mardi 12 septembre 2017

Les questions que vous vous posez sur la réforme du code du travail

Une manifestation nationale est organisée mardi contre les ordonnances présentées par le gouvernement Philippe. Que contiennent-elles et qu’est-ce qui va changer ?

La réforme du code du travail est un projet complexe, qui suscite de nombreux commentaires et interprétations. Que contient le texte ? Qu’est-ce qui va changer pour les salariés français ? Les Décodeurs proposent de répondre aux questions les plus fréquentes des lecteurs :

    • Comment s’appelle exactement cette nouvelle réforme : « loi travail », « loi Pénicaud », « loi travail XXL » ?

    Premier gros chantier du quinquennat d’Emmanuel Macron, la réforme s’inspire directement de son programme de campagne, où elle est présentée comme une opportunité pour les entreprises et les salariés de « négocier au plus près du terrain » et de « lever les freins à l’embauche en CDI ».
    Elle se situe dans la continuité de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, communément appelée « loi travail » ou « loi El Khomri », qui avait été adoptée à la fin du quinquennat de François Hollande, malgré une vive opposition syndicale et politique.
    Cette nouvelle réforme est désormais portée par Muriel Pénicaud, mais elle n’est que rarement présentée comme la « loi Pénicaud ». Ses détracteurs l’ont renommée « loi travail XXL », considérant qu’elle amplifie la réforme précédente. Techniquement, elle a pris la forme d’ordonnances (« pour faciliter le dialogue social », selon le gouvernement) plutôt que d’une loi discutée au Parlement. Pour rester descriptifs, nous avons choisi de la qualifier de « réforme du code du travail ».
    • Pourquoi faire passer la loi par ordonnances ?

    L’objectif est de gagner du temps et d’éviter des crispations politiques. Emmanuel Macron ne souhaite pas revivre le long et périlleux feuilleton de la loi El Khomri. Alors que les premières orientations avaient été dévoilées dès février, le texte avait provoqué une douzaine de manifestations d’ampleur tout au long du printemps et provoqué tant de dissensions à l’Assemblée nationale qu’il avait dû être adopté par la procédure du 49-3 fin juillet – soit plus de cinq mois de crise.
    Les ordonnances accélèrent la procédure en contournant le débat parlementaire. Il se déroule tout de même en plusieurs étapes. L’Assemblée nationale et le Sénat ont voté début août une loi d’habilitation qui autorise le gouvernement à légiférer par ordonnances sur la réforme du travail. Le contenu des textes (disponible sur le site du gouvernement) a été rendu public le 31 août. Les ordonnances doivent être adoptées en conseil des ministres le 22 septembre et seront alors applicables. Mais ce n’est qu’après avoir été ratifiées par le Parlement, probablement en octobre, qu’elles deviendront une véritable loi.
    Parallèlement, le gouvernement a lancé une concertation avec les syndicats et le patronat durant l’été pour les associer à la préparation de la réforme, davantage que pour la loi El Khomri. Ce qui n’empêchera pas la contestation dans la rue : la CGT a appelé à une manifestation le 12 septembre, alors que La France insoumise organise son propre défilé le 23 septembre.
    • Qu’est-ce qui change par rapport à la loi El Khomri ?

    L’esprit reste le même : développer une « flexisécurité » du marché du travail en se rapprochant du modèle danois. Il s’agit de donner plus de souplesse aux entreprises en termes d’embauches et de licenciements (la « flexibilité »), tout en accordant plus de droits au travailleur en termes d’indemnisation du chômage ou de formation (le volet « sécurité »).
    Plusieurs points qui figuraient dans la première version du projet de loi El Khomri avaient été abandonnés dans le texte final sous la pression des syndicats, notamment le plafonnement des indemnités prud’homales (comme nous l’avions détaillé dans cet article) ou la possibilité pour une multinationale de procéder à des licenciements économiques en France même si leur maison mère est en bonne santé financière.
    Concernant la hiérarchie des normes, la loi El Khomri avait opéré un premier bouleversement, en faisant primer les négociations au niveau des entreprises sur celles des branches professionnelles, uniquement sur la question du temps de travail. Le nouveau texte étend le champ des négociations possibles au niveau des entreprises, tout en limitant ce qui relève de l’accord de branches.
    Enfin, d’autres mesures nouvelles ont été introduites, comme la rupture conventionnelle collective, qui devient une version moins contraignante pour l’employeur du plan de départ volontaire, ou la fusion de différentes instances de représentation du personnel.
    • C’est quoi exactement « inverser la hiérarchie des normes » ?

