawad démarrée, en 2012, au Mali.
Le communiqué officiel de Frédérique Bredin, présidente du CNC, envoyé quelques minutes après la fin de la cérémonie, saluait ainsi, quitte à tout mélanger, «un chant de lutte contre la barbarie et chant d’espoir humaniste, qui manifeste de façon éblouissante la force et l’importance du cinéma, dans ces temps dramatiques, pour faire vivre la liberté d’expression et de création et pour faire dialoguer les cultures». Le cinéaste mauritanien, éligible aux césars du fait de sa production française (les Films du Worso de Sylvie Pialat) et oublié du palmarès cannois en mai dernier malgré déjà un accueil euphorique, se trouve ainsi érigé en emblème d’humanisme universaliste. En attendant les oscars de dimanche soir, où il concourt dans la catégorie meilleur film étranger. Dans son long discours, Abderrahmane Sissako a notamment affirmé «qu’il n’y a pas de choc des civilisations, mais bien une rencontre des civilisations». 
Pour le reste, les votants, dans une sorte de crise aiguë de jeunisme ont semblé dire un grand ouste à tous les croulants qui, trentenaires ou plus, prétendaient à quelque récompense que ce soit. Ainsi des principaux prix d’interprétation, revenus à Adèle Haenel (meilleure actrice pour les Combattants, 26 ans), Pierre Niney (meilleur acteur pour Yves Saint Laurent, 25 ans) ou à la teen-idol de passage Kristen Stewart (meilleure second rôle pour Sils Maria, 24 ans). Mais aussi du récipiendaire du prix du meilleur film étranger, Xavier Dolan (25 ans), inexplicablement absent alors que, à notre connaissance, nulle nomination aux oscars n’interdisait sa présence. La razzia Timbuktu n’aura permis à Saint Laurent de Bertrand Bonello (meilleurs costumes), Sils Maria d’Olivier Assayas (le prix alloué à Kristen Stewart), Yves Saint Laurent de Jalil Lespert (Pierre Niney, meilleur acteur masculin), la Famille Bélier d’Eric Lartigau (meilleur espoir féminin à Louane Emera) et Hippocrate (meilleur second rôle masculin pour Reda Kateb) que de se partager presque équitablement les miettes.
Dans l’ombre de Sissako, les Combattants, l'enthousiasmant premier film de Thomas Cailley, s’affirme en revanche discrètement en dauphin, avec tout de même trois prix, et pas des moindres (meilleur premier film, meilleure actrice et meilleur espoir), tandis que Bande de filles de Céline Sciamma et Eastern Boys de Robin Campillo repartent bredouille. A part cela, l’info majeure de la soirée s’est révélée que Kévin Azaïs, couronné meilleur espoir masculin dans les Combattants, n’est autre que le petit frère de l’acteur Vincent Rottiers (lui-même meilleur espoir masculin en 2010).
Comme chaque année, la cérémonie a offert en outre un spectacle éclaboussant de laisser-aller latin et d’incapacité chronique à contrôler quoi que ce soit, sous le regard fatigué de Sean Penn, au-delà de l’overdose d’UV, et d’un Edouard Baer au bout du rouleau - et nous avec. A la suite d’un dérapage de plusieurs fuseaux horaires (trois heures cinquante-quatre !), on soupçonne l’Académie de convoquer dès demain un conseil de surveillance extraordinaire, avec pour principal ordre du jour : «Discours sans fin, plus jamais ça.» Et pourtant cette année : pas l’ombre d’un intermittent vindicatif, rien sur la convention collective, tout juste un vibrant éloge par le président de la cérémonie, Dany Boon, de la richesse du cinéma français, juste avant d’affréter son jet pour Los Angeles.

Libération, 21/02/2015.

Le palmarès complet des césars 2015

«Timbuktu» remporte sept prix dont le meilleur film et la meilleure réalisation. Il est suivi par «les Combattants», avec trois récompenses.

Ce vendredi soir, le Théâtre du Châtelet a accueilli la 40e nuit des césars, raout annuel récompensant (théoriquement) le meilleur du cinéma français. La cérémonie, qui avait consacré l’an dernier Les garçons et Guillaume, à table !, était présidée par Dany Boon et animée par Edouard Baer. En voici le palmarès (en gras, les lauréats), qui consacre Timbuktu, sept fois récompensé:
Meilleur film :Timbuktu. (étaient nommés : Les combattants, Eastern Boys, La famille Bélier, Hippocrate, Saint Laurent, Sils Maria)

Meilleure réalisation :Abderrahmane Sissako (Timbuktu), Céline Sciamma (Bande de filles), Thomas Cailley (Les Combattants), Thomas Lilti (Hippocrate), Bertrand Bonello (Saint Laurent), Olivier Assayas (Sils Maria),  Robin Campillo (Eastern Boys)

Meilleur acteur :Pierre Niney (Yves Saint Laurent), Guillaume Canet (La prochaine fois je viserai le c œur), Niels Arestrup (Diplomatie),  Gaspar Ulliel (Saint Laurent), François Damiens (La famille Bélier), Romain Duris (Une nouvelle amie), Vincent Lacoste (Hippocrate)

Meilleure actrice :Adèle Haenel (Les combattants), Juliette Binoche (Sils Maria), Marion Cotillard (Deux jours, une nuit), Catherine Deneuve (Dans la cour), Emilie Dequenne (Pas son genre), Sandrine Kiberlain (Elle l’adore), Karin Viard (La famille Bélier)

Meilleur film d’animation :Minuscule - la vallée des fourmis perduesLe chant de la mer,  Jack et la mécanique du coeur

Meilleur court-métrage d’animation : Les petits cailloux,  Bang bang !, La bûche de Noël, La petite casserole d’Anatole

Meilleur espoir féminin :Louane Emera (La famille Bélier), Lou de Laâge (Respire), Joséphine Japy (Respire), Karidja Touré (Bande de filles), Ariane Labed (Fidelio).

Meilleur espoir masculin :Kevin Azaïs (Les combattants), Ahmed Dramé (Les héritiers), Kirill Emelyanov (Eastern Boys), Pierre Rochefort (Un beau dimanche), Marc Zinga (Qu’Allah bénisse la France)

Meilleur premier film :Les combattants, Qu’Allah bénisse la France, Elle l’adore, Fidelio, Party Girl.

Meilleur second rôle masculin :Reda Kateb (Hippocrate), Eric Elmosnino (La famille Bélier), Guillaume Gallienne (Yves Saint Laurent), Louis Garrel (Saint Laurent),  Jérémie Rénier (Saint Laurent)

Meilleur second rôle féminin :Kristen Stewart (Sils Maria), Marianne Denicourt (Hippocrate), Claude Gensac (Lulu femme nue), Izia Higelin (Samba), Charlotte Le Bon (Yves Saint Laurent)

Meilleur scénario/adaptation :DiplomatieLa chambre bleue, Pas son genre, Lulu femme nue, La prochaine fois, je viserai le coeur

Meilleur scénario original :Timbuktu, Les combattants, La famille Bélier, Hippocrate, Sils Maria, 
Meilleur film étranger :Mommy de Xavier DolanTwelve Years a Slave de Steve McQueen, Boyhood de Richard Linklater, Deux jours, une nuit de Luc et Jean-Pierre Dardenne, Ida de Pawel Pawlikowski,  The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan

Meilleure musique :TimbuktuBande de filles, Bird People, Les combattants,  Yves Saint Laurent

Meilleur documentaire :Le sel de la terre, Caricaturistes, fantassins de la démocratie, Les chèvres de ma mère, La cour de Babel, National Gallery, 

Meilleure photo :TimbuktuLa belle et la bête, Saint Laurent, Sils Maria,  Yves Saint Laurent

Meilleur décor :La belle et la bête, La French, Saint Laurent, Timbuktu, Yves Saint-Laurent

Meilleur montage :Timbuktu, Les Combattants, Hippocrate, Party Girl, Saint Laurent, 

Meilleurs costumes :Saint LaurentLa belle et la bête, La French, Une nouvelle amie, Yves Saint Laurent

Meilleur son : Timbuktu, Bande de fillesBird PeopleLes CombattantsSaint Laurent

Meilleur film de court métrage :La femme de Rio de Emma Luchini et Nicolas ReyAïssa de Clément Tréhin-Lalanne,  Inupiluk de Sébastien Betbeder, Les jours d'avant de Karim Moussaoui, Où je mets ma pudeur de Sébastien Bailly, La virée à Paname de Carine May et Hakim Zouhani

César d'honneur : Sean Penn

Leurrer le VIH, une nouvelle approche pour le bloquer ?

