lundi 12 janvier 2015

La vague du « tous ensemble » plus forte que les semeurs de haine

Pour Charlie Hebdo, un million et demi de manifestants dans les rues de Paris entre la République et Nation, du jamais-vu ! 
La riposte populaire et citoyenne aux crimes perpétrés contre la liberté d’expression s’est révélée bien plus forte que les tentatives de division 
et d’instrumentalisation politiciennes.


Il y a la marche des chefs d’État, bien encadrée par les forces de sécurité, puis il y a la marée humaine, la manifestation, la vraie, qui, dans le désordre et la bonne humeur, rassemble un million et demi de personnes. Cette foule gigantesque sèche ses larmes et panse son effroi en se répandant maintenant sur toutes les avenues, les boulevards et dans toutes les petites rues entre la place de la République et celle de la Nation. Tout ce monde se cherche, se regarde, s’admire aussi de se voir. Franck embrasse sa fille Léa, accrochée à un feu de circulation : « Je suis si heureux que tu voies ça », lui glisse-t-il. « Papa, c’est pire qu’impressionnant, c’est magnifique ! » murmure-t-elle. 
 
Dès le début de l’après-midi, Paris est littéralement submergé par la mobilisation populaire et citoyenne. « Je marche pour la liberté, pas derrière les politiques ! » clame crânement une jeune femme, loin des caméras. Sur la place de la République, déjà noire de monde, la foule scande, sur le mode des supporters de foot, avec, pour certains, des drapeaux bleu-blanc-rouge : « Charlie, Charlie, Charlie ! » Aux balcons des immeubles, les habitants ont accroché des banderoles : « Ici, c’est Charlie » – toujours dans le même registre – ou, d’une manière plus pressante, « Restons unis ! ». Au fil des minutes, les cris finissent par s’éteindre, remplacés par de longs tonnerres d’applaudissements qui montent et descendent sur les boulevards. Il n’y a guère de mots, juste l’image de ce « Tous ensemble », le souffle coupé. « Liberté, je Charlie ton nom », résume une manifestante.
 
Photo : Charles Plattiau/Reuters
Photo : Charles Plattiau/Reuters

« Unis contre les fascistes »

 
À partir de « Je suis Charlie », le message générique de ces derniers jours, beaucoup déclinent : « Je suis hyper casher », « je suis policier », « je suis Ahmed », « je suis juif », « je suis la République », « je suis flic », « je suis en deuil », etc. Pancartes bricolées à la main, sur lesquelles beaucoup de manifestants tiennent à s’exprimer. « Non à la barbarie, non aux amalgames, non à l’intolérance », revendiquent deux jeunes femmes voilées. Non loin, un barbu clame « Vive le blasphème ! » en brandissant une couverture du journal satirique. Deux policiers montrent, eux, « Tous Charlie », le montage réalisé par Ernest Pignon-Ernest et Nelly Maurel en dernière page de l’édition spéciale de l’Huma qui s’arrache au bénéfice de Charlie Hebdo

Le silence. Puis les applaudissements, en salve. Puis de nouveau le silence. La foule, compacte converge de toutes les rues adjacentes pour rejoindre les grands axes sur lesquels les trois cortèges se sont élancés. À bout de bras, en bandoulière, collé dans le dos ou inscrit sur le visage, partout s’affiche le soutien indéfectible aux valeurs de la République. « En tuant nos libertés, vous avez créé l’unité », « Unis contre les fascistes, qu’ils soient nationalistes ou religieux », « Toujours debout et insoumis », les slogans défilent cependant que la foule se densifie. 
 
Céline a voulu faire vivre l’esprit de Charlie Hebdo. Sur un immense crayon découpé dans un morceau de carton, elle a inscrit « Droit au blasphème. Non de Dieu ! ». Parce que « par-delà la tristesse et le choc, et même si parfois, les dessins de Charlie ont pu choquer, nous avons le droit de critiquer la religion », explique cette jeune femme de trente-quatre ans. À quelques pas de là, des roses blanches à la main et à la boutonnière, elles sont venues entre copines se recueillir en participant à ce grand mouvement populaire qui a envahi, hier, les rues de la capitale. Sylviane, Sophie, Christelle, Zaza et Vanessa crient leur tristesse. Leur colère aussi. « Nous sommes debout avec cette rose blanche qui signifie la naissance et le deuil. Et même si certains dirigeants politiques tentent de récupérer la situation, après tout, c’est leur affaire, on réglera ça plus tard. Pour l’instant, nous sommes là en tant que citoyennes, pour avoir encore le droit de l’ouvrir et de rire », explique l’une d’elles. 
 
En effet, les sentiments se mélangent. Devant le 43 de la rue de la République, la CGT a appelé le monde du travail à se rassembler. Les militants de la FSU et de l’Unsa sont venus nombreux. Pour Jean-Philippe, secrétaire de la section des postiers communistes de Paris et syndiqué à la CGT, pas question de ne pas être là aujourd’hui. 
« Je veux qu’il y ait un après ! » lance-t-il. « Je veux que les gens achètent et lisent la presse, s’informent et critiquent. Je veux une prise de conscience. » Même si le débat a été parfois difficile, « il est important que nous soyons là aujourd’hui, je suis heureux de défiler, de ne pas laisser toute la place à ceux qui, dans ce défilé, refusent, par exemple, l’idée même d’un État palestinien », poursuit Jean-Philippe qui estime fondamentale que les forces progressistes soient « visibles », parce qu’« elles sont à leur place, ce qui n’est pas le cas de certains autres. » Céline aussi est révoltée que « certains petits dictateurs soient là aujourd’hui ». « On a choisi un autre itinéraire, on ne défilera pas derrière eux », précise-t-elle. 
(...)
 
Marion d’Allard, 
Alexandra Chaignon et Thomas Lemahieu

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