jeudi 25 décembre 2014

Urgentistes, généralistes, cliniques : qui fait grève et pour quoi ?

A l'approche des fêtes de Noël, ce n'est pas le moment de tomber malade. A quelques jours d'intervalle, plusieurs professions médicales ont entamé des grèves pour se faire entendre du gouvernement, dont le projet de loi santé est inscrit à l'agenda 2015. Les Décodeurs font le point sur les revendications des urgentistes, des généralistes, des spécialistes et des cliniques privés afin d'y voir plus clair.


Par Maxime Vaudan, Le Monde, 23/12/2014.

Les urgences de l'hôpital Cochin, dans le 14e arrondissement de Paris, le 20 février 2014.

Les urgentistes

 

Pourquoi la grève ?
Les médecins urgentistes se sont mis en grève lundi 22 décembre à l'appel de leur association nationale, l'AMUF, pour réclamer :
  • une réduction de leur temps de travail à 48 heures maximum par semaine (la limite prévue par la législation européenne) ;
  • une rémunération de leurs heures supplémentaires travaillées entre 39 et 48 heures.
Où en est la grève ?
Grève terminée
L'AMUF a décidé mardi 23 décembre d'annuler son appel à la grève, au lendemain d'un « accord historique » conclu avec Marisol Touraine. La ministre de la santé a accédé aux deux principales exigences des urgentistes sur le temps de travail, qui pourraient entrer en vigueur dès le premier semestre 2015.
Selon la Fédération hospitalière de France, hostile à la grève, ces mesures « catégorielles » représenteront un « surcoût » de 90 millions d'euros pour les hôpitaux, déjà lourdement déficitaires (environ 400 millions d'euros par an).








Les généralistes

 

Pourquoi la grève ?
Les médecins généralistes protestent contre plusieurs mesures inscrites dans le projet de loi santé, présenté par Marisol Touraine en octobre 2014, et inscrit à l'agenda du Parlement pour avril 2015.
Un médecin généraliste s'entretient avec un patient
  • La généralisation du tiers payant
Le tiers payant consiste à dispenser le patient d'avancer la partie remboursée (par la Sécurité sociale) des honoraires à la fin d'une consultation. Il existe déjà pour les publics les plus défavorisés (bénéficiaires de la couverture maladie universelle, de la CMU-complémentaire et de l'aide médicale d'Etat).
Conformément à une promesse de campagne de François Hollande, la loi santé vise à généraliser ce mode de paiement par étapes d'ici à 2017, pour faciliter l'accès aux soins et éviter que les patients n'y renoncent pour des raisons financières.
Les médecins, opposés à 95 % à cette mesure, craignent qu'elle conduise à une « déresponsabilisation du patient » et à un « consumérisme de l'acte médical devenu banal ». En outre, ils redoutent de pâtir d'une multiplication des retards de paiement par l'Assurance maladie et de devoir consacrer plus de temps à la paperasserie administrative.
  • La délégation de la vaccination aux pharmaciens
Médecins et infirmières font front commun pour s'opposer à l'ouverture de la vaccination aux pharmacies. Les premiers estiment que leur présence est indispensable lors des premières vaccinations (pour la grippe, par exemple), tandis que les secondes souhaitent continuer à pouvoir assumer seules les piqûres des patients déjà vaccinés.
A l'inverse, Marisol Touraine estime que sa réforme pourrait combattre la tendance à moins se faire vacciner observée ces dernières années chez les patients.
  • Le pouvoir accru des agences régionales de santé (ARS)
Dans le cadre du « service public territorial de santé », il est prévu d'accroître les pouvoirs des ARS. Les médecins refusent de leur déléguer un trop grand pouvoir administratif qui, selon eux, renforcerait une certaine centralisation et une « étatisation » au détriment des acteurs professionnels locaux. Ils craignent qu'à terme, leur liberté d'installation soit menacée.
  • La revalorisation du prix de la consultation
Enfin, les généralistes réclament au ministère de la santé une revalorisation de 23 à 25 euros du prix de la consultation.
Lire également les témoignages de médecins libéraux sur LeMonde.fr : « Ce gouvernement veut vendre notre profession à la découpe »

Où en est la grève ?
Grève en cours
Les généralistes grévistes ont fermé leur cabinet mardi 23 décembre. Sans qu'on ne connaisse encore la durée de la grève, Claude Leicher, le président du syndicat MG France (majoritaire chez les généralistes), appelle déjà à une nouvelle mobilisation le 6 janvier 2015 et sans doute le 21.
Marisol Touraine a promis aux médecins de discuter du tiers payant « à la rentrée », mais « pas maintenant ». Elle a toutefois prévenu qu'il n'était pas question de revenir sur la légitimité de ce moyen de paiement, largement approuvé par les Français, mais seulement de discuter des modalités de sa généralisation, pour « garantir bien sûr que les paiements interviendront rapidement et simplement ».
La ministre ne semble pas non plus prête à augmenter le tarif de la consultation, contraintes financières obligent – la Sécurité sociale aurait 2 euros de plus à prendre en charge.



Les spécialistes

 

Un observatoire dénonce des dépassements illégaux et une tendance à privilégier les actes les plus rentables

Pourquoi la grève ?
 A peu près pour les mêmes raisons que les généralistes : tiers payant ou encore « organisation bureaucratique de la médecine de ville ».

Où en est la grève ?
Grève à venir
Les médecins spécialistes doivent emboîter le pas aux généralistes à partir du 24 décembre, pour une grève prévue jusqu'au 31 décembre, à l'appel de la Confédération des syndicats médicaux français.

Les cliniques privées

 

La Clinique du Parc, à Castelnau-le-Lez (Hérault).


Pourquoi la grève ?
La Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) réclame tout bonnement le retrait du projet de loi santé, qui condamne selon elle le secteur privé. Les cliniques redoutent d'être exclues du futur service public hospitalier défini dans la loi, et notamment des urgences.
La réorganisation, qui donne plus de pouvoirs aux ARS, se fera sur « des critères arbitraires qui excluent d'emblée les cliniques » et les privera « du financement des missions de service public », craint la FHP. Selon elle, les agences régionales de santé (ARS) pourraient ainsi retirer aux établissements privés l'autorisation d'activités de soins ou fermer un service d'urgence pour favoriser des hôpitaux publics en manque de patients.
En réalité, le projet de loi santé prévoit que pour bénéficier de l'étiquette « service public hospitalier » (et des financements qui vont avec), les établissements privés devront se soumettre à certaines obligations :
  • assurer les 14 missions de service public (urgences, soins palliatifs, recherche, permanence des soins…), et plus seulement certaines d'entre elles, à la carte, comme c'est le cas actuellement ;
  • proposer ces missions de service public au tarif de la Sécurité sociale, c'est-à-dire sans dépassements d'honoraires.

Où en est la grève ?
Grève à venir
Le « mouvement illimité de cessation d'activité » de la FHP, qui regroupe 1 100 cliniques, doit débuter le 5 janvier. Il sera maintenu « tant que le projet de loi ne sera pas retiré », prévient la fédération.
Marisol Touraine ne semble pas très sensible aux arguments des cliniques privées, trop gourmandes selon elle. Elle a toutefois ouvert la voie à un compromis : les établissements privés qui proposent un service d'urgences sans dépassements d'honoraires pourraient bénéficier d'office du statut « service public hospitalier », même s'ils pratiquent ces dépassements dans leurs autres services.

Maxime Vaudan, Le Monde, 23/12/2014.

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