Il ne s’agit encore que d’un travail expérimental sur la souris, modèle animal pour l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), l’agent du sida, complété par des tests adaptés au virus équivalent chez le singe. Mais il fait apparaître une nouvelle piste de recherches alors que la mise au point de vaccins demeure encore éloignée. Pour autant, des questions essentielles comme celles de la transposition à l’homme et de la toxicité possible restent entièrement en suspens.


Depuis les débuts de la pandémie, mettre au point un vaccin contre le VIH a été l’objectif des chercheurs. Il permettrait d’éduquer préventivement le système immunitaire à reconnaître le VIH et à produire des anticorps afin de l’éliminer et d’empêcher l’infection de se développer. Malheureusement, cette perspective n’est pas près de se concrétiser. Certains scientifiques ont donc envisagé d’autres approches de protection. Parmi celles-ci figurent l’utilisation des médicaments antirétroviraux, comme dans l’essai Ipergay, ou bien ce que l’on appelle l’immunothérapie passive, consistant à apporter au patient les anticorps à même de neutraliser les différentes souches de VIH, technique explorée par l’équipe du Prix Nobel David Baltimore.

Bloquer la clé d’entrée du VIH

 

L’équipe américaine d’une trentaine de chercheurs placés sous la direction de Michael Farzan (Scripps Research Institute, Jupiter, Floride) a choisi une autre approche, celles de leurres, dont les résultats expérimentaux sont présentés dans un article mis en ligne, mercredi 18 février sur le site de la revue Nature. Le point de départ a été la manière dont le VIH pénètre dans les cellules du système immunitaire pour s’y multiplier puis les détruire.
Le VIH possède à sa surface une protéine d’enveloppe qui se lie à un récepteur, une protéine appelée « CD4 », présente sur la plupart des cellules immunitaires (lymphocytes T, macrophages). Cette liaison modifie la protéine d’enveloppe du VIH, qui peut alors se lier à d’autres récepteurs présents sur les cellules humaines, notamment le corécepteur CCR5. La première liaison permet en quelque sorte au virus de fabriquer la « clé » adaptée à la serrure des cellules de l’hôte. Des travaux antérieurs avaient tenté de neutraliser le virus en administrant des immunoglobulines couplées à la protéine CD4. Le but de cette technique était d’offrir au VIH des cibles le détournant des cellules immunitaires qu’il infecte habituellement. Malheureusement, ces premières approches n’ont pas été efficaces.

Un leurre pour neutraliser le virus

 

Michael Farzan et ses collègues ont procédé autrement pour fabriquer un leurre destiné à neutraliser le VIH. Ils ont fabriqué une protéine artificielle, baptisée « CD4-Ig », fusionnant la protéine réceptrice CD4 et l’extrémité du corécepteur CCR5. Après avoir constaté qu’il neutralisait très bien le VIH in vitro, ils l’ont testé avec succès chez des souris utilisées comme modèle animal de l’infection humaine, puis sous une forme adaptée chez quatre macaques.
Cette protéine artificielle a été administrée au moyen d’un vecteur viral utilisé en thérapie génique à quatre singes, quatre autres macaques servant de contrôles. Le vecteur viral – un « vecteur adéno-associé » (AAV) exprimait le gène codant pour la protéine CD4-Ig. Comme il s’intègre dans le génome, il permet une production indéfinie de la protéine artificielle. Les singes ainsi traités ont été exposés par voie veineuse au virus de l’immunodéficience simien (SIV, équivalent pour le singe du VIH). Les quatre animaux ont présenté une protection à pendant au moins trente-quatre semaines après l’exposition au virus.

Questions en suspens

 

Ces résultats sont « intéressants », estime le Pr Jean-Daniel Lelièvre, du Vaccine Research Institute (hôpital Henri-Mondor, Créteil) car ils apportent du crédit au concept de neutralisation par des leurres. Ils constituent une « piste complémentaire à celle du vaccin ». Néanmoins, le chercheur souligne plusieurs limites. Le faible effectif – quatre singes traités – ne permet pas les conclusions hâtives, d’autant que l’exposition expérimentale au virus s’est faite par voie intraveineuse, ce qui ne correspond pas aux conditions les plus fréquentes de contamination pour les humains, où la voie muqueuse (vaginale ou rectale) prédomine.
Ensuite, la question de la tolérance à un tel procédé reste à explorer. Les résultats chez l’animal ne sont pas nécessairement transposables à l’homme. Surtout, « si l’intégration du vecteur dans le génome présente l’avantage d’une production perpétuelle de la protéine artificielle, elle pourrait se retourner en inconvénient majeur si un problème devait apparaître avec cette dernière ».
Enfin, si elle se révélait utilisable chez l’homme, cette approche serait « avant tout destinée à des personnes à très haut risque de contamination et non à la protection à grande échelle d’une population », estime le Pr Lelièvre.

Le Monde, Paul Benkimoun, 19/02/2015.

Qu'est-ce que le plan Orsan, mis en place pour lutter contre l'épidémie de grippe ?

Pour répondre à la vaste épidémie de grippe qui touche le pays, la ministre de la santé, Marisol Touraine, a activé, jeudi 19 février le plan Orsan.

  • Qu'est-ce que le plan Orsan ?
Le plan Orsan – « organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles » – a été créé en 2014. Il existe cinq types de plan Orsan. Il peut être activé notamment en cas de catastrophe naturelle, d'accident nucléaire ou biologique ou d'épidémie, comme c'est le cas aujourd'hui.
Il a déjà été activé partiellement à l'été 2014, pour anticiper la prise en charge de patients atteints du virus Ebola.
  • Pourquoi active-t-on le plan Orsan ?
L'épidémie de grippe qui touche le pays est d'une ampleur exceptionnelle : plus de deux millions de personnes ont été infectées et depuis le 1er novembre, 728 cas graves ont été répertoriés (dont 72 ont abouti à des décès).
Jeudi, les urgentistes avaient dénoncé la « situation sanitaire critique » dans les hôpitaux surchargés. La « sur-saturation des services d'urgence est comparable à celle de l'été 2003 », durant lequel la canicule avait fait 15 000 morts, a estimé auprès de l'AFP le président du SAMU-Urgences de France, François Braun.
Cette surcharge s'explique notamment parce que le vaccin ne correspond pas au virus qui sévit actuellement. La composition de l’actuel vaccin pour l’hémisphère Nord a été arrêtée début 2014, soit quelques mois avant l’apparition d’une souche de type A (H3N2) devenue majoritaire, qui ne peut donc être enrayée par la vaccination

  • Que prévoit exactement le plan Orsan ?
Il permet aux ARS – agences régionales de santé – de dégager des moyens pour gérer l'afflux de malades et de «  prendre toutes les mesures nécessaires pour [qu'ils] puissent bénéficier des soins appropriés », précise le ministère. Ce plan vient compléter des instructions déjà adressées aux ARS et aux établissements en janvier et février, a également rappelé ce dernier.
Concrètement, l'activation de ce plan va principalement porter sur trois points. La prise en charge ambulatoire est renforcée, l'hospitalisation devant intervenir uniquement « pour les situations d'urgence ». Certaines interventions seront repoussées pour libérer de la place dans les hôpitaux, « lorsqu'il n'y a pas de conséquence néfaste pour la santé du patient » selon Christophe Prudhomme, président de l'AMUF, sur BFM-TV.
Tous les établissements, privés compris, devront également repousser certaines interventions « non indispensables », ouvrir des lits supplémentaires et renforcer leurs effectifs, notamment en redéployant certains de leurs personnels. La prise en charge des personnes âgées dans les Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) est également rencorcée.
  • Le plan Orsan sera-t-il efficace ?
Certains professionnels ont critiqué l'annonce de ce plan, qu'ils jugent tardive, à l'instar du professeur Philippe Juvin, chef du service des urgences à l'hôpital Georges-Pompidou (et par ailleurs eurodéputé UMP), interviewé par France 2. Il estime que la réaction a trop tardé :
« [Jusqu'à maintenant] les directions se sont ponctuellement organisées mais pas de signal du ministère de la santé. Aujourd'hui la ministre sort de son trou, déploie son plan ; on est très content, c'est trop tardif. »
Jean-Marc Devauchelle, secrétaire général du syndicat SUD santé AP-HP, interrogé par 20 Minutes, critique le flou qui entoure ce nouveau dispositif :
« La ministre répond aux doléances des urgentistes mais, nous, on attend les directives, et notamment de Martin Hirsch [le directeur de l'AP-HP, qui gère les hôpitaux parisiens] pour la mise en place concrète de moyens et la mise à disposition de lits supplémentaires. [Ce plan] est avant tout du cosmétique, un effet d’annonce. »
Le Monde, 21/02/2015.

