samedi 9 mai 2015

BAC L ou BAC ELLES ? Par Olivia de Lamberterie

Comment dit -on « écrivaine » en novlangue ? Dans le projet du programme scolaire 2016, tel un inventaire à la Prévert qui aurait rencontré Jean-Claude Van Damme, on trouve bien une piscine – « milieu aquatique profond standardisé » –, un crayon – « instrument scripteur » –, des devoirs – « produire des messages » –, mais guère de littérature. 


Dans ce jargon pédagogique (dont l’apprentissage pourrait joyeusement remplacer celui du latin), on propose donc comme définition du mot auteure : « émetteur de sexe féminin qui, avec un instrument scripteur, proposerait un discours qui compte pour du beurre ». En effet, d’un coup de crayon sacrément inspiré, la dessinatrice (et grande lectrice) Diglee a observé, sur son blog, que toutes les œuvres imposées cette année à l’épreuve de littérature du bac L avaient été écrites par des hommes. Un malheureux fait du hasard ? Non, après avoir consulté les archives de l’Education nationale, la blogueuse a découvert qu’en treize ans, les trente-deux écrivains tombés au bac étaient tous des mâles.
Interrogé dans « Libération », le président de l’Association des professeurs de lettres se défend, que dis-je, s’apitoie : mes pauvres dames, les écrivaines ne courent pas les rues ! Ben oui, mon bon monsieur, pendant des siècles, les femmes étaient bonnes à faire le ménage en attendant le prince charmant, pas question pour elles de mettre le bout de leur pantoufle de vair dans une école ! Pour mémoire, il a fallu attendre 1861 pour qu’une femme obtienne le droit de passer son bac. Mais tout ce qui est rare n’est-il pas cher ? Plutôt que de jeter aux oubliettes de la littérature les courageuses qui ont osé prendre la plume plutôt qu’un balai, ne faudrait-il pas les mettre en avant pour respecter, au moins, la parité ? Mais alors, on va devoir mettre au programme « des écrivains de second ordre », se désole le même professeur de lettres dont on taira le nom par charité. Et comme on est décidément très charitable, on lui a préparé une liste (non exhaustive) : Christine de Pisan, Madame de La Fayette, Olympe de Gouges, Madame de Staël, George Sand, Colette, Elsa Triolet, Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Annie Ernaux. Une liste de premier ordre, parole de parent d’élève, pardon, en novlangue, parole de génitrice d’apprenant.

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