Pour Charlie Hebdo, un million et demi de manifestants dans les rues de Paris entre la République et Nation, du jamais-vu ! La riposte populaire et citoyenne aux crimes perpétrés contre la liberté d’expression s’est révélée bien plus forte que les tentatives de division et d’instrumentalisation politiciennes.
Il y a la marche des chefs d’État, bien encadrée par les forces de
sécurité, puis il y a la marée humaine, la manifestation, la vraie, qui,
dans le désordre et la bonne humeur, rassemble un million et demi de
personnes. Cette foule gigantesque sèche ses larmes et panse son effroi
en se répandant maintenant sur toutes les avenues, les boulevards et
dans toutes les petites rues entre la place de la République et celle de
la Nation. Tout ce monde se cherche, se regarde, s’admire aussi de se
voir. Franck embrasse sa fille Léa, accrochée à un feu de circulation :
« Je suis si heureux que tu voies ça », lui glisse-t-il. « Papa, c’est
pire qu’impressionnant, c’est magnifique ! » murmure-t-elle.
Dès le début de l’après-midi, Paris est littéralement submergé par
la mobilisation populaire et citoyenne. « Je marche pour la liberté, pas
derrière les politiques ! » clame crânement une jeune femme, loin des
caméras. Sur la place de la République, déjà noire de monde, la foule
scande, sur le mode des supporters de foot, avec, pour certains, des
drapeaux bleu-blanc-rouge : « Charlie, Charlie, Charlie ! » Aux balcons
des immeubles, les habitants ont accroché des banderoles : « Ici, c’est
Charlie » – toujours dans le même registre – ou, d’une manière plus
pressante, « Restons unis ! ». Au fil des minutes, les cris finissent
par s’éteindre, remplacés par de longs tonnerres d’applaudissements qui
montent et descendent sur les boulevards. Il n’y a guère de mots, juste
l’image de ce « Tous ensemble », le souffle coupé. « Liberté, je Charlie
ton nom », résume une manifestante.
Photo : Charles Plattiau/Reuters |
« Unis contre les fascistes »
À partir de « Je suis Charlie », le message générique de ces
derniers jours, beaucoup déclinent : « Je suis hyper casher », « je suis
policier », « je suis Ahmed », « je suis juif », « je suis la
République », « je suis flic », « je suis en deuil », etc. Pancartes
bricolées à la main, sur lesquelles beaucoup de manifestants tiennent à
s’exprimer. « Non à la barbarie, non aux amalgames, non à
l’intolérance », revendiquent deux jeunes femmes voilées. Non loin, un
barbu clame « Vive le blasphème ! » en brandissant une couverture du
journal satirique. Deux policiers montrent, eux, « Tous Charlie », le
montage réalisé par Ernest Pignon-Ernest et Nelly Maurel en dernière
page de l’édition spéciale de l’Huma qui s’arrache au bénéfice de Charlie Hebdo.
Le silence. Puis les applaudissements, en salve. Puis de nouveau le
silence. La foule, compacte converge de toutes les rues adjacentes pour
rejoindre les grands axes sur lesquels les trois cortèges se sont
élancés. À bout de bras, en bandoulière, collé dans le dos ou inscrit
sur le visage, partout s’affiche le soutien indéfectible aux valeurs de
la République. « En tuant nos libertés, vous avez créé l’unité », « Unis
contre les fascistes, qu’ils soient nationalistes ou religieux »,
« Toujours debout et insoumis », les slogans défilent cependant que la
foule se densifie.
Céline a voulu faire vivre l’esprit de Charlie Hebdo. Sur
un immense crayon découpé dans un morceau de carton, elle a inscrit
« Droit au blasphème. Non de Dieu ! ». Parce que « par-delà la tristesse
et le choc, et même si parfois, les dessins de Charlie ont pu
choquer, nous avons le droit de critiquer la religion », explique cette
jeune femme de trente-quatre ans. À quelques pas de là, des roses
blanches à la main et à la boutonnière, elles sont venues entre copines
se recueillir en participant à ce grand mouvement populaire qui a
envahi, hier, les rues de la capitale. Sylviane, Sophie, Christelle,
Zaza et Vanessa crient leur tristesse. Leur colère aussi. « Nous sommes
debout avec cette rose blanche qui signifie la naissance et le deuil. Et
même si certains dirigeants politiques tentent de récupérer la
situation, après tout, c’est leur affaire, on réglera ça plus tard. Pour
l’instant, nous sommes là en tant que citoyennes, pour avoir encore le
droit de l’ouvrir et de rire », explique l’une d’elles.
En effet, les sentiments se mélangent. Devant le 43 de la rue de la
République, la CGT a appelé le monde du travail à se rassembler. Les
militants de la FSU et de l’Unsa sont venus nombreux. Pour
Jean-Philippe, secrétaire de la section des postiers communistes de
Paris et syndiqué à la CGT, pas question de ne pas être là aujourd’hui.
« Je veux qu’il y ait un après ! » lance-t-il. « Je veux que les gens
achètent et lisent la presse, s’informent et critiquent. Je veux une
prise de conscience. » Même si le débat a été parfois difficile, « il
est important que nous soyons là aujourd’hui, je suis heureux de
défiler, de ne pas laisser toute la place à ceux qui, dans ce défilé,
refusent, par exemple, l’idée même d’un État palestinien », poursuit
Jean-Philippe qui estime fondamentale que les forces progressistes
soient « visibles », parce qu’« elles sont à leur place, ce qui n’est
pas le cas de certains autres. » Céline aussi est révoltée que
« certains petits dictateurs soient là aujourd’hui ». « On a choisi un
autre itinéraire, on ne défilera pas derrière eux », précise-t-elle.
(...)
Marion d’Allard,
Alexandra Chaignon et Thomas Lemahieu
Lire la suite le site de L'Humanité.fr du 12/01/2015 : http://www.humanite.fr/la-vague-du-tous-ensemble-plus-forte-que-les-semeurs-de-haine-562229
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire