Acteur et victime d'une déshumanisation en marche : Vincent Lindon est Thierry, vigile dans un supermarché. "Je voulais placer mon personnage dans un écosystème où il se trouve obligé de surveiller son collègue", explique le réalisateur.
Pour sa première sélection en compétition au Festival de Cannes 2015, Stéphane Brizé retrouve, dans "la Loi du marché", Vincent Lindon pour la troisième fois, après "Mademoiselle Chambon" et "Quelques heures de printemps".
L’hypermarché est un personnage récurrent du cinéma français. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce cadre ?
Stéphane Brizé
L’hypermarché est un cadre cinématographique idéal pour créer de la
fiction, des images. Avec un personnage d’agent de sécurité, cet endroit
est intéressant parce qu’il peut être un lieu de répression modeste. Je
voulais placer mon personnage dans un écosystème où il se retrouve
obligé de surveiller son collègue. Puis, tout le monde va faire ses
courses et passe devant les agents de sécurité ou les hôtesses de caisse
sans les voir. Il est important que la caméra se déplace sur les
invisibles, les oubliés, tous ces gens qui peuvent être dans des
situations économiques très difficiles
Comment s’est déroulée la collaboration avec l’hypermarché ?
Stéphane Brizé
On a tourné sans jamais
interrompre la marche du supermarché. On s’est noyé dans la masse.
Vincent Lindon était habillé en agent de sécurité et déambulait comme
les autres en bout de caisse. Il n’a jamais été interpellé par des
clients. On était en longue focale. On pouvait filmer de loin les plans
serrés. On est resté très discret. Les employés du film travaillent à
l’hypermarché.
Comment le réel a-t-il nourri le film ?
Stéphane Brizé
J’ai passé beaucoup de
temps dans l’hypermarché. J’ai fait un stage d’agent de sécurité, où
j’ai assisté à des scènes hallucinantes. Elles dépassent tellement
l’imagination qu’elles ne peuvent pas fonctionner dans un film de
fiction. Lors d’une interpellation, une dame qui avait volé pour
10 euros, disait des choses totalement surréalistes à l’agent de
sécurité noir que l’on voit dans le film : « Vous avez conscience que
nous ne sommes pas de la même race, monsieur ? Entendez-vous ce que je
dis ? » Pour finir, son mari est entré en hurlant : « Vive Marine ! »
J’ai essayé de mettre cette scène dans le film mais elle était
intournable. Dans la fiction, on est parfois obligé d’accentuer le réel,
parfois de le retenir. J’ai rencontré beaucoup d’hôtesses de caisse.
J’ai trouvé une modestie très particulière chez beaucoup d’entre elles.
Au quotidien, elles doivent supporter la mauvaise humeur des gens avec
le sourire. Après dix ou vingt ans, cela crée une personnalité. De la
même manière, j’ai énormément discuté avec les gens de Pôle emploi,
assisté à des formations sur les CV, les entretiens d’embauche. C’est
comme cela que j’ai rencontré le formateur du film. Chaque métier
possède un langage. Ces mots que je n’aurais pu inventer nourrissent les
scènes de réel. En rencontrant ces gens, on dépasse les clichés.
(...)
Entretien réalisé par Michaël Melinar,Mardi 19 Mai 2015,L'Humanité
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