vendredi 5 mai 2017

Educateur spécialisé, un métier qui attire moins

En première ligne face aux maux de la société mais en manque de moyens, la profession, qui recrute, voit néanmoins le nombre de ses diplômés baisser.

Le Monde, par Véronique Soulé, 02/05/2017



Le recul étant limité, les centres de formation ne ressentent pas toujours cette moindre attraction pour la profession. En 2015, ces instituts totalisaient encore 13 732 étudiants, soit une baisse de 3,5 % en cinq ans. « Nous ­accueillons 30 étudiants chaque année et nous avons plus de 200 candidats à l’oral, explique Joao de Medeiros, responsable pédagogique à l’Ecole supérieure de travail social (Etsup) à Paris. Si nous en avons eu moins à l’écrit, c’est parce que désormais les écoles, hors des instituts régionaux de travail social (IRTS), proposent une admissibilité commune. Les candidats peuvent passer l’épreuve près de chez eux, et ensuite venir chez nous pour l’oral. »

Au centre de formation d’Ile-de-France des Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active,un mouvement d’éducation nouvelle), on affirme en revanche avoir pris la mesure du repli. « Nos statistiques sont claires : nous avons moins d’inscrits en éducation spécialisée et plus en formation de moniteur éducateur, un diplôme obtenu en deux ans contre trois pour le premier », affirme Nadia Azoug, la ­directrice adjointe. D’après elle, cela s’explique en bonne partie par les débouchés : « De plus en plus, les structures recrutent des moniteurs éducateurs, car ils ­coûtent moins cher, et cette formation devient une porte d’entrée dans la profession. »

Si le métier reste globalement épargné par le chômage, un secteur est touché : la prévention spécialisée. Céline Favre, 33 ans, a été durant quatre ans éducatrice de rue en Seine-Saint-Denis, avec des populations roms, puis dans un quartier difficile. Partie vivre à Lyon, elle cherche du travail dans la prévention spécialisée ­depuis plusieurs mois. Sans succès. « On est dehors toute la journée, sur le terrain, à essayer de rattraper des jeunes avant la rupture ou des mères seules qui sont à bout, explique-t-elle. C’est un travail difficilement quantifiable, dont les résultats prennent du temps. Les politiques préfèrent des dispositifs avec une rentabilité. D’où la baisse des fonds alloués par les départements et la fermeture de clubs de prévention. »



Éducateur spécialisé pendant douze ans, Emmanuel Gutierrez, 38 ans, a décidé de se reconvertir. Après une formation d’un an, le voilà maraîcher, à ­2 kilomètres d’Aix-en-Provence et à 20 kilomètres de Marseille, sa ville. Désormais, il vend des paniers bio. « J’ai été déçu, confie-t-il, trop de paperasse, une hiérarchie pesante, un manque de moyens, le sentiment de ne pas faire au mieux. » La dernière année, il ­accompagnait de jeunes mineurs isolés. « Ils devaient être logés dans des studios, mais comme il n’y en avait pas assez, on les mettait dans des hôtels sordides. Etait-ce vraiment mieux que dehors ? »

L’ex-éducateur aime toujours son métier initial. C’est d’ailleurs pour mieux y revenir qu’il s’est lancé dans le maraîchage. « Dans trois ans, lorsque mon activité sera stabilisée, explique-t-il, je contacterai les associations d’insertion. Je proposerai des contrats de travail aux personnes qu’elles accueillent, avec un accompagnement. Au lieu de les trimbaler de mini-stages en mini-formations et remises à niveau, ces associations pourront proposer une activité qui a du sens, rémunératrice et valorisante. »
Malaise de la profession

Emmanuel Gutierrez exprime ainsi le malaise d’une partie de la profession. Comme lui, beaucoup assurent aimer leur métier. Qu’ils l’exercent auprès de personnes handicapées, de mineurs confiés à l’Aide sociale à l’enfance ou de populations en rupture, ils revendiquent leur fibre sociale, indispensable pour affronter la misère qu’ils côtoient. En première ligne face aux maux de la société, ils confient aussi être ­régulièrement en proie aux doutes et aux désillusions.

Alors que l’éducation spécialisée fait partie des professions « en tension » où l’on recrute, une étude de la direction statistique du ministère des affaires sociales et de la santé a fait état, en décembre 2016, d’une baisse de 5,8 % du nombre de diplômés sortis des écoles entre 2013 et 2015. Si l’on tient compte des ­diplômés par la validation des acquis d’expérience (VAE) et par d’autres voies, la baisse est de 3,5 %. Rien de spectaculaire, mais un signal tout de même.

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