mercredi 27 avril 2016

Le numérique à l’école change-t-il vraiment le rapport à l’erreur ?

Najat Vallaud-Belkacem affirme que le numérique en classe change le rapport à l’erreur. Rue89 a questionné ce constat.

 

C’est un passage qui nous a intrigué. « Je constate, lors de visites dans des classes passées au numérique, que son utilisation change le rapport à l’erreur », observait Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, dans une récente interview au Monde.
« Un élève qui s’exerce au calcul mental sur sa tablette ne craint pas de se tromper et d’être jugé. Plus confiant, il peut beaucoup mieux progresser.
Or les études Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) nous montrent que si les élèves français obtiennent de mauvais résultats, notamment en maths, c’est justement par peur de l’erreur. »
Si Najat Vallaud-Belkacem cite en exemple le calcul mental, l’observation est valable quelles que soient les disciplines, précise-t-on au ministère.
Rue89 a donc questionné l’affirmation, en interrogeant profs et chercheurs : en classe, le numérique change-t-il vraiment le rapport à l’erreur ?

Tu t’es trompé, dit la machine

Pour André Tricot, professeur d’université à l’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) à Toulouse, cela a été constaté dans certains cas. Pour un élève en difficulté scolaire, la répétition de retours négatifs sur son travail peut être perçue comme une menace. Le fait qu’ils soient exprimés par une machine gomme cette forme de pression sociale.
« On ne va pas percevoir cet autrui comme jugeant. »
Plusieurs études ont établi ce mécanisme supposé (sur les exercices dits simples) et c’est sans doute ce à quoi fait allusion la ministre, avance André Tricot, coauteur d’« Apprendre avec le numérique, mythes et réalités » (éd. Retz, 2014).
Une élève de la British School of Paris utilise un iPad, à Croissy-sur-Seine, le 3 décembre 2012
Une élève de la British School of Paris utilise un iPad, à Croissy-sur-Seine, le 3 décembre 2012 - FRED DUFOUR/AFP
Rémi Angot, prof de maths dans un collège de Clarensac (Gard), le constate quand ses élèves font des exercices de calculs devant un ordinateur.
« Ce n’est plus le prof qui vient dire “tu t’es trompé” mais la machine. En tant que prof, ça nous met dans une autre position, davantage dans un rôle de coach ou d’entraîneur. »

« L’outil ne suffit pas »

Professeur de mathématiques dans un collège de Calais classé Rep+ (Réseaux d’éducation prioritaire), Guillaume Caron teste depuis deux ans et demi les tablettes en cours. Il s’en sert plutôt en petits groupes, quand leur utilisation est pertinente : il arrive que les tablettes sommeillent dans leur étui pendant une ou deux semaines. Pour lui : 
« Le changement du rapport à l’erreur relève davantage d’une démarche globale. L’outil numérique le facilite, dans la mesure où il est intégré à la démarche pédagogique. »
Pour ce prof de maths, il y a quelque chose de très français à considérer une erreur comme une faute, « alors que l’erreur fait partie du processus d’apprentissage ».
Il estime qu’il faut retravailler les méthodes d’évaluation et s’intéresser au processus de réflexion de l’élève en proposant par exemple davantage de questions ouvertes.
« Le changement de rapport à l’erreur ne doit pas seulement être attribué à l’outil », reconnaît de la même manière le ministère de l’Education nationale.
« Mais aussi à la démarche pédagogique des enseignants qui font de l’erreur un élément constructif de l’apprentissage. »
Le ministère cite notamment la pédagogie de l’essai-erreur : apprendre en procédant par tâtonnement, comme dans un jeu vidéo.

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