Grippe : l'épidémie la plus importante de ces cinq dernières années

La France connaît en ce début d'année 2015 une épidémie de grippe exceptionnelle, qui avait déjà touché le 18 février plus de deux millions de personnes.
Comme le souligne l'Institut de veille sanitaire (INVS) dans ses bulletins, le nombre d'hospitalisations est en constante augmentation. Ainsi, entre le 11 et le 18 février, plus de 415 personnes ont été admises à l'hôpital.



En moyenne, au cours de la semaine dernière, près de 940 personnes en France sur 100 000 ont consulté pour syndrôme grippal. Si le nombre de consultations continue d'augmenter, l'INVS annonce que le pic épidémiologique devrait être proche.



Selon les données de SOS Médecins pour la septième semaine de 2015, la grippe touche toute la France métropolitaine : dans chaque région — à l'exception de la Lorraine —, plus de 15 % des diagnostics concernent la grippe, ce qui correspond à une activité « très forte ».
En revanche, la tendance est à la baisse par rapport à la semaine précédente, puisque seules trois régions sur vingt-deux ont vu une augmentation de l'activité grippale entre les deux dernières semaines.

Jérémie Baruch, Le Monde, 20/02/2015.

dimanche 15 février 2015

De l’enjeu du temps de travail des femmes

La chronique de Barbara Romagnan. "Le fort développement du temps partiel en Allemagne a principalement concerné les femmes."


En même temps que l’on fête les quinze ans des trente-cinq heures, est sortie une étude du Trésor qui a attiré mon attention. Il s’agit d’une comparaison entre la France et l’Allemagne sur le temps partiel et le temps de travail. Cette étude, qui porte sur la période 1999-2011, commence par rappeler que les durées annuelles moyennes de travail en France et en Allemagne sont très proches, autour de 1 650 heures par an. Cette similitude masque des différences assez importantes sur le partage du travail et les places respectives des femmes et des hommes. En France, le temps de travail moyen d’un salarié à temps plein est inférieur, en moyenne, de deux cents heures à celui rencontré en Allemagne. En revanche, la proportion de travailleurs à temps partiel est beaucoup plus importante en Allemagne, 18 % en France pour 26 % en Allemagne.

Au cours de la même période, le nombre de personnes ayant un emploi a progressé de 9,1 % en Allemagne et de 14,1 % en France, alors que le volume d’heures travaillées est resté sensiblement le même. Ainsi, si le nombre de personnes qui travaillent augmente dans des proportions importantes, alors que le nombre d’heures travaillées reste stable, c’est que le temps individuel moyen a diminué et que le temps global de travail a été partagé d’une façon ou d’une autre. Et cette façon n’est pas sans importance.

En France, on a procédé à une baisse de la durée du travail à temps plein ; en Allemagne, à un développement du temps partiel. En France, la création d’emplois à temps plein reste majoritaire, alors qu’en Allemagne l’emploi à temps partiel explique l’intégralité des créations d’emplois. Le fort développement du temps partiel en Allemagne, alors que cette évolution a été contenue en France, a principalement concerné les femmes. Par ailleurs, le taux d’emploi des femmes allemandes est l’un des plus élevé d’Europe (10 points au-dessus de la moyenne de la zone euro), mais, en raison du plus faible volume horaire travaillé par les Allemandes, les taux d’emploi féminin en équivalents temps plein sont proches en France et en Allemagne. Le temps de travail a bien été réduit en France et en Allemagne. En France, c’est le temps plein qui a été un peu réduit – on peut penser que 
les lois sur les 35 heures y ont contribué ; en Allemagne, c’est le temps partiel très court qui a explosé. En France comme en Allemagne, les travailleurs à temps partiel sont très majoritairement des femmes (plus de 80 %). Sachant qu’en France plus de la moitié des travailleurs à temps partiel gagnent moins de 850 euros par mois, on voit en quoi un partage plus juste du temps de travail est un enjeu pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

L'Humanité : 09/02/2015.

samedi 14 février 2015

Conflit autour d’un traitement contre l’hépatite C

La bataille autour du sofosbuvir, médicament révolutionnaire contre l’hépatite C, se poursuit. Mardi 10 février, l’organisation médicale humanitaire Médecins du monde (MDM) a attaqué le brevet de ce traitement, commercialisé depuis 2013 sous le nom de Sovaldi, auprès de l’Office européen des brevets. Tout en reconnaissant une avancée thérapeutique majeure, MDM conteste que cette molécule du laboratoire américain Gilead Sciences soit suffisamment innovante pour être couverte par un brevet. Surtout, elle juge son prix « exorbitant » et dénonce l’absence de génériques.


Le sofosbuvir a tout pour plaire : un traitement administré uniquement par voie orale, deux fois plus court que les autres traitements de référence, moins d’effets secondaires et surtout un taux de guérison dépassant les 90 %. Tout pour plaire, sauf son coût : variable selon les pays, il atteint 41 000 euros en France et 74 000 euros aux Etats-Unis pour un traitement complet de douze semaines.
Des frais qui risquent d’exclure des soins de nombreux malades. Or, selon un rapport du professeur Daniel Dhumeaux de 2014, qui recommande de traiter les patients dès une atteinte du foie modérée, quelque 120 000 malades de l’hépatite C auraient besoin de ces médicaments en France. Pour Jean-François Corty, directeur des opérations France de MDM, il s’agit « de relancer le débat sur le problème de fixation des prix du médicament en France ».

Une chercheuse au sein du laboratoire de Gilead Sciences à Foster City en Californie.
Une chercheuse au sein du laboratoire de Gilead 
Sciences à Foster City en Californie. HANDOUT / Reuters

L’histoire du sofosbuvir a commencé le 21 novembre 2011, lorsque Gilead Sciences a fait l’acquisition de Pharmasset, une société de biotechnologie détentrice de trois candidats médicaments au stade des essais cliniques pour le traitement de l’hépatite C. Cette infection du foie due à un virus (VHC) évolue dans 80 % des cas vers la chronicité et une dégradation du fonctionnement hépatique, aboutissant dans 10 % à 20 % des cas à une cirrhose, et plus rarement à un cancer du foie.

Le coût d’acquisition de Pharmasset a été évalué à 11 milliards de dollars (9,7 milliards d’euros), bien au-dessus de la valeur estimée de cette société, pour écarter les concurrents. L’investissement s’est finalement révélé plus que juteux : le 3 février, Gilead Sciences a annoncé des ventes d’un montant de 10,3 milliards de dollars pour la seule année 2014. Sans compter celles d’un autre de ses médicaments, Harvoni, combinant en un seul comprimé le sofosbuvir et une autre molécule inhibant le VHC, qui ont rapporté 2,1 milliards de dollars depuis son autorisation en octobre 2014.

