samedi 21 novembre 2020

Covid-19 : des élèves infirmiers appelés en renfort, parfois aux dépens de leur temps de formation

Certains étudiants alertent sur le fait que ces missions empiètent sur leur temps d’apprentissage, au détriment de leur formation.

La deuxième vague épidémique qui frappe les établissements de santé cet automne suscite un branle-bas de combat dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Au printemps, plus de 65 000 étudiants, selon la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi), ont été missionnés « sous couvert d’un stage » pour répondre aux « besoins en personnel » des établissements de santé. Une fois encore, les élèves sont appelés à la rescousse des équipes soignantes au bord de la rupture, parfois aux dépens de leur formation.

Lors de la première vague, l’expérience n’a pas toujours été facile. Mi-mars, Naïza Savignat, élève dans un IFSI parisien, termine un stage en pédopsychiatrie. L’établissement est en réunion de crise : les déprogrammations s’organisent pour laisser plus de place aux patients Covid. La jeune femme est appelée en renfort comme aide-soignante dans le même hôpital. « C’est sur la base du volontariat, précise Naïza. L’institut nous dit où sont les tensions en personnel et sans trop réfléchir, on y va dès lors que des gens ont besoin de nous. Je me suis retrouvée en réanimation. Je n’avais aucune expérience de ce service. » 

 

« Des abus »

La future infirmière prend d’emblée la mesure de la crise. « Mon premier décès était un monsieur âgé, mais sans comorbidité. Il en avait marre de vivre dans cet état. On l’a retrouvé sans son masque respiratoire. J’ai dû l’emmener à la morgue, j’y ai vu de nombreux corps alignés les uns derrière les autres. C’était dur. » C’était sa première journée d’un renfort de plus de trois mois.

La deuxième vague ne laisse pas plus de répit ni de temps d’études aux élèves infirmiers des territoires les plus touchés. « L’état de fatigue chez les soignants nécessite tous les renforts possibles », déclare, le 4 novembre, Thomas Deroche, directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de Normandie. Le 12 novembre, c’est Laurent Wauquiez, président (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui annonce la mobilisation de 4 000 étudiants en santé sur son territoire – même si ce sont les ARS qui sont en charge de la mobilisation des personnels et des étudiants en santé.

Dans un vade-mecum du ministère des solidarités et de la santé du 23 octobre, que Le Monde a consulté, le gouvernement fixe les règles. Il est précisé qu’une semaine de renfort en tant qu’aide-soignant ne sera attribuée que si l’étudiant réalise une période de stage en tant qu’élève infirmier de quatre semaines minimum.

Dans les faits, « il y a des abus et l’utilisation des renforts n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire », souligne Martine Sommelette, présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Plusieurs ARS font pression sur les IFSI, mettent à l’arrêt les formations et placent des élèves infirmiers sur des postes d’aides-soignants. Le 18 novembre, l’ARS de Provence-Alpes-Côte-d’Azur a suspendu la formation des étudiants de deuxième année pour répondre « aux fortes tensions en ressources humaines » que subit le territoire. En Pays de la Loire, 1 250 élèves infirmiers de deuxième année sont mobilisés, « en particulier sur des postes d’aide-soignant », reconnaît l’ARS.

« La peur au ventre »

En Bourgogne-Franche-Comté, depuis le 9 novembre, les 2 000 élèves de 2e et 3e années « ont été placés en stage », assure l’ARS. Idem dans la région Grand-Est où Fabien (le prénom a été modifié) a été contacté, le 30 octobre, par son institut pour rejoindre un pôle maladies infectieuses. « Après avoir passé sept semaines aux urgences au printemps, on m’envoie maintenant comme aide-soignant dans un service 100 % Covid. J’y vais la peur au ventre mais l’institution ne me laisse pas le choix. »

Les cours manqués au printemps ont souvent été reportés à l’automne. « Certains ont un déficit de connaissances, d’acquisitions de gestes techniques, d’apprentissage de raisonnements cliniques », constate Martine Sommelette. En cas de remobilisation, « on va avoir de nouvelles carences », s’inquiète-t-elle. Les élèves eux-mêmes s’interrogent sur une formation qu’ils doivent suivre en pointillé : « Nous avons besoin de nos heures de cours. Nous envoyer sur le terrain maintenant, cela serait presque dangereux », avertit Alexia, élève d’un IFSI alsacien. « Il faut préserver les temps d’apprentissage », reconnaît Pierre-Emmanuel Lecerf, directeur général adjoint de l’AP-HP.

Alors que la prochaine cohorte d’infirmiers diplômés est attendue avec impatience au sein des établissements de santé, Martine Sommelette rappelle que « soulager les soignants, c’est de l’immédiat, mais permettre de former des soignants compétents, c’est assurer l’avenir ». 

Source : Le Monde, 21/11/2020.

 

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