dimanche 18 juin 2017

Une réforme du Code du travail peut-elle renforcer la protection des salariés ?

Avec les contributions de Josépha Dirringer, maîtresse de conférences, membre du Groupe de recherche pour un autre Code du travail (GR-Pact), Jean-Christophe Le Duigou, économiste, syndicaliste et Sabina Issehnane, maîtresse de conférences, membre des économistes atterrés.

Rappel des faits. Alors que le nouveau pouvoir politique s’inspire des cercles patronaux, des alternatives existent pour faire évoluer le Code du travail en octroyant des droits nouveaux.

Des garanties essentielles de citoyenneté sociale par Josépha Dirringer, maîtresse de conférences, membre du Groupe de recherche pour un autre Code du travail (GR-Pact)

 
Le droit du travail serait un droit protecteur des salariés. Le clamer est devenu une tarte à la crème. Protéger les salariés serait sa finalité première. Ce serait même son ADN. Il semble important de commencer par tempérer cette croyance. Cela ne sera pas trop difficile si l’on songe aux réformes récentes. Peut-on vraiment encore penser que cette finalité soit toujours celle que poursuit le législateur ? En réalité, comme l’a très bien montré Gérard Lyon-Caen, le droit du travail est pétri d’ambivalences. Il est une technique réversible disait-il. Et nombreux sont en effet les exemples de mesures qui avaient été initialement pensées comme protectrices des salariés et qui se sont révélées bien plus bénéfiques aux employeurs. La réforme des 35 heures en offre une bonne illustration. Présentée comme un vecteur d’amélioration des conditions de travail et de lutte contre le chômage, elle s’est avéré un outil de flexibilisation et d’intensification du travail.
Bref, quelle que soit la réforme, il faut bien reconnaître les limites du droit du travail. Celui-ci repose sur l’idée d’une subordination des salariés, conférant au pouvoir patronal sa légitimité. Dès lors, sa capacité à transformer les rapports sociaux inhérents à la société capitaliste s’en trouve nécessairement limitée.

 
Mais admettre ces limites n’empêche pas de considérer qu’il est encore ce qu’il y a de mieux pour limiter le pouvoir patronal et construire des solidarités collectives entre les travailleurs. Le droit du travail permet de civiliser l’exercice du pouvoir patronal. L’ubérisation du travail le montre avec une particulière acuité. Être reconnu comme salarié permettrait aux chauffeurs Uber de revendiquer le droit à un salaire minimum, de pouvoir exercer librement le droit syndical, de bénéficier de conditions de santé et de sécurité décentes, de ne pas être discriminé, d’être consulté, de ne pas perdre son emploi de manière injustifiée. Toutes ces garanties sont essentielles. Essentielles pour protéger l’individu contre la précarité et l’arbitraire. Essentielles pour protéger le corps social.
Sans un droit social abouti, la société salariale ne serait pas parvenue à construire de citoyenneté sociale où chacun a des ressources et des droits suffisants pour entretenir des liens de solidarité, notamment grâce à la Sécurité sociale. Le contenu du Code n’est pas le seul qui importe. Toute réforme se devrait d’être lisible et accessible. Qui peut se sentir protéger par un Code dont le contenu sans cesse fluctue et paraît toujours plus abscons ? La clarté du droit est donc une exigence formelle primordiale qui permet aux salariés et à leurs représentants de s’approprier la norme, et ainsi d’être en mesure de la mobiliser. Cette exigence a été au cœur de l’entreprise menée par le GR-PACT. Nous étions tous las de « l’accumulation désordonnée de textes pointillistes et régressifs ». À l’exigence de clarté, s’ajoute l’objectif de l’effectivité. Quel que soit le degré de protection offert par la loi, le résultat restera vain sans les moyens suffisants donnés aux autorités chargées de contrôler son application et d’en sanctionner les manquements. En particulier, aucune réforme du droit du travail ne parviendra à protéger les salariés sans davantage d’inspecteurs et de médecins du travail et sans une réforme visant à garantir l’accès au juge.

Pour un droit effectif d’intégration dans l’emploi par Jean-Christophe Le Duigou, économiste, syndicaliste

 
Deux visions antagonistes de l’évolution du Code du travail s’affrontent. Pour le gouvernement comme pour le patronat ce serait avant tout l’excès de règles collectives inscrites dans le Code du travail qui pénaliserait le développement de l’emploi. Aussi flexibiliser l’emploi et faire de l’entreprise la base institutionnelle des relations de travail permettrait de mieux lutter contre le chômage. à cette démarche s’oppose une vision qui fait du travail un bien collectif à protéger et à développer. L’échange sur lequel porte le contrat de travail est de nature spécifique. Il ne porte pas sur un bien ou un service. Il met en jeu l’homme, sa personnalité et ses capacités, donc aussi le temps long de la vie. L’état en est le tiers garant et se doit de compenser via le Code du travail l’inégalité de la relation entre Travail et Capital. La crise a révélé les faiblesses de l’organisation du marché du travail à la française qui avaient été partiellement dissimulées derrière les succès enregistrés en termes d’emploi de 1945 à 1975. Le travail est devenu bien « malade ». Le contrat de travail est lui-même fragilisé par les réformes successives. Il demeure cependant au cœur de la construction sociale. En tout cas ce n’est certainement pas au moment où les actionnaires ont la possibilité de reporter l’essentiel des risques sur les salariés, au prix d’injustices accrues, qu’il faut réduire les droits des travailleurs.
Au lieu d’organiser le repli sur l’entreprise qui consacrerait la « reféodalisation » des relations sociales, le Code du travail a besoin de s’enrichir de nouvelles dimensions. Les évolutions du travail et des technologies supposent de mettre l’individu et le travail au cœur d’une nouvelle manière de produire. Il faut donc protéger les capacités humaines et développer le travail de qualité, reconnu, bien payé, dans une perspective de développement humain durable. Il y a bien un nouveau système à construire qui implique de nouvelles logiques de solidarité constitutives d’une véritable « sécurité sociale professionnelle ».
Il faut s’attaquer à la manière dont se crée la richesse, donc à la place du travail et à sa conception. Il s’agit de créer les conditions d’une dynamique des emplois, des innovations technologiques et de la sécurité collective nécessaire pour accompagner une nouvelle projection des travailleurs sur l’avenir. Une croissance durable suppose de faire de nouveaux paris. Cela ne justifie pas les solutions libérales mais appelle au contraire des initiatives pour reconstruire de nouveaux cadres de sécurité pour l’action des travailleurs.

(...)

L'Humanité, 15/06/2017.
Article intégral en ligne : http://www.humanite.fr

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