Il n’y aura donc pas eu d’effet « waouh » : les mesures annoncées par le président de la République lors de sa conférence de presse fleuve du jeudi 25 avril, pour clore le grand débat national ouvert en réponse à la crise des gilets jaunes, sont à peu de choses près celles qui avaient fuité dans la presse après l’annulation de son allocution télévisée, le 15 avril, pour cause d’incendie de Notre-Dame-de-Paris. Et pour l’essentiel, celles-ci ne paraissent pas suffisantes pour renverser la table. Dix jours de réflexion n’auront donc pas permis au président de la République d’en rehausser l’ambition, ni d’en préciser le contenu, les modalités ou les moyens, souvent bien flous. Décryptage des annonces présidentielles en cinq grands thèmes.
1. Démocratie : les élus sont là pour décider
Les élus, d’abord ! A la fois parce qu’ils bénéficient de la légitimité du suffrage populaire et parce que leur mandat, c’est de faire des choix qu’ils doivent ensuite assumer, Emmanuel Macron entend revigorer la démocratie représentative. Au niveau local en tout cas, en donnant aux maires « un statut digne de ce nom » et en transférant aux collectivités locales des compétences en matière de « logement quotidien et de transport » des responsabilités entières, et les financements qui vont avec en principe, car il juge que de tels sujets, contrairement à la politique sociale par exemple, doivent être traités au plus près des citoyens. Nulle précision cependant sur les éventuelles conséquences sur le mille-feuille territorial de l’Hexagone.Sur la démocratie représentative au niveau national cette fois, le président de la République est moins disert. Certes il veut introduire une dose de proportionnelle d’environ 20 %, ce qui n’est pas beaucoup, dans l’élection des députés et limiter le nombre de mandats dans le temps. En revanche, la réforme constitutionnelle qu’il entend relancer et dont il souhaite qu’elle soit soumise au Parlement avant l’été ne prévoit aucun accroissement du pouvoir des deux assemblées dans une Ve République où celui-ci est très subordonné au pouvoir exécutif. Tout au plus, le chef de l’Etat déclare-t-il faire « confiance aux assemblées pour renforcer leur contrôle indispensable », sans plus de précision… La manière dont l’Elysée a réagi à la création d’une mission d’information parlementaire dans l’affaire Benalla ne montre pourtant pas un grand engouement de sa part vis-à-vis de cette fonction de contrôle. Par ailleurs, il n’est pas sûr que la réduction, de 25 % à 30 % environ, du nombre de parlementaires qui aboutira à des circonscriptions plus grandes, rapprochera les élus de la Nation de leurs électeurs.
Ces citoyens auront-ils entre deux scrutins présidentiel et législatif davantage de pouvoir ? A dose homéopathique seulement et pour délibérer surtout. Certes, le chef d’Etat entend assouplir les conditions d’exercice du référendum d’initiative partagée qui existe dans la Constitution depuis la révision voulue en 2008 par Nicolas Sarkozy, mais qui est encadré pour l’heure de manière tellement draconienne (initiative d’un cinquième des parlementaires, soutenue ensuite par 10 % du corps électoral, soit 4,5 millions d’électeurs) qu’il n’a encore jamais servi. En abaissant à un million le nombre de signatures requises, et en faisant sauter a priori le verrou parlementaire initial, Emmanuel Macron rend cette utilisation plus probable. Mais ce faisant, les citoyens ne pourront que déposer un projet de loi qui sera examinée par le Parlement. Et donc en pratique soumis à la volonté de la majorité politique du moment. C’est seulement si les parlementaires ne se prononçaient pas du tout que les électeurs seraient directement saisis. Au niveau national, Emmanuel Macron entend donc conserver pour l’essentiel la maîtrise de l’outil référendaire (cette « ordalie1 de la République », selon son expression) dont il dispose de par la Constitution, puisqu’il n’exclut pas de donner ainsi le pouvoir de décision aux électeurs sur un sujet spécifique d’ici la fin de son mandat s’il le jugeait utile.
Au niveau local, le chef de l’Etat souhaite aussi que les citoyens puissent faire inscrire à l’agenda d’une assemblée un sujet que les élus n’auraient pas prévu d’examiner. Le seuil nécessaire pour déclencher ce mécanisme d’interpellation reste à déterminer. Mais là aussi, la décision finale reste entre les mains de ceux qui ont été désignés par le suffrage populaire.
A défaut de trancher sur un sujet plus souvent à leur propre initiative, les citoyens, ou plutôt des échantillons du corps électoral, pourront être davantage consultés. C’est la logique de la réforme du Conseil économique social et environnemental (Cése) que le président de la République veut impulser pour le transformer en conseil de la participation citoyenne. Alors que le Cése est formé aujourd’hui de représentants de corps intermédiaires (organisations syndicales, associations…), il se verra adjoindre des citoyens tirés au sort et sera consulté sur certains projets de loi. Le tirage au sort de citoyens non experts peut être une façon d’apporter dans les délibérations un regard nouveau, plus détaché des habitudes de pensée et aussi de l’influence des groupes de pression. D’accroître « l’intelligence collective », selon les mots du chef de l’Etat.
