Fin avril, le gouvernement va expérimenter la cantine à 1 euro et les petits déjeuners gratuits pour les enfants de familles pauvres, avant de les généraliser en septembre. Le diagnostic est juste, mais la mesure passera sans doute à côté. Un cas d’école avec ce gouvernement.
Après
Jupiter, Emmanuel Macron se prend pour Pierre Mendès France. En 1954,
le président du Conseil d’alors organise la distribution gratuite d’un
bol de lait sucré à tous les écoliers de France. Cinq ans après la
disparition des tickets de rationnement, les enfants sont encore
dénutris et leurs parents ont tendance à croire que le pinard ou la
bière, ça rend fort et vigoureux… Soixante-cinq ans plus tard, Emmanuel
Macron lui aussi veut laisser une trace : un petit déjeuner gratuit et
une cantine à 1 euro pour les familles les plus pauvres.
Le président avait promis un accès à la cantine « plus
universel », en septembre, en présentant son plan de prévention et de
lutte contre la pauvreté… Sa secrétaire d’État Christelle Dubos l’a – un
peu – précisé dans « le Journal du dimanche ». L’expérimentation
commencera « fin avril » pour la cantine à 1 euro. « Cela concernera
jusqu’à 10 000 communes. » « L’objectif est de garantir aux familles en
difficulté des repas équilibrés pour leurs enfants en milieu scolaire »,
explique le gouvernement. Pour les petits déjeuners gratuits, le top
départ est donné le 17 avril dans huit académies, puis généralisé en
septembre. « Une mesure de bon sens qui s’attaque aux racines des
inégalités. Dans les zones défavorisées, un enfant sur dix arrive en
classe le ventre vide, il n’a donc pas les mêmes chances d’apprentissage
qu’un camarade qui a le ventre plein », a expliqué la secrétaire
d’État.
Son diagnostic est juste : en France, des enfants n’ont
toujours pas accès à une alimentation équilibrée. La cantine n’est pas
un service public obligatoire pour les 36 000 communes françaises. Une
étude du Cnesco (le Conseil national d’évaluation du système scolaire),
en 2014, précisait que 40 % des enfants des familles défavorisées ne
mangeaient pas à la cantine (contre 17 % des CSP+)
Dans sa livraison annuelle sur la pauvreté, le Secours
populaire soulignait qu’« un Français sur 5 avoue avoir des difficultés
pour payer la cantine scolaire ». Dans les cortèges des gilets jaunes ou
dans le grand débat escamoté, la question revient. Le nombre d’enfants
vivant dans une famille pauvre, lui, augmente, ils sont près de
3 millions en France.
Mais à 1 euro, pour ces enfants-là, le gouvernement ne
règle rien… À l’annonce de la mesure, de nombreux maires ont ironisé.
Car beaucoup n’ont pas attendu Macron pour mettre en place une
tarification sociale, et un repas bien inférieur à 1 euro. À Saint-Denis
(Seine-Saint-Denis), ça fait bien trente-cinq ans ! « Nos prédécesseurs
avaient déjà fait le constat qu’un certain nombre d’enfants n’avaient
pas accès à la cantine pour des raisons de coût », explique Fabienne
Soulas, l’adjointe à l’enfance (PCF). À l’époque, le repas est fixé à
1… franc via la mise en place du quotient familial. Désormais, les
familles paient 15 centimes d’euro. Et, dans cette ville populaire,
« près de 25 % des enfants bénéficient de ce premier tarif ». Leurs
parents touchent le RSA (839,62 euros pour une personne seule avec un
enfant). « Au total, 40 % des familles bénéficient de repas à moins de
1 euro », continue l’élue. Et, depuis, la cantine ne désemplit plus :
près de 60 % des enfants y déjeunent, sans inscription préalable… pour
« permettre à tout le monde d’en bénéficier ».
Mais le gouvernement, lui, a choisi de n’aider que les
« mauvais élèves », ceux qui n’appliquent pas de tarification sociale.
La réforme est assortie d’une aide de 2 euros versée par l’État. « Et
les autres ? Ceux qui appliquent déjà des tarifs bien inférieurs et ont
fait un choix politique, y aura-t-on droit ? » demande l’adjointe.
Pour le gouvernement, un repas coûte 4,50 euros. C’est
retenir l’assiette la plus basse. Car « ce prix-là correspond au coût en
sortie de cuisine, en incluant le coût des aliments (environ 2 euros).
Mais un repas servi aux enfants, c’est-à-dire avec tous les frais de
personnel et de fonctionnement, c’est de l’ordre de 11 à 12 euros »,
explique Fabienne Soulas.
Le gouvernement va donc en faire porter le poids aux
familles (le 1 euro) et aux communes. « Une petite commune rurale, qui a
très peu de moyens, ne pourra pas le faire », confirme Rodrigo Arenas,
le coprésident de la FCPE, la première fédération des parents d’élèves.
En effet, une étude de l’Union nationale des associations familiales,
réalisée en 2014, montrait que, entre 100 et 400 habitants, seulement
10 % des communes prenaient en compte la composition de la famille et du
revenu, 21 % pour celles entre 400 et 1 000.
C’est bien le problème, personne n’a été consulté : ni les
enseignants, ni les élus ou les parents d’élèves. « Ce gouvernement ne
connaît de la pauvreté que ce qui est inscrit dans des rapports
administratifs. C’est une mesure pour se donner bonne conscience. À la
FCPE, on accompagne des familles qui sont dans des situations sociales
très difficiles. Avec 1 euro, elles font manger quatre enfants ! »
continue Rodrigo Arenas.
Pour lui, la réponse du gouvernement passe à côté.
« Pourquoi mettre un péage à l’entrée des cantines ? Manger est un
droit. Là, le gouvernement fait de la charité, pas de l’égalité. Il faut
remettre du droit commun. Cela doit relever de la solidarité nationale,
l’État doit financer la cantine gratuite. » L’autre danger, c’est que
« certaines villes le fassent pour récupérer cette aide, mais en
choisissant les pauvres qu’elles veulent aider. Parce qu’il n’y a pas de
droit commun, ça passe par l’administration, il faut toujours prouver
sa pauvreté », continue le coprésident.
Dans un pays, qui a fait inscrire le « repas gastronomique
des Français » au patrimoine immatériel de l’Unesco, le gouvernement
« joue petit bras. Il y a aussi une dimension culturelle, complètement
oubliée ici, dans le fait de manger à table en milieu scolaire ». Dans
la ville de Saint-Denis, on fait manger tous les enfants. Mais, surtout,
on éduque au goût, à l’équilibre alimentaire, et tout ça pour moins de
1 euro. Ou comment Jupiter s’est trompé de combat.
Source : L'Humanité.fr, 18/04/2019.
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