dimanche 1 juin 2014

L'emploi des femmes recule fortement dans les zones urbaines sensibles





Diana a le regard qui devient flou quand elle évoque son parcours. Voilà plus de six ans que cette grande et belle Bulgare ne trouve pas de travail. Des petits boulots, des contrats aidés dans des associations, des vacations de cantine mais pas de véritable embauche. Cette mère de famille a pourtant un CV exceptionnel dans la cité de la Thibaude à Vaulx-en-Velin (Rhône) : ancienne directrice de scène de l'Opéra national de Sofia, arrivée en France pour suivre un master professionnel, elle avait décroché un CDI à Tourcoing (Nord) comme régisseuse générale d'un théâtre. La préfecture a fait opposition à son embauche. Depuis, Diana galère.
Mariem, 37 ans, est dans la même situation. Titulaire d'un diplôme d'éducatrice, voilà dix ans qu'elle enchaîne des contrats précaires et prend tout ce qu'on lui propose : comptable, livreuse, auxiliaire de petite enfance… Elle est " au bout du rouleau ". Car, pour ces femmes vivant dans les quartiers populaires, la crise frappe plus dur encore que pour les hommes.
Deux études viennent de tirer le signal d'alarme sur la situation de l'emploi des femmes dans les quartiers. L'Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) a publié pour la première fois une note spécifique qui montre que près d'une femme sur deux en âge de travailler (âgée de 15 à 64 ans) y est inactive. Ce taux d'inactivité est en hausse de 5 points depuis 2008.
Dans le même temps, l'activité des femmes habitant dans les agglomérations environnantes s'est maintenue, comme celle des hommes vivant en ZUS (zone urbaine sensible). " Une proportion croissante de femmes ne se déclare ni en emploi ni en recherche d'emploi ", écrivent ainsi les auteurs de l'étude, estimant " préoccupante "cette évolution qui dénote un véritable découragement.
Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes fait le même constat, en observant que l'écart entre les femmes et les hommes dans l'accès à l'emploi est de 16 points en ZUS, contre 8 points en moyenne hexagonale. Le niveau de diplôme joue à plein. Les femmes peu diplômées peinent plus que leurs homologues masculins à trouver un emploi. Et quand elles en trouvent un, c'est majoritairement dans les services. Or, depuis 2008, ce sont les emplois faiblement qualifiés qui ont le plus reculé.
A Vaulx-en-Velin, dans le " top 3 des métiers féminins ", comme l'appelle Laurent Visocchi, directeur de l'antenne Pôle emploi, on trouve agent de propreté, aide maternelle et aide à domicile. Des emplois peu qualifiés, mal payés, qui ont reculé massivement. Quant aux plus diplômées, même jeunes, leur situation, moins dramatique, s'aggrave aussi : elles se retrouvent plus souvent dans des contrats précaires, à temps partiel ou le dimanche – ce dernier taux a augmenté de 4 points en quatre ans.
Chômage ou retrait du marché du travail ? Les deux phénomènes s'imbriquent, et les femmes passent d'une situation à l'autre, car il ne semble plus y avoir de postes pour elles. Cette chute inquiétante est trop récente pour avoir fait l'objet de recherches dans les différents quartiers prioritaires. Mais le constat semble général dans les antennes de Pôle emploi, les missions locales, les associations.
A Grigny, bassin d'emploi plus industriel et donc plus masculin, le nombre de femmes inscrites à Pôle emploi est supérieur à celui des hommes et croît depuis trois ans. " Mais nous n'avons pas de dispositif particulier de suivi car ce serait compliqué de faire de la discrimination dans un sens, alors, on se débrouille ", note Franck Locher, de la mission locale.
" Ces femmes n'arrivent plus à trouver quoi que ce soit, et elles se découragent. De plus en plus, elles ne s'inscrivent même plus au chômage ", insiste Naziha Chalabi, médiatrice du réseau Femmes de l'espace, un projet interassociatif de Vaulx-en-Velin. Au manque de diplôme s'ajoutent des obstacles spécifiques : le " manque de mobilité "– elles sont 47 % à détenir le permis de conduire à Vaulx, contre 71 % des hommes – et de véhicule, et la responsabilité d'enfants. " Plus le nombre d'enfants augmente, plus l'activité diminue pour les femmes ", souligne l'Onzus.
Les observations du terrain sont plus nuancées. " Cela contraint les femmes à avoir un emploi dans le secteur où elles habitent, et pourtant, on sent une détermination à chercher plus forte que dans la population masculine ", remarque Annie Lopez, responsable de l'agence Pôle emploi du 14e arrondissement de Marseille.
En ZUS, une jeune femme de 18 à 25 ans sur cinq est mère de famille. " On voit de plus en plus de jeunes femmes qui lâchent tout après le diplôme et se marient ou font un enfant. Devant le chômage qui les attend, c'est leur porte de sortie ", lâche Radostina Siorat, animatrice socioculturelle à Vaulx-en-Velin. Le constat est prudemment partagé par plusieurs observateurs. Certaines missions locales ou antennes de Pôle emploi commencent à proposer des modes de garde temporaires pour la recherche d'emploi, mais elles sont encore rares.
Sylvia Zappi
© Le Monde

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