« Manque d’activité inventive »

En septembre 2014, plusieurs associations, dont SOS Hépatites, MDM et Aides, se sont élevées contre le prix jugé « exorbitant » du sofosbuvir. Elles ont demandé – sans effet – au ministère français de la santé de prendre une licence d’office sur le médicament afin d’autoriser des fabricants de génériques à le produire à coût très réduit. Gilead, de son côté, a justifié ce montant élevé par les coûts de développement (notamment les essais cliniques qu’il a financés) et les nombreux cancers du foie évités. « C’est comme si on calculait le prix d’un airbag sur la base du coût des vies humaines qu’il sauve », ironise Céline Grillon, responsable du plaidoyer pour la réduction des risques à MDM.
Le principe actif du sofosbuvir dérive d’une molécule au nom de code RO2433. Cette dernière ne peut pas pénétrer toute seule dans les cellules hépatiques infectées par le VHC. Pour qu’elle y parvienne, il faut lui adjoindre un groupement chimique qui permettra sa transformation dans les cellules du foie en une forme active dite « RO2433-TP ». Le sofosbuvir est l’une des formes de la molécule d’origine pourvue du groupement chimique.
Pharmasset a déposé en 2005 une première famille de brevets sur le RO2433 et les formes produites par sa transformation dans le foie, ainsi que sur plusieurs milliers d’autres molécules apparentées. La demande est toujours en cours d’examen par l’Office européen des brevets, indique MDM. Une seconde famille de brevets a ensuite été déposée, couvrant les différentes combinaisons chimiques entre le RO2433 et le fameux groupement chimique permettant l’entrée dans le foie. L’Office européen des brevets a accordé en mai 2014 un brevet couvrant les différentes formes du RO2433 pourvu du groupement chimique, dont le sofosbuvir.

MDM conteste le bien-fondé de ce brevet. L’association s’appuie sur deux arguments : le « manque d’activité inventive » et le fait que « l’objet du brevet s’étende au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée initialement. »
Sur le premier point, MDM fait valoir que l’ajout du groupement chimique rendant active la molécule découlait de l’état de la technique. Cette découverte est en effet issue des travaux menés par l’équipe du Pr Chris McGuigan, à l’université publique britannique de Cardiff, et publiés en 2007. Sur le second motif d’opposition, MDM souligne que la demande de brevet a été déposée avant que le sofosbuvir soit identifié. A l’époque, insiste MDM, le sofosbuvir « n’était qu’une molécule parmi les milliers d’autres potentiellement actives sur lesquelles Pharmasset revendique la priorité ». La procédure, qui prévoit que Gilead Sciences examine les arguments invoqués et y réponde, devrait durer au moins un an et demi à deux ans.

Cancer de l’enfant : la recherche de nouveaux médicaments patine

Selon ce médecin, c’est « la boîte noire de l’industrie pharmaceutique ». « Jamais aucun anticancéreux n’a été spécifiquement développé pour les enfants », constate, amer, le Dr Jean Michon, président de la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent. « Les molécules que nous utilisons aujourd'hui sont presque toutes tombées dans le domaine public, et les laboratoires ne voient donc pas l’intérêt de réaliser des essais cliniques en bonne et dûe forme. » 

Dans un laboratoire scientifique de recherche contre le cancer, en juillet 2013 à Sutton, en Angleterre.
REUTERS - Stefan Wermuth


Chaque année, 2 500 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués chez les enfants (1 700) et les adolescents (800). La plupart sont traités avec des molécules développées pour les adultes et dont la posologie a été adaptée au poids et à la taille des enfants. Cela permet aujourd’hui de soigner 80% des cancers (c’est le taux de survie 5 ans après le diagnostic), mais beaucoup de progrès restent à faire : la toxicité de ces chimiothérapies a des conséquences à long terme sur la santé des enfants.

Des traitements pour adulte détournés

Et pour les cancers les plus rares, il n’y a souvent aucun traitement. « Aucun laboratoire n’est intéressé par le développement d’une molécule qui n’a aucun intérêt chez l’adulte », regrette le Dr Michon, citant le cas d’un candidat-médicament qui présentait un intérêt chez l’enfant mais remisé par des laboratoires, faute de données concluantes pour des cancers de l’adulte. La moitié des chimiothérapies utilisées chez l’enfant ont plus de 25 ans. Faute de mieux, les pédiatres détournent certains médicaments « adulte » de leur usage. « Il y a une certaine tolérance pour les patients qui sont en situation palliative », explique-t-il, et aucune information ne peut être correctement colligée sur l'efficacité de tous ces traitements
Il existe pourtant des deux côtés de l’Atlantique une législation incitant les laboratoires à développer des versions pédiatriques de leurs médicaments (une extension de six mois de leur brevet). A défaut, ils doivent au moins fournir quelques données. « Mais dans le cas d’anticancéreux, cette obligation est souvent contournée, car les cancers d’adultes n’existent pas chez l’enfant », souligne Patricia Blanc, qui a créé l’association Imagine for Margo après avoir perdu sa fille atteinte d’une tumeur au cerveau.

Démarche unique

Pour lever cet obstacle, les États-Unis accordent ainsi depuis 2011 un « bonus » supplémentaire aux laboratoires qui développent des médicaments spécifiquement pour les enfants : un « bon » pour une évaluation prioritaire de n’importe quel autre traitement. Ils peuvent l’utiliser pour leur propre compte ou le monnayer pour plusieurs dizaines de millions de dollars.
« Nous savons qu’il est possible de récupérer les 60 millions de dollars [52 millions d’euros] investis dans un essai pédiatrique », se félicite Raphaël Rousseau, chez Roche. Recruté il y a cinq ans, ce médecin a pour mission d’identifier, parmi toutes les molécules du groupe, les plus efficaces pour traiter les cancers pédiatriques. Une démarche unique dans l’industrie, selon lui. « Nos concurrents regardent cela avec intérêt, et nous discutons avec certains de la possibilité de nouer des partenariats. Dans ce domaine, il est très important de ne pas se marcher sur les pieds. »

Ecole et handicap : des avancées notables




Ecole et handicap : des avancées notables

Les Français en bonne santé mais des inégalités subsistent


Par François Beguin,  Elisa Bellanger et Paul Benkimoun, Le Monde, 12/02/2015.
 
  Les Français en bonne santé mais des inégalités subsistent.

Dix ans après, la loi handicap reste inaccessible

La loi du 11 février 2005 devait assurer l’accessibilité des personnes handicapées à toute la société. 
Une décennie plus tard, pour les associations qui manifestent aujourd’hui, le bilan est décevant. 

 
«La loi de 2005 était une grande loi, avec un vrai souffle, mais elle a été peu à peu oubliée, victime d’une absence de volonté politique. » En une phrase, le secrétaire général de la Fnath (association des accidentés de la vie), Arnaud de Broca, a résumé, hier, la position des 70 organisations du comité d’entente chargé de défendre les droits des personnes handicapées. Promulgué le 11 février 2005, ce texte devait améliorer concrètement la vie quotidienne de ces personnes en assurant l’accessibilité des services et des transports publics, des entreprises et des logements, mais aussi en instaurant des mécanismes de compensation du handicap.

Photo : Pascal Guyot/AFP
Le 3 février 2015, les élèves de Montpellier participaient à une 
journée de sensibilisation, intitulée « différent, comme tout le monde ».
Photo : Pascal Guyot/AFP
 Dix ans plus tard, c’est un anniversaire au goût amer que « célèbrent » ces jours-ci les associations, tant les « avancées » liées à cette loi sont restées « limitées » et les manquements, nombreux. Conséquence : près d’une personne handicapée sur deux (48 %) estime que son quotidien ne s’est pas amélioré depuis 2005, selon l’enquête Ifop présentée hier. Une étude dont l’intérêt principal était de comparer le sentiment des premiers intéressés avec celui de la population dans son ensemble, mais aussi des élus (maires et conseillers généraux), chargés de faire appliquer la loi sur le terrain. Où l’on s’aperçoit d’un décalage certain entre le vécu des personnes handicapées et l’appréciation des élus. Ainsi, seulement 34 % des premières jugent que leur « intégration dans la société en général » a progressé en dix ans, quand les seconds sont 72 % à le penser. Des écarts très conséquents sont également observés sur « l’intégration dans les écoles » (43 % contre 77 %), « l’accès aux soins » (29 % contre 69 %) ou « le niveau de vie » (15 % contre 44 %). « D’une manière générale, les élus pensent que la loi est plutôt bien appliquée, relève Alain Rochon, président de l’Association des paralysés de France (APF). Mais ils sont aussi 50 % à avouer ne pas connaître son contenu. Ceci explique sans doute cela… »

Petit consolation pour eux, ils ne sont pas les seuls à être battus froid par les personnes en situation de handicap. Celles-ci estiment que le monde du travail est le terrain dans lequel leur intégration a le moins progressé (seulement 20 % y ont constaté une amélioration), quand l’accès aux formations professionnelles leur semble aussi largement fermé. De même, parmi les « acteurs qui agissent le plus » en faveur des personnes handicapées, les entreprises font figure de cancres, avec un faible 3,5 sur 10. Officiellement en progrès (+6,3 % d’enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire chaque année, selon le ministère), l’école pourrait relever le niveau. « Sauf que ces scolarisations en milieu ordinaire ne représentent parfois que deux heures de cours. Difficile de parler de scolarité normale dans ces conditions », relativise Christel Prado, la présidente de l’Unapei (fédération des associations sur le handicap mental). Qui rappelle que le chiffre – datant de 2008 – de 13 000 enfants « sans aucune solution éducative » n’a toujours pas été démenti par les pouvoirs publics.