Yann Mens
2. Du pouvoir d’achat pour la classe moyenne et les retraités
Comme pressenti, le président de la République a refusé de revenir sur une de ses réformes phares : celle de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Bien qu’elle ait été la cible privilégiée des revendications des gilets jaunes, Emmanuel Macron a maintenu la transformation de l’ISF en impôt sur les seuls actifs immobiliers. Toujours côté fiscalité, la principale annonce du président a été la promesse de « baisses significatives » de l’impôt sur le revenu pour ceux qui travaillent. Les taux ou seuils qui seraient abaissés n’ont cependant pas été précisés, mais la classe moyenne est clairement visée.En outre, l’impôt sur le revenu représentait déjà une faible part des recettes fiscales. En 2017, cet impôt n’a rapporté que 74 milliards d’euros, contre 162 milliards pour la TVA, 99,4 milliards pour la CSG, ou encore 29,6 milliards pour la taxe sur les produits énergétiques. Ces différents prélèvements sont eux proportionnels et pèsent donc davantage dans le budget des ménages modestes.
Cette baisse devrait profiter à 15 millions de foyers, sur les 37 millions que compte le pays, a précisé le gouvernement, ceux-ci voyant leur montant d’impôt diminuer de l’ordre de 10 %. Etant donné que 12 millions de ménages ne s’acquittent déjà pas de l’impôt sur le revenu, faute de ressources suffisantes, cette mesure profiterait à une grande partie des contribuables qui paient aujourd’hui cet impôt. Selon la formule choisie par le gouvernement, les bénéficiaires pourraient ainsi dépasser la seule classe moyenne et toucher les foyers aisés.
L’autre grande annonce sur le pouvoir d’achat concerne les retraites. Emmanuel Macron promet une pension minimum à 1 000 euros. En pratique, c’est le « minimum contributif » qui va être augmenté. Ce dernier est aujourd’hui d’un peu de moins de 700 euros par mois pour les personnes ayant eu une carrière complète. Ce n’est donc pas une pension minimum à 1 000 euros que va instaurer le gouvernement, puisque ce dispositif est accessible sous condition : avoir une retraite à taux plein. Le nombre de bénéficiaires n’est cependant pas marginal, puisque 4,8 millions de retraités en disposent actuellement. Il s’agit à 70 % de femmes, qui ont eu des salaires plus faibles, notamment à cause du temps partiel ou de carrières plus courtes.
Autre mesure annoncée : la réindexation progressive des pensions de retraite sur l’inflation. Les pensions en dessous de 2 000 euros seront donc réindexées à partir de 2020 et toutes le seront à partir de 2021. « La réindéxation sur l’inflation est cependant la norme, rappelle Pierre Madec, économiste à l’OFCE. De plus, la perte cumulée sur les deux années où il y a eu une sous-indexation ne sera pas rattrapée. » En effet, si le président semble faire un geste en faveur des retraités, il annonce uniquement que ne seront pas prises des mesures qui n’étaient formellement pas prévues. D’une part, la sous-indexation par rapport à l’inflation pour 2020 pour les petites pensions a été retoquée par le Conseil constitutionnel. D’autre part, la sous-indexation des pensions plus élevées n’était prévue et votée que pour 2019 et 2020. Par ailleurs, l’indexation sur l’inflation ne fait pas de gagnant, elle permet juste aux retraités de ne pas perdre en pouvoir d’achat.
Justin Delépine
3. Retour au plein emploi ou carrières plus longues, il faut choisir
Emmanuel Macron a confirmé lors de sa conférence de presse la priorité qu’il accorde à la réforme de l’assurance chômage, lancée avant le mouvement des gilets jaunes, et qu’il veut voir aboutir dès cet été. Elle vise à économiser 4 milliards d’euros sur les dépenses d’indemnisation des chômeurs et à accroître les contraintes et les contrôles pesant sur les demandeurs d’emploi.Le président de la République n’est cependant pas revenu précisément sur ces différents aspects. Il a surtout insisté pour que les pouvoirs publics apportent une aide plus importante aux demandeurs d’emploi qui auraient besoin de se déplacer ou de déménager pour prendre un emploi éloigné de leur domicile actuel, ainsi qu’une aide à la garde des enfants pour les demandeuses et demandeurs d’emploi qui seraient pénalisés par ce point dans leur quête de travail. Il s’agit en effet d’obstacles fréquemment rencontrés dans la recherche d’emploi, mais les surmonter nécessite plutôt d’accroître notablement les moyens mis à la disposition du service public de l’emploi. Il faudra donc vérifier, là comme dans beaucoup d’autres domaines évoqués par Emmanuel Macron, si les budgets suivent les intentions…
Guillaume Duval
4. Éducation : objectifs clairs et moyens flous
Pas plus de 24 élèves par classe. Durant sa conférence de presse jeudi, Emmanuel Macron l’a annoncé : les classes de grande section de maternelle, de CP et de CE1 seront limitées à 24 enfants. Actuellement, les classes d’écoles pré-élémentaires comptent en moyenne 25 élèves et celles d’écoles élémentaire 23, mais les écarts demeurent importants entre des CP souvent réduits à une petite vingtaine d’élèves et des CE1 dépassant régulièrement ce nouveau plafond. Selon le ministère de l’Education nationale, 38 % des classes de ces trois niveaux seront concernées (soit 52 800 classes sur environ 140 000).Reste à savoir comment cette mesure sera financée. L’exécutif mise en partie sur la baisse démographique des années à venir. Le premier degré perdra en effet environ 238 000 élèves entre 2018 et 2022. Mais cette diminution ne suffira pas à elle seule à compenser la réduction des tailles de classes annoncée par le président de la République : en moyenne, l’effet sera limité à un élève par classe…
Plusieurs hypothèses se présentent alors : le gouvernement décide d’augmenter le nombre de professeurs des écoles. Dans un contexte d’économie budgétaire, il est probable que ce ne soit pas la solution privilégiée, même si le président a admis qu’il pourrait abandonner l’objectif qu’il s’était donné en début de quinquennat de diminuer de 120 000 le nombre de fonctionnaires.