    La « hiérarchie des normes » est un principe d’organisation juridique pyramidal : chaque texte doit être conforme ou compatible avec des règles d’un ordre supérieur. La Constitution ne doit pas être contraire à un traité international signé par le pays (bien que certains juristes s’opposent sur ce point), une loi doit être conforme à la Constitution, un décret ou un contrat doit respecter la loi…
    Cette notion s’applique aussi pour le code du travail. Régi par la loi, il prime sur les accords de branches (négociés par les représentants d’un secteur d’activité, comme la métallurgie), qui eux-mêmes ont plus de force qu’un accord d’entreprise, et que le contrat de travail. En principe, un accord de niveau inférieur ne peut pas être « moins disant », c’est-à-dire moins favorable au salarié, que le niveau supérieur.
    Mais pour favoriser la souplesse au niveau des entreprises, des dérogations avaient déjà été introduites par plusieurs lois, notamment en 2004 et 2008, en conservant le principe d’éviter les dispositions moins disantes pour les salariés. En 2016, la loi El Khomri est allée plus loin, car elle permet qu’un accord d’entreprise sur le temps de travail soit moins favorable que l’accord signé par la branche professionnelle.
    • Qu’est-ce qui sera négocié au niveau des branches et au niveau des entreprises ?

    En présentant sa réforme à l’Assemblée en juillet, Muriel Pénicaud s’est défendue d’inverser la hiérarchie des normes mais a expliqué qu’« on clarifie ce qui est du champ de la loi – droits et principes fondamentaux – et ce qui n’a pas lieu d’être défini dans la loi ». Désormais, la primauté de l’accord de branche n’est plus la règle mais l’exception. On distingue trois cas de figure :
    • dans 11 domaines, la branche aura forcément la primauté : salaires minima, classifications professionnelles, pénibilité, égalité hommes-femmes, période d’essai, temps partiel, prévoyance, mutualisation des fonds paritaires et de la formation professionnelle, modalités du CDD et recours aux CDI d’opération. Comme le détaille Libération, certains de ces domaines « redescendent » d’un cran dans l’échelle des normes car ils étaient jusqu’à présent gérés par le code du travail, sans dérogation possible.
    • dans 4 domaines, les branches peuvent choisir de faire primer leurs accords sur les accords d’entreprise : prévention des risques professionnels, insertion des handicapés, primes pour travaux dangereux, nombre de représentants syndicaux.
    • pour tout le reste, des accords d’entreprises peuvent désormais primer sur le code du travail, même s’ils sont moins avantageux pour les salariés.
    • Pourquoi le plafonnement des indemnités prud’homales est si important ?

    Lorsqu’un salarié estime qu’il a été licencié « sans cause réelle et sérieuse », autrement dit qu’il juge le licenciement abusif, il peut saisir le conseil des prud’hommes. Si aucun accord n’est trouvé, cette juridiction étudie le dossier et fixe l’indemnité que touchera le salarié si la faute de son employeur est retenue. Son montant peut varier en fonction de la situation, de la gravité des faits, avec une marge d’appréciation laissée au tribunal. Le recours aux prud’hommes reste rare (moins de 150 000 cas par an, soit 8 pour 1 000 salariés), mais c’est l’endroit où les salariés peuvent se défendre s’ils s’estiment lésés.

    Le Monde, 12/09/2017.
    Article intégral en ligne : http://www.lemonde.fr

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