Face à ce sombre constat, les associations ne réclament pas de nouvelle loi, mais l’application en urgence de celle de 2005. Ce mercredi, elles ont prévu de manifester dans 35 villes de France, ainsi que devant l’Assemblée nationale, à l’appel du collectif pour une France accessible. Objectif : obtenir la réécriture de l’ordonnance du 26 septembre 2014, qui avait accordé de nouveaux délais, jugés trop longs, aux différents acteurs chargés de mettre en place l’accessibilité. « Son principe a été inscrit dans la loi en 1975 ! Nous ne pouvons plus attendre », résument les associations.

Alexandre Fache, L'Humanité, 11/02/2015.

La comédie humaine du travail

Le Collectif pour la santé des travailleuses et des travailleurs a rassemblé, mercredi soir à Paris, 
des syndicats, associations, médecins du travail, avocats pour contrer les attaques en cours. 

 
« Voici une étape importante de notre campagne Pour ne plus perdre sa vie à la gagner : après la pétition, aujourd’hui le meeting qui devrait lancer, en juin, des états généraux. » Membre du Collectif pour la santé des travailleuses et des travailleurs, Christophe Godard a rappelé mercredi soir l’urgence de son « appel à rassembler pour les intérêts du monde du travail ». Autour de ce syndicaliste CGT de la fonction publique et administrateur de la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie), une dizaine de membres signataires, acteurs du mouvement syndical et de la santé au travail, ont témoigné des attaques qui se sont multipliées récemment : suppression de postes à l’inspection du travail, négociation sur la « modernisation » du dialogue social avec, en ligne de mire, la fin des CHSCT (comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail) en entreprise, successions de plaintes d’employeurs contre des médecins du travail et réforme à venir, jurisprudences progressives sans cesse contrecarrées… et bien sûr la loi Macron.

Photo : Denis Allard/Réa
Créé en 2007, l’Observatoire des suicides de France Télécom a mis 
en lien les souffrances au travail et l’organisation du travail de l’entreprise.
Photo : Denis Allard/Réa

« Les salariés sont considérés comme des intrus. »

Anne Marchand, de l’association Henri- Pézerat, a fait « le même constat sur la remise en cause continue du droit du travail et de la défense de la santé des travailleuses et des travailleurs ». La secrétaire de l’association a dénoncé « l’insupportable impunité des employeurs d’Amisol » dans l’empoisonnement à l’amiante de ses employés, avec la décision de non-lieu prononcée le 5 février par la cour d’appel de Paris, mais aussi « l’extension du travail de nuit alors que les études prouvent son lien avec une augmentation des cancers du sein ». Face à ces injustices, Anne Marchand a rappelé comment la mobilisation sociale pouvait faire avancer la loi comme lorsqu’elle déboucha sur « l’obligation de sécurité de résultat pour l’employeur », obtenue par l’arrêt amiante de 2002. Pour protéger ces « travailleurs sentinelles », mobiliser le réseau devient urgent.

En 2007, les syndicats SUD et CFE-CGC ont créé l’Observatoire des suicides de France Télécom, mettant en lien les souffrances au travail et l’organisation du travail de l’entreprise. « Alors que le PDG, Didier Lombard, voulait supprimer 22 000 emplois dans l’entreprise où les fonctionnaires étaient encore très majoritaires, des e-mails étaient envoyés aux agents de France Télécom pour qu’ils cherchent d’autres postes dans la fonction publique », a rappelé Pascal Vitte, de l’Observatoire. À Marseille, le suicide d’un salarié révélait au grand public l’instauration d’un « management par la terreur » de l’entreprise pour supprimer plus vite ces emplois. En 2005, abandonnant son statut public, l’entreprise avait dû créer des CHSCT de droit privé. « Ces instances ont beaucoup contribué à la dynamique de l’observatoire » et notamment à « ouvrir l’organisation du travail à l’expertise du CHSCT ». Mais aujourd’hui, gouvernement et Medef, via la négociation sur le dialogue social, veulent revenir sur ses prérogatives. Pour Pascal Vitte, « il faut défendre le CHSCT ». Mais son pouvoir a des limites, comme l’a démontré Philippe Billard, salarié de la sous-traitance dans le nucléaire puis dans la pétrochimie, élu au CHSCT de son entreprise, qui s’est retrouvé impuissant face au donneur d’ordres.

« Nous avons proposé une loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères face aux sous-traitants, a expliqué le chercheur universitaire Michel Capron. Ce concept nouveau a été développé par l’ONU et l’OCDE et nécessite d’être transposé dans chaque pays. Pour la France, un texte a été élaboré pendant les dix-huit derniers mois pour une discussion en janvier. Or, en commission des Lois, le Parti socialiste, qui avait déposé ce texte, a voté contre… Entre-temps il y a eu une forte pression patronale pour arriver à un nouveau texte édulcoré et simplement incitatif. » La sociologue Danièle Linhart a dénoncé « la comédie humaine du travail » qui se joue aujourd’hui. « On sous-estime les offensives idéologiques. Le discours patronal, relayé par le gouvernement, se fait au nom de la santé de l’entreprise. Les salariés sont considérés comme des intrus. » La directrice de recherche au CNRS a souligné cette volonté de « simplification » affichée, qui supprime les institutions qui empêcheraient l’entreprise de travailler… Face à ces constats partagés, une seule évidence : continuer la bataille. Dès juin, a assuré Éric Beynel, de Solidaires et membre du collectif organisateur, des états généraux seront organisés « pour ne pas évacuer la thématique travail du débat démocratique, et introduire la citoyenneté dans l’entreprise ».

Kareen Janselme, L'Humanité, 13/02/2015.

Plan Cancer: un bilan d'étape axé sur le dépistage

Un premier bilan d'étape pour le 3e plan cancer (2014-2019) est remis ce vendredi. Il met l'accent sur les actions prévues pour améliorer les dépistages et la prévention. 

 
Ce "premier rapport de suivi" est remis ce vendredi matin au Président de la République par Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Geneviève Fioraso, secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, et le Pr Agnès Buzyn, présidente de l’Institut national du cancer. Un an après le lancement de ce troisième plan cancer, ce rapport entend  améliorer les dépistages et aussi intensifier les politiques de prévention contre les cancers, notamment en réduisant le tabagisme. L'Institut national du cancer (INCa) qui est responsable du "pilotage" de ce plan en 185 points, a assuré qu'une "grande majorité des actions programmées respectait le planning prévu".
Toutefois des retards majeurs (plus de trois mois de retard sur le planning prévu) sont notamment relevés dans "l'identification des cancers d'origine professionnelle pour permettre leur reconnaissance en maladie professionnelle".


afp/Philippe Huguen

Dépistage et prévention

Le plan a ainsi prévu la mise en place d'un "dépistage systématique" chez les femmes pour le cancer du col de l'utérus qui touche chaque année 3000 personnes et fait plus de 1.000 morts. L'objectif affiché est de réduire cette mortalité de 30% en dix ans.  "2014 a permis d'engager rapidement les actions nécessaires" à la mise en place de ce dépistage, indique le rapport d'étape. Des études sont en cours pour évaluer les implications économiques et médicales d'un tel programme.
Ce 3e plan cancer affiche également l'objectif de "doubler" d'ici à cinq ans le recours aux vaccins préventifs anti-HPV, recommandés mais non obligatoires, chez les jeunes filles, pour prévenir la survenue d'un cancer du col.  Une étude sur les "effets secondaires" de la vaccination anti-HPV a été engagée en 2014 et sera publiée en 2015 afin de proposer une "stratégie de vaccination", note le rapport d'étape. 
Autre effort mis en avant, le dépistage du cancer du poumon chez les fumeurs par scanner sera l'objet en France d'une évaluation et d'une expérimentation. "Des travaux récents ont montré l'intérêt d'un dépistage du cancer du poumon chez le fumeur par scanner à faible dose, avec une réduction de la mortalité" explique le rapport d'étape. Un plan de dépistage du cancer colorectal qui sera également déployé au cours du premier trimestre 2015.
« Droit à l’oubli ». C’est une mesure promise il y a un an par François Hollande pour permettre aux anciens malades de reprendre une vie normale après le cancer. Bien que guéris, ils restent fortement pénalisés par les assurances et les banques. Ce point est présent dans ce bilan d’étape qui annonce, enfin, le lancement de travaux, avec l’appui d’une mission de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), afin de documenter les probabilités de survie et les modèles de guérison après un cancer, pour faire évoluer l’appréciation du risque par les assureurs.
Document à télécharger : rapport_plan_cancer.pdf
 
L'Humanité, 13/02/2015.

