mercredi 9 août 2017

Embryons humains génétiquement corrigés : "Une prouesse médicale" qui pose question

La technique soulève autant d'espoirs que d'interrogations éthiques.

72% des embryons corrigés

L'équipe a ainsi pu corriger ces embryons humains, en enlevant le gène porteur de la cardiomyopathie hypertrophique. Une maladie cardiaque particulièrement sévère, comme l'explique le chirurgien :
"C'est une pathologie grave qui provoque des troubles du rythme, une insuffisance cardiaque, et peut entraîner des morts subites lors de la pratique d'un sport."
Concrètement, les chercheurs ont réalisé une fécondation in vitro d'ovocytes féminins normaux par des spermatozoïdes porteurs du gène défectueux. En même temps que le sperme, ils ont également introduit les outils d'édition génétique. Le résultat a été concluant : 72% des embryons (42 sur 58) ont ainsi été corrigés alors que ce taux aurait été de 50% sans les fameux ciseaux génétiques.
La méthode, qui nécessite encore de nombreuses recherches, "peut potentiellement servir à prévenir la transmission de maladies génétiques aux générations futures", a commenté lors d'une conférence de presse l'un des auteurs de l'étude, Paula Amato.
Mais cette perspective est encore lointaine. Pour Philippe Menasché, l'étude présente encore beaucoup d'inconnues :
"En tant que chirurgien, je me pose la question de l'applicabilité ou non de cette technique. Est-ce que ces embryons pourraient se développer normalement ? A terme, les enfants seraient-ils normaux ? L'étude ne nous le dit pas." 
 L'Observateur, 04/08/2017.
 

Des "bébés à la carte"

Au-delà de l'aspect pratique, cette technique soulève de sérieuses questions éthiques. Peut-on imaginer voir un jour naître des bébés exempts de toute maladie génétique ? Où commence l'eugénisme ? Pour le médecin :
"L'homme s'expose à un risque de dérive à partir du moment où la manipulation n'aurait plus pour objet exclusif le traitement d'une maladie. La question éthique reste la rançon du succès." 
Car théoriquement, cette technique pourrait servir à produire des bébés génétiquement modifiés afin de choisir la couleur de leurs cheveux ou d'augmenter leur force physique ou leur intelligence. Des bébés à la carte, comme l'imaginait déjà Aldous Huxley dans "le Meilleur des Mondes". 
La pratique peut bien soulever des inquiétudes, mais elle ne s'apparente en rien à de l'eugénisme défend le professeur Serge Romana, généticien à l'hôpital Necker de Paris :
"L'eugénisme repose sur l'idée qu'on élime toutes anomalies génétiques. Or ici, dans ce cas, on ne fait que guérir une pathologie que l'on connaît. Cela n'a rien à voir."

Une pratique très encadrée en France

Evidemment, ce genre de travaux ne peut s'opérer sans cadre réglementaire. De quoi balayer tout risque de dérives ? "En France oui, puisqu'on vit dans une société avec des garde-fous. Mais ce n'est pas le cas partout", nuance Philippe Menasché.
Paris, qui a signé la convention d'Oviedo (pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain) ratifiée en 2011, autorise les "interventions sur le génome humain" uniquement dans certaines conditions : pour des "raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elles n'ont pas pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance".  
Il y a donc peu de chances que l'expérience américaine puisse même se poursuivre en France. Il n'empêche, entre limites éthiques et progrès médical évident, le débat est relancé. 

L'Observateur, 04/08/2017.

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