L’hebdomadaire Charlie Hebdo a été victime, hier matin, d’un attentat meurtrier à Paris. Au moins douze personnes sont mortes, dont les plus grands dessinateurs du journal satirique. Trois hommes armés, qui auraient crié des revendications islamistes, étaient toujours recherchés hier.
Anéantis, les survivants ont été pris en charge d’urgence
Les témoins décrivent le « calme » des deux hommes qui
ressortent alors des locaux de Charlie. Sur une vidéo amateur filmée
pendant l’attaque depuis un toit voisin, on peut entendre l’un des
tireurs en tenue noire, kalachnikov en main, hurler : « Allah akbar ! »
(dieu est grand !) puis un autre : « On a tué Charlie Hebdo ! » Les
attaquants remontent à bord de leur Citroën. S’ensuivent deux fusillades
qui ne feront pas de blessés avant que les attaquants ne se retrouvent
face à une patrouille de police, boulevard Richard-Lenoir. Un agent est
blessé à la jambe, à terre, les terroristes l’achèvent à bout portant
d’une balle dans la tête. Le calme et la détermination des tueurs
témoignent d’un entraînement poussé, de type militaire, insistent les
sources policières. « Le commando a agi avec un mode opératoire très
technique, explique Loïc Lecouplier. Lorsqu’ils sont ressortis de
Charlie, ils se sont retrouvés face aux policiers, ils étaient très
froids, très sûrs d’eux. » Un autre policier : « Ce ne sont pas des
illuminés qui ont agi sur un coup de tête. » Ils tiennent leurs
kalachnikovs serrées près du corps, tirent au coup par coup et non par
rafales, ce qui démontrerait qu’ils ont été entraînés à s’en servir.
« D’après les premiers éléments, ces hommes se sont revendiqués
d’al-Qaida au Yémen, explique Rocco Contento, secrétaire départemental
du syndicat Unité SGP Police. La sécurité devant Charlie n’était pas
spécialement insuffisante. Il y avait quotidiennement un ou deux
policiers. Mais nous n’aurions jamais imaginé en arriver là, avec des
individus qui viennent flinguer des journalistes en plein dans leurs
locaux… C’est du jamais vu ! » Un peu plus loin, place du
Colonel-Fabien, ils percutent une automobiliste blessée légèrement. Ils
abandonnent leur voiture rue de Meaux, dans le 19e. Les assaillants
braquent un automobiliste et s’enfuient vers le nord de Paris à bord de
sa Clio. Les forces de l’ordre perdent alors leur trace. « Si on ne les
attrape pas tout de suite, vu le profil organisé des terroristes, leur
interpellation risque de prendre du temps », soulignait hier Rocco
Contento. Au total, les trois hommes ont tué douze personnes et fait
onze blessés, dont quatre en « urgence absolue », selon François
Hollande, qui s’est rapidement rendu sur les lieux. Anéantis, les
survivants ont été pris en charge par une cellule d’urgence
psychologique dans un théâtre, face au journal. La brigade criminelle de
la police judiciaire parisienne et la direction générale de la sécurité
intérieure ont été chargées de l’enquête. Le plan Vigipirate est activé
à son plus haut degré. Les enquêteurs ont lancé un appel à témoins, un
numéro vert a été mis à disposition afin de recueillir tous témoignages
sur cet attentat (1). Une cellule interministérielle de crise est
pilotée par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui a annoncé
que l’ensemble des services de l’État s’étaient mobilisés immédiatement
après l’attentat. Près de 500 CRS et gendarmes mobiles ont été déployés
dans la capitale.
« Le seul journal satirique, engagé, sans pub, qui défendait la laïcité »
Rapidement, le périmètre autour de Charlie est bouclé pour
que la police scientifique puisse faire des relevés et exploiter la
scène de crime. Les informations et la sidération se propagent à une
vitesse folle. « Des fusils contre stylos, les lâches sont à l’œuvre »,
« Fusillade à #CharlieHebdo ». Le mot d’ordre « Je suis Charlie » est
repris par tous sur les réseaux sociaux. Journalistes, politiques et
anonymes affluent au siège de l’hebdomadaire. François Hollande, Manuel
Valls, Pierre Laurent (PCF), Jean-Luc Mélenchon (PG), Bruno Lemaire
(UMP), Jean-Louis Borloo (UDI), entre autres, se rendent rapidement sur
place. Parmi les nombreux anonymes, une femme en pleurs. Sans rien dire,
elle pose une rose rouge et redouble de chagrin, quand elle apprend que
Charb est décédé. « Je suis une lectrice de Charlie Hebdo. J’étais
venue les défendre sur le parvis de l’hôtel de ville, en 2011, après
l’incendie. Il n’y avait pas grand monde dans les rues de Paris, à cette
époque. On n’a peut-être pas été assez réactif à ce moment-là, on n’a
pas répondu assez fortement. » Elle sort de son sac le dernier
exemplaire de Charlie. « Je ne l’ai pas encore ouvert », dit-elle en
montrant la une, pas encore froissée. « C’est bizarre, ce drame qui
arrive le jour où ils épinglaient Houellebecq. Ils venaient aussi de
publier un supplément pour en mettre plein la gueule à la religion
catholique », poursuit cette fidèle lectrice, qui avait déjà participé à
la souscription récemment lancée par l’hebdomadaire. « C’est le seul
journal satirique, engagé, sans pub, qui défendait la laïcité, se
battait ouvertement contre le racisme, contre le sexisme, contre
l’homophobie, et ce constamment, avec courage, contre tous les
intégristes. Ils ont voulu tuer le journal, il y a deux ans. Ils y sont
arrivés. Un mercredi, à 11 heures, ils étaient sûrs de les avoir tous
sous la main. Au-delà des hommes, c’est aussi la ligne éditoriale qui
était visée, et tous les progressistes. Et bientôt, ce sera le tour de
qui ? » Non loin, un jeune dessinateur pleure ses pairs assassinés :
« Charb, Wolinski, Cabu, Tignous… Ils sont morts, tous morts, égrène
Vito, horrifié. La presse ne sera plus la même. C’étaient des poids
lourds, des dessinateurs de presse qui avaient cinquante ans de
bouteille. » Non loin de lui, l’imam de Drancy est venu rendre visite
aux rescapés de l’attaque et dire son soutien. Il connaissait bien
l’équipe du journal, pour l’avoir défendu à l’époque de l’incendie
criminel. Lui aussi est choqué. « Quand on a attaqué Charlie Hebdo par
le passé, j’étais déjà aux côtés du journal, explique Hassen Chalghoumi.
On devrait répondre à l’art par l’art, aux dessins par les dessins, à
l’écrit par l’écrit. Mais on ne peut pas répondre par la haine, par le
sang. J’ai une pensée pour mon ami Charb, pour les policiers et leurs
familles. » Hier soir, partout en France, une marée humaine est
descendue dans la rue pour dire non au terrorisme et rendre hommage aux
morts de Charlie. Richard Malka, avocat historique de Charlie, déclarait
hier à Libération : « Notre vie ne sera plus jamais la même après cette
journée. Je n’ai pas de mots. Aidez-nous ! Aidez-nous à continuer à
pouvoir rire, à ce que le silence ne s’installe pas, à ce que la peur
ne s’installe pas. Il faut pouvoir se battre avec les armes de la
démocratie : le rire, la solidarité, les mots. Il ne faut pas se laisser
impressionner. »
L'Humanité,Marie Barbier, Pierre Duquesne, Alexandre Fache et Laurent Mouloud
Jeudi, 8 Janvier, 2015.
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