Le 115, en première ligne face à l’urgence sociale

Le centre d’appels de la Seine-Saint-Denis sera en grève aujourd’hui pour dénoncer l’engorgement du système d’hébergement. Reportage parmi les écoutants, témoins de cette souffrance quotidienne.

«Allô, oui ? Bonjour madame. Comment vous appelez-vous ? » Le nom de la jeune femme s’inscrit immédiatement sur l’écran de Boualem, un des écoutants du 115 de Seine-Saint-Denis. L’endroit ressemble à n’importe quel centre d’appels. Des ordinateurs, des casques et des logiciels où défilent des milliers de données. L’image contraste avec la teneur des échanges. Chaque appel, ici, c’est un fragment de vie, un témoignage de l’urgence sociale. « Comment ça se passe, à l’hôtel ? Vous êtes toujours à temps partiel ? » demande Boualem à la jeune mère, comme s’il la connaissait depuis toujours.
À la rue avec ses deux enfants de 2 et 7 ans, cette aide-soignante en CDI aurait presque de la chance. Sa prise en charge dans un Formule 1 de Montreuil a été renouvelée après avoir attendu quarante minutes au téléphone – temps d’attente moyen, hier, à 10 heures du matin. « Et elle n’a connu que deux ou trois hôtels depuis février 2014, sans interruption de prise en charge, et n’a pas changé d’adresse depuis plusieurs mois. C’est extrêmement rare », explique Boualem, en raccrochant le combiné. Pas de quoi, non plus, réjouir ce travailleur social. « Hier soir, reprend-il, 19 familles sont restées dehors, 19 familles avec des enfants contraintes d’aller dormir à l’hôpital ou dans un hall d’immeuble… »

295084 Image 0
Photo Patrick Nussbaum

« Notre métier c’est de mettre 
à l’abri les personnes »

Le nombre de « DNP », à savoir les demandes non pourvues, obsède tous les employés du 115. « Notre métier, explique Boualem, c’est de mettre à l’abri les personnes, pas de les appeler pour leur dire qu’elles devront dormir dans la rue. » C’est pourtant devenu une partie du boulot, du fait de l’engorgement du système d’hébergement. En Seine-Saint-Denis, les demandes ont doublé en un an. En 2013, l’équipe d’Interlogement 93, qui gère le 115 dans le département, recevait en moyenne 3 400 appels par jour, avec 14 écoutants. En 2014, il en recevait 6 800 par jour avec… 15 écoutants. Seul un appel sur vingt était décroché. L’équipe sera aujourd’hui en grève pour demander au gouvernement de faire de l’hébergement et du logement des plus vulnérables une priorité nationale. Une action qui s’inscrit dans la mobilisation nationale menée ce jeudi par le Collectif des associations unies (lire encadré ci-dessous).
Malgré des moyens renforcés pendant la période hivernale, la situation reste catastrophique dans le 93. « Le 2 février, l’équipe a reçu 18 933 appels émanant de 760 numéros différents. 485 appels ont pu être décrochés, parfois au bout de deux heures d’attente. Il n’est pas rare de voir des assistantes sociales lancer des appels simultanés sur 4 portables pour avoir une réponse », raconte Virgine Baillon, responsable opérationnelle d’Interlogement 93. Au final, le 3 février, 41 personnes sont restées sans solution en dépit du plan « grand froid ». Parmi eux, une femme enceinte avec enfant. Un tel drame a failli se répéter mardi soir, raconte Nadège, une autre salariée du 115. C’était aux alentours de 20 h 50. La liste des attributions d’hôtel, centralisées au Samu social, venait de tomber. Nadège devait appeler l’une des 19 familles abandonnées par l’État. « Je fais quoi ? » lui répond une jeune femme, affolée. Enceinte et mère d’un enfant de 4 ans, elle s’était signalée cinq heures plus tôt, à 15 h 51 précisément, pour dire qu’elle avait dépensé, les trois derniers jours, 200 euros en hôtel. Elle n’avait plus d’argent et ne savait pas où dormir. Mais voilà, il n’y avait plus de place, même pour elle. « Elle était presque à terme, et doit accoucher le 18 février », raconte Nadège, qui déclenche une procédure d’urgence. À 21 h 32, elle recevra finalement un SMS avec une adresse d’hôtel… aux Ulis, en Essonne, à des dizaines de kilomètres. « Je m’imaginais cette femme, avec son gros ventre et son môme, obligée d’aller dans un autre département en pleine nuit », raconte Nadège. La jeune femme rappellera le 115 à 0 h 21. « Elle était arrivée dans la gare RER la plus proche, mais les bus ne fonctionnaient plus. Finalement, c’est la police qui l’amènera à destination. » Pour combien de temps ? Deux, trois jours, une semaine au mieux. « On ne fait que bricoler », déplore Virginie Baillon. On abandonne les familles à l’hôtel, sans accompagnement social. C’est encore plus difficile, ensuite, pour trouver un emploi ou scolariser les enfants. « Le problème est plus aigu pour les personnes isolées, beaucoup n’appellent même plus », raconte Boualem. Derrière son paravent, une de ses collègues répond justement à l’une d’entre elles. « Vous avez un duvet ? On vous enverra une équipe de maraude. Bon courage, et passez une bonne journée quand même. »

Pierre Duquesne, L'Humanité, 12/02/2015.

En Seine-Saint-Denis, le “115” à bout de souffle

Pour la première fois, les agents de la plateforme du 115 de Seine-Saint-Denis se sont mis en grève pendant quelques heures jeudi 12 février. Un geste fort pour faire connaître leur exaspération devant l'aggravation de la situation des demandeurs d'hébergement d'urgence.
 

lundi 9 février 2015

Les riches patients étrangers, bouée de sauvetage des hôpitaux français ?

Le sujet serait-il tabou ? Cela fait maintenant six mois que le rapport sur l’accueil des riches patients étrangers dans les hôpitaux français, dévoilé jeudi 5 février par Challenges, a été remis à ses deux commanditaires, Marisol Touraine, ministre de la santé, et Laurent Fabius, celui des affaires étrangères. Depuis, silence radio.

A l’heure où les internes se joignent au mouvement de protestation des médecins libéraux contre la loi santé, serait-il délicat d’annoncer de quelle façon il conviendrait de déplier le tapis rouge pour accueillir davantage de « patients étrangers très solvables », à même de remplir les caisses de l’Etat ? A la CGT Santé, on dénonce d’ores et déjà le risque d’une « médecine à deux vitesses », selon Christophe Prudhomme de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Aujourd’hui, ces patients étrangers fortunés payent 30 % de plus que les Français. Selon les calculs de l’économiste Jean de Kervasdoué, auteur du rapport, en attirer davantage permettrait de dégager en cinq ans 2 milliards d’euros, et de créer « 25 000 à 30 000 emplois ». « Nous avons, médicalement, la capacité de répondre à cette demande » de soins, qui connaît une croissance annuelle « à deux chiffres », assure-t-il. Mais en dépit de ses « atouts », la France a pris du retard face à la concurrence de pays comme l’Allemagne, Dubaï ou la Thaïlande. Il évalue à 1 % la proportion que pourrait atteindre d’ici à dix ans ces malades étrangers payants en France.
En mai 2014, la privatisation de neuf chambres de l’hôpital Ambroise-Paré, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), pendant six jours, afin de soigner un émir du Moyen-Orient et accueillir sa famille, avait suscité une forte polémique. Jean de Kervasdoué se félicite que cet épisode ait pu ouvrir « le débat sur l’acceptabilité sociale et politique » de cette pratique, souvent qualifiée – à tort, selon lui – de « tourisme médical ». « Le seul scandale avec l’émir, c’est de ne l’avoir fait payer que 30 % de plus que le tarif de la Sécu », assure-t-il.

