lundi 8 juin 2015

Les vaccins face à une flambée de défiance

C’est un paradoxe. Alors que les autorités sanitaires s’inquiètent de la défiance des Français à l’égard des vaccins, il est difficile de trouver certains d’entre eux dans les pharmacies. C’est sur la base de cette inquiétude qu’a été lancée le 19 mai, sur Internet, une pétition de l’Institut pour la protection de la santé naturelle – IPSN, organisme privé basé à Bruxelles – alertant sur les dangers de la vaccination. Elle a dépassé les 500 000 signatures en dix jours. Très alarmiste, ce texte dénonce la pénurie actuelle des vaccins obligatoires contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (DTP), contraignant les parents à utiliser un produit combiné, dit hexavalent, qui protège aussi contre la coqueluche, l’haemophilus, cause de méningite chez l’enfant, et l’hépatite B.


Vidéo à l’appui, le professeur Henri Joyeux, cancérologue, ex-président de l’association Familles de France et membre de l’IPSN, qui porte cette pétition, affirme que ce vaccin (Infanrix Hexa de GSK) « coûte sept fois plus cher » que les autres vaccins DTP, et contient des substances « dangereuses », voire « très dangereuses ». Affirmations qui ont créé un buzz sur a Toile tout en suscitant moult réactions.
« Je trouve indigne de la part d’un médecin, d’attiser les inquiétudes et de faire croire qu’un vaccin est mauvais pour la santé. Imaginer qu’arrêter de se vacciner ne ferait pas revenir les maladies, c’est tout simplement de la folie », a ainsi réagi mardi 2 juin Marisol Touraine, ministre de la santé, sur France Info. Le professeur Roger Salamon, président du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qualifiait fin mars le professeur Joyeux, « soi-disant lanceur d’alerte », « d’extrêmement dangereux ».

Colcanapa

« Niveaux de concentration infimes »

 

Les arguments pointés par la pétition sont un à un dénoncés par les experts. Utilisé depuis 2002 en France, le vaccin hexavalent est jugé « efficace et sûr ». « C’est tout à fait pertinent et indispensable de vacciner les bébés contre l’haemophilus, car cela a permis la quasi disparition chez l’enfant des méningites que cause cette bactérie, et il faut rappeler que la coqueluche peut être mortelle chez les nourrissons », insiste le professeur Serge Gilberg, membre du Comité technique des vaccinations, chargé d’élaborer la stratégie vaccinale au sein du Haut Conseil de la santé publique. Selon l’Institut national de veille sanitaire (INVS), 165 cas de coqueluche ont été recensés en 2013, contre 7 000 en moyenne par an avant 1966, date à laquelle la vaccination a été généralisée.
Quant à la question de vacciner les bébés contre l’hépatite B, transmise principalement par voie sexuelle, la Spilf estime que « l’efficacité de la vaccination est d’autant plus durable qu’elle est réalisée tôt ». Par ailleurs, « le lien de cause à effet entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques n’est pas démontré », indique Dominique Labbé, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (ANSM). En 2014, l’INVS a dénombré 1 300 décès imputables à l’hépatite B. « Les effets de la vaccination seront visibles dans vingt ans », souligne Sylvie Quelet, qui dirige le département des maladies infectieuses de l’Institut.
Autre question centrale, celle de la présence dans l’Infanrix Hexa d’aluminium et de formaldéhyde, « deux substances dangereuses », affirme Henri Joyeux. Or l’hypothèse selon laquelle l’aluminium comme adjuvant dans les vaccins – utilisé depuis près d’un siècle – diffuserait dans le cerveau et serait responsable de maladies comme Alzheimer ou Parkinson et la myofasciite à macrophages (maladie rare qui provoque des douleurs musculaires et une intense fatigue) « ne repose sur aucun fait scientifique », indique la Spilf, comme l’a indiqué un rapport du HCSP en 2013. Quant à la présence de formaldéhyde, substance cancérigène, « les niveaux de concentration dans les vaccins sont totalement infimes », indique Dominique Labbé.

Eventuels effets secondaires

 

Dans tous les cas, les autorités sanitaires s’inquiètent du recul de la vaccination. La France reste le pays où la couverture vaccinale est la plus faible en Europe pour l’hépatite B (74 %) et la rougeole (89 %). L’INVS vient d’alerter sur la recrudescence de la rougeole. Depuis 2008, 23 500 cas ont été déclarés ayant entraîné 1 500 cas de pneumopathie grave, 34 formes neurologiques compliquées avec séquelles graves et dix morts. Attention, « on voit des cas de poliomyélite au Moyen-Orient ou en Europe de l’Est, le tétanos existe dans des populations non vaccinées. Si en France la vaccination régressait, ces maladies reviendraient », martèle-t-on au ministère.
L’épisode de la grippe A (H1N1) a contribué à instiller des doutes
La méfiance envers les vaccins ne date pas d’hier. Elle est même aussi vieille que la vaccination, selon le chercheur et historien Patrick Zylberman. La crainte s’accentue sur d’éventuels effets secondaires. Ainsi la méfiance de la population face aux vaccins en général est passée de 10 % en 2005 à 40 % en 2010, selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). C’est surtout l’épisode de la grippe pandémique A (H1N1) de 2009-2010 qui a notamment contribué à instiller des doutes, aboutissant à vacciner hâtivement des millions de personnes, alors qu’elle s’est finalement révélée largement moins agressive qu’annoncé.
Pour renforcer cette confiance qui s’érode, beaucoup réclament plus de transparence, notamment sur les liens pouvant exister entre experts et laboratoires. Car « aujourd’hui, des messages controversés diffusés sur Internet, via les réseaux sociaux, a bien plus d’écho qu’un avis éclairé ou qu’une campagne de prévention », déplore-t-on au ministère. La marge est d’autant plus étroite qu’« il y a une interrogation du public face à ces pénuries, qui limitent le choix pour les parents, et contribuent à entretenir la méfiance », souligne le professeur Gilberg.
Pourtant, les progrès apportés par la vaccination sont incontestables, insiste l’INVS, chiffres à l’appui. « Avant 1945, date à laquelle la vaccination contre la diphtérie a été introduite, on recensait plus de 45 000 cas par an, et 3 000 décès. Grâce au vaccin, cette maladie a disparu : le dernier cas remonte à 1989 », indique Sylvie Quelet. Même constat pour le tétanos. « Avant 1940, cette maladie était à l’origine de 300 décès par an, aujourd’hui plus personne n’en meurt. »

Chloé Hecketsweile et Pascale Santi , Le Monde,4 juin 2015.

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