mardi 29 août 2017

Que contient la directive européenne sur les travailleurs détachés ?

En déplacement en Europe centrale, Emmanuel Macron a critiqué le mécanisme, accusé de favoriser le « dumping social ».


« Une trahison de l’esprit européen » : c’est en ces termes forts qu’Emmanuel Macron a critiqué mercredi l’application actuelle de la directive sur le travail détaché en Europe, qu’il accuse de favoriser le « dumping social », c’est-à-dire de détourner le droit et d’instaurer une concurrence déloyale entre les salariés des différents pays.
Le président français s’exprimait mercredi 23 août à Salzbourg, en Autriche, première étape de sa tournée en Europe centrale, qui passera par la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie. Ces quatre pays refusent de réviser la directive qui permet la libre circulation des travailleurs de l’Union européenne (UE). Explications.

Qu’est-ce qu’un travailleur détaché ?


La directive européenne concernant le détachement de travailleurs remonte à 1996 et est censée contribuer au développement du marché intérieur de l’UE en facilitant la circulation de la main-d’œuvre.
L’article 2 du texte définit le travailleur détaché comme « tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un Etat membre autre que l’Etat sur le territoire duquel il travaille habituellement ». Attention, donc, à ne pas confondre ces salariés avec les ressortissants d’un Etat membre qui s’installent durablement dans un autre pays et y cherchent un emploi, sans être salarié d’une entreprise de leur pays d’origine au préalable.
Le texte prévoit trois cas de figure de travail « transnational » :
  1. Un employé envoyé dans un autre pays dans le cadre d’« un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet Etat membre » ;
  2. Un salarié détaché dans un autre pays « dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe » ;
  3. Un travailleur intérimaire détaché à « une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un Etat membre ».
Dans les trois cas, il est expliqué qu’une « relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement » doit subsister.

Que prévoit la directive pour ces salariés ?


Les conditions de travail de ces salariés doivent respecter la législation du pays dans lequel ils sont détachés. C’est notamment le cas pour le salaire minimal, mais aussi pour la durée minimale des congés payés, les périodes maximales de travail, les conditions de sécurité, etc.
En revanche, une entreprise qui détache une personne continue de payer les cotisations sociales dans le pays où celui-ci est employé habituellement. Concrètement, cela veut dire qu’une entreprise polonaise qui envoie temporairement des salariés en France dans le cadre d’un contrat doit les payer au salaire français, mais s’acquitte des cotisations sociales polonaises.
Pourquoi cette directive est-elle critiquée ?
Après l’Allemagne, la France est l’un des pays les plus concernés par le travail détaché au sein de l’UE. Plus de 285 000 salariés y ont été déclarés à ce titre en 2015 (+ 25 % par rapport à 2014), selon le ministère du travail. Ils venaient principalement de Pologne (48 800 salariés), du Portugal (44 400), d’Espagne (35 200) et de Roumanie (30 600). La plupart travaillent dans des secteurs en tension, comme le bâtiment, les transports ou l’hôtellerie-restauration.
Le développement de cette pratique au cours des vingt dernières années fait que la directive sur les travailleurs détachés est régulièrement accusée de favoriser le dumping social, auquel elle est pourtant censée donner un cadre. En effet, même si une entreprise paye ses employés au salaire minimal français, les coûts de main-d’œuvre sont tirés vers le bas, tant l’écart est fort entre le niveau de cotisations sociales en France (autour de 45 %) et celui de pays comme la Roumanie (13 %) et la Slovénie (21 %).
Par ailleurs, le système de travailleurs détachés alimente une série de fraudes, détaillées dans un rapport parlementaire de mai 2013 :
  • la non-déclaration des salariés ;
  • le contournement des règles en vigueur (non-respect du salaire minimal, de la durée légale du travail…) ;
  • l’apparition de montages pour contourner l’esprit de la loi, par exemple avec des entreprises « coquilles vides » ou « boîte aux lettres », qui n’exercent aucune activité réelle dans le pays d’origine, mais « détachent » des salariés à l’étranger.

Quelles réformes sont envisagées ?


Alertée des dérives par la France, l’Allemagne et la Belgique, la Commission européenne avait présenté, en mars 2016, un projet de révision de la directive de 1996. L’objectif était de garantir que les travailleurs détachés soient payés non pas au salaire minimal du pays où ils exercent, mais à un niveau de rémunération équivalent à leurs collègues, en fonction de leurs compétences (y compris primes, 13e mois, etc.).
Mais ce texte avait été rapidement rejeté par onze pays, principalement d’Europe centrale ou de l’Est (Pologne, Bulgarie, Hongrie, Croatie, République tchèque, Estonie, Roumanie, Lituanie, Lettonie, Slovaquie, Danemark), qui dénoncent une tentative de protectionnisme.
Les discussions et tractations entre Etats membres se sont poursuivies durant plus d’un an, jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron propose, en juin 2017, une nouvelle révision du texte, dans le sens d’un durcissement. La France demande en effet que le détachement soit limité à une durée de douze mois (contre vingt-quatre actuellement) et que la lutte contre les sociétés « boîte aux lettres » soit renforcée, avec davantage de coopération européenne contre les fraudes.
Si le président français milite pour une révision ambitieuse du travail détaché, il n’a pas intérêt à abroger la directive. En effet, la France se classe au troisième rang des pays européens qui détachent le plus de travailleurs à l’étranger. Selon un document de la CNLTI daté de 2015, 200 000 Français travaillent ponctuellement dans d’autres Etats de l’Union.

Le Monde, 23/08/2017.

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