mercredi 25 novembre 2020

L’ONU reconnaît officiellement l’utilité médicale du cannabis

Le cannabis et ses dérivés restent toutefois, selon la législation internationale, des substances considérées comme favorisant fortement l’abus, au même titre que la cocaïne.

La Commission des stupéfiants des Nations unies (CND), l’organe qui décide quelles substances sont considérées comme des drogues au vu du droit international, a approuvé, mercredi 2 décembre, la « reclassification » du cannabis et de sa résine dans les conventions internationales, reconnaissant de fait son utilité médicale.

Jusqu’ici, le cannabis et sa résine étaient considérés selon leur classement dans l’annexe IV de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la catégorie la plus restrictive, où sont répertoriées les substances qui favorisent fortement l’abus et ont un très faible, voire aucun, intérêt médical. Ce n’est plus le cas après le vote très serré (27 pour, 25 contre, 1 abstention) lors de la 63e session de la CND, qui a suivi les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cette dernière a demandé en 2019, études scientifiques à l’appui, d’enlever ces substances de l’annexe IV, car elles présentent « un potentiel thérapeutique ». Désormais, le cannabis pourra être utilisé dans la fabrication de médicaments, au même titre que l’opium ou la morphine, sans que son utilisation soit découragée par l’ONU, comme c’était le cas jusqu’alors.

 

Déclassification symbolique

Les instances internationales sur le contrôle des drogues sont des organes habitués à l’inertie, et il est rare qu’un vote fasse bouger aussi distinctement les lignes. « C’est la première fois depuis 1916 que l’on reconnaît, au niveau international, l’intérêt thérapeutique du cannabis. Depuis plus d’un siècle, les conventions internationales sur les drogues maintenaient que ce produit était dangereux et sans intérêt médical. En 2020, l’ONU reconnaît le contraire », explique Yann Bisiou, maître de conférences à l’université Montpellier-III et spécialiste du droit de la drogue. Mais tout historique qu’elle soit, cette « déclassification » comporte une grande part de symbolique.

Déjà, rappelle Yann Bisiou, parce que les cinq autres recommandations de l’OMS soumises au vote, dont celle de ne pas considérer le cannabidiol (CBD) comme un stupéfiant, ont été rejetées. Une semaine plus tôt, la justice européenne statuait pourtant que cette molécule aux effets relaxants présente dans la plante de cannabis ne pouvait pas être considérée comme un stupéfiant.

Mais, avant tout, le cannabis et ses dérivés restent, selon la législation internationale, des stupéfiants. Ils tombent désormais dans l’annexe I de la convention de 1961, certes moins restrictive que l’annexe IV en ce qui concerne l’utilisation médicale, mais qui recense tout de même des substances considérées comme favorisant fortement l’abus, telles que la cocaïne. Les pays qui le légaliseraient, comme l’ont fait le Canada ou l’Uruguay, contreviendraient toujours à la législation internationale.

« Les calculs politiques ont prévalu »

L’International Drug Policy Consortium (IDPC), qui regroupe 192 ONG travaillant sur les politiques publiques de la drogue, s’étonne de ce reclassement « dans l’annexe I (…) malgré les études de l’OMS qui montrent que le cannabis est moins dangereux que la plupart des drogues qui y sont inscrites ». Pour Martin Jelsma, directeur du programme Drogues & Démocratie à l’ONG Transnational Institute, c’est avant tout la rigidité des instances internationales en général, et de la convention de 1961 en particulier – « un instrument brutal et daté » –, qui est en cause.

Malgré ses conclusions scientifiques qui montrent que le cannabis n’a rien à y faire, l’OMS n’a ainsi eu d’autre choix que de recommander le classement dans l’annexe I. Quant à une suppression pure et simple du cannabis et de ses dérivés des traités internationaux, « ça n’aurait eu aucune chance d’être voté par le CND », estime Martin Jelsma. John Walsh, directeur du pôle drogue au Washington Office on Latin America, le dit plus abruptement dans une analyse sur les limites de ce vote :

« Le fossé entre les conclusions scientifiques de l’OMS et la logique douteuse derrière la décision de maintenir le cannabis dans l’annexe I suggère que les calculs politiques ont prévalu par rapport aux évaluations purement scientifiques. »

Début de l’expérimentation en mars en France

Même la conséquence majeure de ce vote, celle d’acter dans les traités internationaux les bienfaits médicaux du cannabis, arrive comme une queue de comète, pour certains spécialistes. « Le traitement du cannabis par les organes internationaux montre surtout leur retard par rapport à l’élan grandissant de réformes en faveur du cannabis thérapeutique, légalisé dans plus d’une cinquantaine de pays dans le monde », note par exemple l’IDPC.

D’autres y voient quand même une avancée politique, un léger électrochoc qui pourrait sortir de leur torpeur les pays encore récalcitrants, comme la France. Pour achever un processus de plusieurs années, une expérimentation sur 3 000 patients doit commencer au plus tard en mars 2021, et pour une durée de deux ans, afin de déterminer « la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis à usage médical », selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

Le vote à l’ONU, malgré ses limites, pourrait conforter, voire accélérer cette dynamique en France, estime Yann Bisiou, par ailleurs cofondateur de l’association L630, qui milite pour une réforme des politiques publiques sur les drogues. « L’influence de l’ONU pourrait nous faire passer d’une phase d’expérimentation à celle d’une généralisation du cannabis thérapeutique plus vite que prévu », analyse-t-il. En effet :

« Si même les Nations unies reconnaissent qu’il y a un intérêt thérapeutique au cannabis, ce n’est peut-être pas la peine que l’on passe deux ans en France à se poser la question. »

Source : Le Monde, 02/12/2020.

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