« L’augmentation systématique des tarifs de 30 % est dans la majorité des cas trop bas et dans quelques autres trop élevé », note-t-il dans son rapport. Outre la simplification de la procédure de délivrance des visas pour les patients et leurs familles, l’économiste préconise la mise en place d’une agence – nommée « Médical-France » –, qui serait chargée, par l’intermédiaire d’un site Internet en six langues, de « promouvoir, organiser et contrôler la prise en charge des patients étrangers ».
Il souhaite que les établissements hospitaliers puissent proposer un devis « tout compris » en quelques heures et préconise le développement de sociétés privées de « conciergerie médicale » afin d’accompagner les malades étrangers. Pour lui, « ce sont des gens particulièrement fragiles, ils ont besoin d’être accueillis directement à l’aéroport et d’avoir affaire à des gens qui parlent leur langue, ou au minimum l’anglais ».
Jean de Kervasdoué note également qu’« à de très rares exceptions près, aucun établissement sanitaire français n’est au standard international » en terme de conditions d’accueil, dont il juge la qualité « le plus souvent spartiate ». « Pour accueillir cette patientèle exigeante, il faudrait donc offrir les conditions hôtelières auxquelles ils sont habitués, et bien entendu, les facturer en conséquence », fait-il valoir. La restauration proposée devra « s’habituer aux habitudes alimentaires » de ces patients étrangers et les professionnels de santé et paramédicaux devront être formés à parler une ou plusieurs langues étrangères. « Les Français qui voudraient bénéficier de ce type de service haut de gamme le pourraient dans les mêmes conditions », précise-t-il.

« Destruction de l’hôpital public »

 

Pour le professeur André Grimaldi, membre du Mouvement de défense de l’hôpital public, la mise en place d’un tel service marquerait « la destruction de l’hôpital public ». « Le principe de l’égalité est fondamental, estime-t-il. Si ces patients veulent être soignés en France, ils doivent accepter le système. » Pour lui, « créer un secteur particulier de tourisme médical au sein des hôpitaux, c’est faire entrer le ver dans le fruit du système ».
« Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai jamais vu de moyens supplémentaires mis à disposition pour accueillir ces patients étrangers. Les accueillir à moyen constant, c’est donc le faire au détriment des autres patients », constate pour sa part Jean-Marc Devauchelle, secrétaire général de Sud Santé à l’AP-HP. « Je me battrai pour que ces patients ne soient pas accueillis », ajoute M. Prudhomme.
Pour Jean de Kervasdoué, les craintes de ses détracteurs sont infondées. « Ces éventuels futurs patients n’auraient aucun passe-droit et, d’un point de vue médical, seraient accueillis comme ils l’ont toujours été, et comme le sont les patients français. » Il se dit par ailleurs convaincu que les hôpitaux seraient en mesure « d’absorber » ce flux supplémentaire « sans pénaliser les Français ». Reste à savoir quelles suites les ministres de la santé et des affaires étrangères donneront à ses propositions.

Cancers : cap sur l’immunothérapie

D’abord, un cocorico : parmi les  5 000 communications présentées au congrès annuel de l’Association américaine d’oncologie clinique (American Society of Clinical Oncology ; ASCO), qui s’est tenu à Chicago (Illinois) du 30 mai au 3 juin, près de 10 % ont au moins un auteur français. Un score en nette hausse par rapport à 2013, et qui place la France au premier rang des pays européens, se réjouit l’Institut national du cancer (INCa).


Ensuite, une bouffée d’oxygène pour les chercheurs et surtout pour les patients.  De nombreuses études présentées à cette 50e édition de l’ASCO confirment que l’immunothérapie est bien une nouvelle arme thérapeutique contre les cancers. Cette approche permet même, dans certains cas, d’avoir des espoirs de guérison pour des tumeurs métastastiques, notamment les mélanomes.
Alors que les traitements anticancéreux classiques cherchent à détruire les cellules malignes, l’immunothérapie consiste à mobiliser nos propres cellules de défense pour faire ce travail. Les cellules cancéreuses ont en effet acquis la fâcheuse capacité d’échapper au contrôle des lymphocytes T, chargés d’éliminer les éléments étrangers de notre organisme.
L’idée de l’immunothérapie date de plus d’un siècle, mais les multiples tentatives (vaccins, médicaments, tels l’interféron) se sont longtemps révélées décevantes. Aujourd’hui, les succès se multiplient avec des stratégies plus modernes : anticorps d’action ciblée, nouveaux vaccins et même thérapies cellulaires.

RÉMISSION COMPLÈTE

La donne a commencé à changer en 2010 avec un anticorps monoclonal, l’ipilimumab, qui, pour la première fois, a permis de prolonger la survie de patients atteints de mélanomes métastatiques, des tumeurs quasi insensibles à la chimiothérapie. Le taux de réponse obtenu (une activité chez environ un malade sur cinq) pouvait sembler modeste et la toxicité importante (réactions auto-immunes notamment digestives, sévères, voire mortelles), mais les résultats étaient inédits. Certains de ces patients sont d’ailleurs toujours en rémission complète avec, jusqu’à dix ans de recul, même si leurs médecins sont réticents à prononcer le mot de « guérison ».
Désormais commercialisé sous le nom de Yervoy (laboratoires Bristol-Myers-Squibb) pour le traitement des mélanomes métastatiques, l’ipilimumab agit en bloquant un récepteur des lymphocytes T appelé « CTLA-4 », récepteur qui joue un rôle de frein du système immunitaire. En neutralisant ce frein, l’ipilimumab libère en quelque sorte les défenses de l’organisme contre la tumeur.
Pour savoir s’il serait utile de le prescrire à un stade moins avancé de la maladie, l’équipe du professeur Alexander Eggermont (Institut Gustave-Roussy ; IGR) a mené une étude chez 951 patients ayant un mélanome sans métastases, mais à haut risque de rechute. Les résultats, présentés lundi 2 juin, confirment que cette immunothérapie réduit le risque de récidive d’environ 25 % avec trois ans de recul. Mais le traitement a été mal toléré :  plus d’un malade sur deux l’a interrompu en raison d’effets indésirables,  et cinq sont décédés.

MEILLEURE TOLÉRANCE

D’autres anticorps monoclonaux, semble-t-il bien moins toxiques que l’ipilimumab et efficaces chez une proportion plus importante de patients, font l’objet d’essais dans de multiples indications. Il en va ainsi des anticorps anti PD-1 (pour programmed death ou « mort programmée ») et anti PDL-1, que développent plusieurs laboratoires. « Agir au niveau des récepteurs CTLA-4, c’est comme activer de jeunes soldats qui vont courir partout, mais de façon un peu désordonnée, alors que viser les récepteurs PD-1 permet de réveiller les lymphocytes plus spécifiquement sur le site de la tumeur, explique le docteur Caroline Robert (IGR), qui a participé à plusieurs essais sur les mélanomes. Les anti PD-1 agissent plus rapidement, et de façon plus ciblée que l’ipilimumab, ce qui explique leur meilleure tolérance. »
Ainsi, le nivolumab  (anti PD-1 du laboratoire BMS) obtient, seul ou en association avec l’ipilimumab, des résultats encourageants dans les mélanomes, mais aussi dans d’autres cancers en phase avancée, notamment du rein et du poumon. Un autre anti-PD1 (MK 3475 ou pembrolizumab, Merck) s’est, lui, montré très efficace lors d’ un essai chez plus de 400 patients atteints de mélanomes métastatiques, dont la moitié n’avait pas eu d’amélioration avec l’ipilimumab. Une régression tumorale a été obtenue chez un malade sur trois, avec un effet durable dans le temps et « seulement » 12 % d’effets indésirables graves.
Plusieurs de ces molécules devraient rapidement obtenir une autorisation de mise sur le marché, mais beaucoup de questions restent en suspens. Pour l’heure, il n’existe pas de biomarqueur idéal pour prédire leur efficacité chez un malade donné. Reste aussi à déterminer les meilleures combinaisons thérapeutiques, la durée optimale du traitement. Sans compter les enjeux économiques : l’imilimumab coûte environ 80 000 euros pour quatre injections.
L’immunothérapie anticancer peut aussi faire appel à diverses approches de thérapie cellulaire, réalisées à façon. Une équipe américaine a ainsi présenté à l’ASCO une stratégie originale pour traiter des cancers du col utérin métastasés, consécutifs à une infection à papillomavirus (HPV). Pour chacune des neuf patientes, les chercheurs ont prélevé un échantillon tumoral, isolé des lymphocytes T qu’ils  ont fait proliférer en présence d’antigène d’HPV avant de les réinjecter. Une rémission complète a été obtenue chez deux femmes (avec un recul de onze et dix-huit mois), et une réponse partielle chez une troisième, au prix d’effets secondaires parfois sévères. L’étude doit se poursuivre avec de nouveaux patients, atteints d’un cancer du col utérin ou d’autres tumeurs liées à une infection par HPV, au niveau de la gorge ou de l’anus.