Si le nombre d’enseignants n’augmente pas, mécaniquement, les classes non concernées par la mesure (les classes de petite et moyenne sections de maternelle, de CE2, CM1 et CM2) devraient en pâtir et voir, par un effet de vases communicants, leur ratio augmenter : même nombre d’élèves au global, mais moins d’enseignants pour les prendre en charge, puisque ces derniers seront réaffectés aux classes à effectifs « faibles ».
Pour justifier cette mesure, Emmanuel Macron insiste sur la nécessité de diminuer les inégalités et d’accompagner davantage les élèves dans ces années clés d’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Mais les études sociologiques ne sont pas unanimes quant aux résultats attendus d’une telle mesure sur la performance scolaire des enfants. Quand certaines assurent que la réduction des effectifs bénéficie surtout aux élèves d’origine sociale défavorisée, d’autres doutent de la durabilité des effets.
Engagée depuis la rentrée 2017, la mesure des dédoublements de classe en CP et CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire devrait quant à elle se poursuivre, a confirmé le président de la République.
Emmanuel Macron a par ailleurs affirmé qu’aucune fermeture d’école ne se fera sans l’accord du maire de sa commune. Des propos qui peuvent prêter à confusion : selon les textes, il semblerait que ce soit déjà le cas. Le site du ministère de l’Education nationale indique que « la création et l’implantation d’une école, ainsi que la suppression d’une école, relèvent d’une décision du conseil municipal » tandis que « l’ouverture et la fermeture d’une classe, dès lors qu’elles n’entraînent pas la création ni la suppression d’une école, ne nécessitent pas de décision du conseil municipal », mais du directeur académique des services de l’Education nationale.
Campus connectés, création de formation courtes professionnelles, développement de la formation tout au long de la vie… concernant l’enseignement supérieur et la formation continue, le président de la République s’est contenté d’énumérer les grands chantiers à venir, sans guère de précisions. Seule exception : l’ENA, dont il a confirmé la suppression, dans l’objectif de façonner des hauts fonctionnaires plus représentatifs de la société.
Eva Mignot
5. L’urgence climatique renvoyée à des comités Théodule
Face au peu de place accordée à la transition écologique dans son allocution non diffusée du 15 avril dernier, les associations de défense de l’environnement, comme les membres de sa majorité venus des rangs écologistes, tels Barbara Pompili ou Pascal Canfin, pressaient le chef de l’Etat de muscler ce volet. Ils n’auront pas été entendus. Malgré l’« urgence climatique », Emmanuel Macron n’a dévoilé aucune nouvelle mesure concrète pour accélérer ou accompagner la transition énergétique.« Les solutions pour réaliser cette transition sont connues », regrette le WWF France
« Ce qui sortira de cette convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement soit à référendum, soit à une application réglementaire directe », a promis Emmanuel Macron. Un engagement qui n’a guère convaincu les associations de défense de l’environnement, pour qui la création de ces « comités Théodule » apparaît comme un nouveau moyen pour l’exécutif de temporiser, voire de se dédouaner de ses responsabilités dans ce domaine. « Les solutions pour réaliser cette transition sont connues : investir dans le bio pour mieux manger, soutenir les mobilités propres et les transports en commun pour mieux respirer et sortir de notre dépendance au pétrole, éradiquer les passoires énergétiques pour lutter contre la précarité ou encore, renoncer aux projets périmés comme la montagne d’Or en Guyane », observe ainsi le WWF France, par la voix de sa présidente Isabelle Autissier. De plus, l’ONG regrette que le président n’ait rien annoncé pour enrayer le déclin de la biodiversité.
Surtout, l’absence d’une taxe carbone à l’échelle nationale rend illusoire l’atteinte par la France de son objectif d’une « neutralité carbone » à l’horizon 2050, adopté en conformité à ses engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat. De l’avis de nombreux économistes, la taxe carbone constitue en effet un levier incontournable pour réduire à court terme la consommation de combustibles fossiles. Son absence prive de surcroît les pouvoirs publics de recettes fiscales qui pourraient être utilisées pour le financement des actions nécessaires à la transition écologique.
Marc Chevallier
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