samedi 28 novembre 2015

Près de 2,5 millions de Français vivent dans un désert médical.

Sous-préfecture, petite commune rurale, arrondissement de grande ville comme Marseille… Réparties sur l’ensemble du territoire et présentant des profils très divers, voilà à quoi ressemblent les zones « potentiellement en danger » d’un point de vue de l’accès aux soins. Selon les Atlas régionaux de la démographie médicale publiés jeudi 26 novembre par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), la France métropolitaine compte aujourd’hui 192 déserts médicaux dans lesquels vivent près de 2,5 millions de personnes.

Pour parvenir à ces chiffres, beaucoup plus fins que l’habituelle échelle départementale, l’ordre a pour la première fois analysé les 2 378 « bassins de vie » qui maillent le territoire. A l’intérieur de ces aires urbaines, il a corrélé les chiffres de la densité des médecins et l’évolution de leurs effectifs depuis 2007, puis a accompagné ces résultats d’une multitude de variables médicales et sociodémographiques. « En affinant la connaissance de l’offre de soins, cette classification statistique va aider les réflexions menées au niveau local avec les agences régionales de santé », explique Patrick Romestaing, l’un des vice-présidents du CNOM.

Résultat : les régions Centre (avec 43 zones repérées), Poitou-Charentes (22) et Haute-Normandie (18) comptent le plus grand nombre de bassins de vie « très défavorisés » en termes d’accès aux soins. L’Auvergne, la Champagne-Ardenne, la Corse et l’Ile-de-France ne connaissent aucune zone en forte tension.

Des patients du village de Bélesta en Ariège manifestent devant la mairie du village voisin de Villebrumier contre le manque de généralistes dans la région, en juillet 2010.
Des patients du village de Bélesta en Ariège manifestent devant la mairie 
du village voisin de Villebrumier contre le manque de généralistes dans 
la région, en juillet 2010.  REMY GABALDA / AFP

Maisons médicales pluridisciplinaires

Point commun de ces 192 territoires, pourtant différents par leur taille et leur population : les médecins peinent tous à trouver des successeurs lors de leur départ à la retraite. « Dans les Côtes-d’Armor, la situation est dramatique, on est dans une impasse totale », assure Jacques Morali, le président du conseil régional de l’ordre des médecins de Bretagne. Les 24 bassins de vie « très défavorisés » de la région ont perdu en huit ans un tiers de leurs généralistes. Un autre tiers est aujourd’hui âgé de plus de 60 ans.
Pour expliquer ce difficile passage de relais, le docteur Morali avance le manque d’opportunité de travail pour le conjoint ou la volonté de préserver une certaine qualité de vie. « Je n’ai pratiquement jamais dîné avec mes enfants, je ne suis jamais allé les chercher à l’école, je ne leur ai jamais raconté d’histoire le soir, raconte le médecin de 66 ans, retraité depuis deux ans. La société a changé, c’est une vie dont les jeunes médecins ne veulent plus. »
Dans la région Centre, qui détient le record de zones en danger, les initiatives se multiplient pour favoriser l’installation des jeunes médecins.
« Les déserts médicaux sont souvent des déserts tout court, prévient Claude Neveur, le président du conseil régional de l’ordre. La population s’effrite, l’école et la poste sont parties, il n’y a parfois même pas de ligne de bus… Un jeune médecin qui a fait huit à dix ans d’études n’a pas envie de s’installer dans une zone comme ça. »
Face à cette situation, certains maires tentent de faire venir des médecins étrangers, notamment roumains. « C’est plutôt un échec, note le docteur Neveur. Faisant valoir qu’ils n’avaient pas assez de patients, ceux-ci ne sont souvent pas restés plus d’un an. » La mise en place de maisons médicales pluridisciplinaires apparaît alors souvent comme une réponse efficace. Une cinquantaine ont déjà été mises en place dans la région Centre. « Cela permet aux professionnels d’exercer dans de meilleures conditions, cela les sécurise et leur évite les épuisements professionnels », fait valoir M. Neveur. Le ministère de la santé estime que 800 maisons de ce type devraient être en activité d’ici à la fin 2015 au niveau national et en espère 1 000 d’ici à 2017.

Hausse « ciblée » du numerus clausus

Certaines zones périurbaines, pourtant attractives, ne sont pas épargnées par le phénomène. D’ici à 2020, 150 000 habitants de l’agglomération toulousaine pourraient se retrouver en situation de ne plus avoir de médecin traitant, rapporte Stéphane Oustric, conseiller national de l’ordre pour la région Midi-Pyrénées. « Plus on est dans l’urbanité, plus on va avoir de médecins qui travaillent à temps partiel », relève-t-il, pointant également les prix élevés de l’immobilier dans certaines villes comme frein à l’installation.
Hasard du calendrier, Marisol Touraine devait détailler, jeudi 26 novembre à Dijon, les mesures de son « pacte territoire santé 2 » et notamment annoncer une hausse « immédiate » et « ciblée » du numerus clausus de 131 places dans dix régions en manque de médecins. La ministre de la santé devait également faire part de son objectif de « faciliter, d’ici à 2017, l’installation de 1 000 médecins généralistes ou d’autres spécialistes », grâce à des contrats de praticien territorial de médecine générale, un dispositif qui permet d’apporter une garantie de revenus et des avantages sociaux aux jeunes médecins s’installant en zone sous-dotée.

François Béguin, Le Monde, 26/11/2015.

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