Cancer : favoriser l’accès aux thérapies ciblées

Le diagnostic est tombé : cancer du poumon métastatique, dix mois d’espérance de vie. C’était il y a dix-huit mois. Aujourd’hui, Bernard Desforges, 49 ans, non fumeur, n’a plus dans le corps qu’une tumeur cancéreuse de la taille d’un grain de riz. Dans l’intervalle, ce père de trois enfants résidant à Londres a appris que ses cellules cancéreuses contenaient dans leur ADN une altération du gène EGFR (récepteur du facteur de croissance épidermique), provoquant une croissance tumorale incontrôlée. Une thérapie ciblée (erlotinib, commercialisé par Roche sous le nom de Tarceva) lui a été administrée en Grande Bretagne. Mais, scientifique de formation, Bernard Desforges s’est mis à « creuser le sujet », a passé des centaines d’heures à lire des publications scientifiques, à échanger avec des patients dans le monde entier.


Puis la tumeur principale a été opérée, à sa demande, à Londres. Bernard Desforges a obtenu de faire réaliser un séquençage complet de ses mutations et biomarqueurs, aux Etats-Unis. « Ces analyses m’ont permis de comprendre d'où le danger allait venir, explique-t-il. C’est comme si, sur un terrain de guerre, j'étais entouré de snipers et qu'il fallait repérer l’ennemi. » Une deuxième thérapie ciblée lui a été proposée, le crizotinib (Pfizer), par l’équipe londonienne. Aujourd’hui, Bernard Desforges prend ces deux médicaments, nettement moins agressifs que les traitements classiques. Il a entrepris d’ « éliminer le grain de riz », en y associant en plus de l’immunothérapie proposée en Allemagne, à base d’injections mensuelles de cellules dendritiques, qui visent à reprogrammer son système immunitaire.
Le parcours thérapeutique international de Bernard Desforges, qui s’est récemment engagé comme volontaire à la Fondation Arc pour la recherche sur le cancer, fait figure d’exception. Mais il illustre le succès que peuvent constituer ces thérapies ciblées, aussi disponibles en France. Vraie révolution ces quinze dernières années, le principe est simple : la maladie n’est plus traitée en fonction de l’organe touché mais en fonction des spécificités de la tumeur, de son « profil génétique ». Des molécules ciblent ces anomalies, on parle alors de médecine de précision.

Gommer les inégalités d’accès

 

« Malgré les spectaculaires avancées de la recherche, et l’amélioration des taux de survie des malades, le séquençage des tumeurs n’est pas effectué en routine, affirme Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation Arc pour la recherche sur le cancer. Il faut aller plus vite et passer d’une médecine d'exception à une médecine pour tous ; en généralisant ces approches, on doit pouvoir gagner 40 000 vies de plus par an », c’est-à-dire guérir deux cancers sur trois dans moins de dix ans. C’est un cri d’alarme que lance la fondation ARC, lundi 2 février, deux jours avant la journée mondiale contre le cancer. Elle formule huit propositions pour un meilleur accès à l’innovation thérapeutique, accompagnées d’un appel aux dons sur www.innovationcancer.org.
Alors qu’un cancer sur trois était guéri il y a vingt ans, un cancer sur deux l’est aujourd’hui. Même si cela reste la première cause de mortalité, avec 150 000 décès par an en France. Et si son incidence augmente (350 000 nouveaux cas en 2013, contre 278 000 en 2000) avec l’augmentation de l’espérance de vie mais aussi en raison de facteurs environnementaux, notamment le tabac chez les femmes.
« Nous souhaitons que ces innovations puissent être disponibles pour tous, sans inégalités d’accès », explique lui aussi le professeur François Sigaux, directeur de la recherche et du développement de l’Institut national du cancer (INCa), qui pilote 28 plates-formes labellisées où s’effectuent ces tests de séquençage. C’est l’un des buts du troisième plan cancer (2014-2019) : faire bénéficier de ces traitements à un maximum de malades, et ce, sur tout le territoire. « Sans cet accès à l’innovation, Bernard Desforges ne serait sans doute plus parmi nous », insiste Axelle Davezac. Le séquençage des exomes (la partie codante du génome d’une tumeur) permet de repérer toutes les anomalies. 65 000 patients en France ont bénéficié en 2013 d’un test de génétique moléculaire déterminant l’accès à une thérapie ciblée, selon le site de l’Inca.

Limitation dans le temps

 

Ce test sera-t-il à l’avenir proposé à tous les patients atteints de cancer ? « Nous sommes convaincus que la généralisation du séquençage total de l’exome apportera un bénéfice pour les patients, en prévoyant mieux les thérapies. Des études sont en cours afin de valider cela », explique le professeur Fabrice André, oncologue à l’Institut Gustave Roussy (Villejuif).
L’arrivée des thérapies ciblées a bousculé le schéma classique des essais cliniques. Une quarantaine d’entre elles sont aujourd’hui commercialisées, plus de 800 sont en cours d’étude, plus ou moins avancée. Aujourd’hui, seulement 5% à 8% des patients sont inclus dans un essai de recherche clinique, déplore la fondation Arc. L’objectif du plan cancer est d’inclure 50 000 patients par an dans les essais cliniques thérapeutiques à l'horizon 2019, contre 25 000 en 2013, notamment les cancers pédiatriques, jusqu’ici trop délaissés par la recherche.
Il convient ensuite de mettre en place la bonne thérapeutique. Il faut à chaque fois trouver la bonne formule entre l’anomalie génétique, la molécule qui pourra la cibler, en l’associant si nécessaire avec l’immunothérapie. « Il faut être prudent, car les effets des thérapies ciblées semblent limités dans le temps. Et il existe des anomalies pour lesquelles il n’y a aucun traitement, avertit le professeur Sigaux, il ne s’agit pas de donner de faux espoirs aux patients. »
Autre bémol : « Le délai entre le moment du rendez-vous pour le prélèvement et le rendu des résultats va de une semaine à plus d’un mois selon les endroits », pointe le professeur François Ghiringhelli, oncologue médical au Centre de lutte contre le cancer à Dijon et chercheur. Les associations de patients sont très vigilantes sur les inégalités. « Cette pratique tend à se généraliser mais se heurte aux moyens, le séquençage d'une tumeur coûtant plus de 1 000 euros », explique le professeur Ghiringhelli. Le patient ne débourse rien pour l’instant. Le succès de ces avancées thérapeutiques n’est pas sans poser la question de leur financement. Il s’agit là d’un choix politique et sociétal.
« Le problème est aussi que le prix de ces médicaments est scandaleusement élevé. On arrivera à un moment où la collectivité ne pourra plus payer », lance le professeur Jean-Paul Vernant, hématologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (APHP) et auteur des recommandations pour le troisième plan cancer. En Grande-Bretagne, certains médicaments de ce type ne sont plus remboursés, ce qui pose un problème éthique. « L’industrie pharmaceutique ne devrait pas être une industrie comme les autres, et devrait baisser le prix des médicaments, insiste le professeur Vernant, car le malade n’est pas un consommateur comme les autres. »

Pascale Santi, Le Monde, 02/02/2015.