jeudi 25 décembre 2014

Grève des médecins libéraux : « Ce gouvernement veut vendre notre profession à la découpe »

Plus de cinquante médecins généralistes ont répondu à l'appel à témoignages lancé sur LeMonde.fr leur demandant d'expliquer pourquoi ils comptaient faire grève du 23 au 31 décembre. Nous en publions ici une sélection.

Un médecin ausculte une patiente qui présente des symptômes de gastro-entérite, à Bordeaux, en 2006.
AFP/PATRICK BERNARD
  • « En devenant gratuit, notre travail sera encore plus dévalorisé », par Céline, 40 ans, Rouen
« Charge de travail colossale, mauvaise couverture maladie et maternité, agressivité de certains patients toujours plus exigeants, contraintes de l'assurance maladie toujours plus fortes... Nous n'arrivons plus à recruter de jeunes médecins. Et parmi ceux qui restent, de plus en plus frôlent le burn-out sans pouvoir s'arrêter de travailler. Quant à la généralisation du tiers payant, il ne fera qu'accroître encore plus notre charge administrative, qui est déjà énorme. Avec 400 mutuelles differentes, il sera compliqué de récupérer la part mutuelle de nos consultations. Nous estimons qu'en devenant gratuit pour tous notre travail sera encore plus dévalorisé et que les patients seront déresponsabilisés. Nous sommes favorables au tiers payant pour nos patients dans le besoin comme nous le pratiquons déjà. »
  • « On a maltraité systématiquement le généraliste »,  par Jean-Christophe, Feytiat (Haute-Vienne)
« On a maltraité systématiquement le généraliste, aussi bien matériellement (tarifs inférieurs et horaires extensifs) que moralement (déconsidération). Que l'on veuille créer des « sous-médecins » pour vacciner n'est que le symptôme de la totale incompréhension de la réalité du soin généraliste par les responsables politiques. On met en avant sans cesse le tiers payant, ce n'est qu'un écran de fumée. Peut importe qui me paie si je suis payé. Mais comment est évaluée ma contribution à l'état des gens qui me confient leur santé ? C'est le nœud du problème, le lieu même de la maltraitance à l'encontre de mon métier. Est-il plus difficile de faire une radio ou de diagnostiquer une méningite chez un gosse qui vomit ? Le radiologue gagne « en moyenne » trois fois plus que le généraliste... Oui, je vais faire la grève ! »
  • « Je pratique déjà le tiers payant, sans trompette ni fanfare, plusieurs fois par jour », par Franck, médecin de famille breton
« La généralisation du tiers payant est une mesurette démagogique et idéologique qui ne coûte rien à celle qui la propose, généreusement. Je pratique déjà le tiers payant, sans trompette ni fanfare, plusieurs fois par jour, avec tous mes patients CMU [couverture maladie universelle] et certains patients à 100 %, mais aussi tous les autres qui me le demandent ou à qui je le propose, connaissant leur difficultés financières. Il n'est pas rare que je ne demande pas du tout d'honoraires. Mais je serai en grève dure car la généralisation du tiers payant est une fausse bonne idée. Il me faudra, en plus de mes actes médicaux, ajouter des actes de comptabilité pour vérifier et pointer mes « remboursements ». Les retours de paiement sont une véritable usine à gaz et je serai bien incapable de les pointer. Je suis d'accord pour généraliser le tiers payant à une condition : que la Sécu me règle les 23 euros et qu'ensuite, elle se fasse rembourser. »
  • « Ce gouvernement veut détruire notre profession en la vendant à la découpe », par Adrian, 38 ans, Lannilis (Finistère)
« Ce gouvernement veut détruire notre profession en la vendant à la découpe. Les vaccins aux pharmaciens et aux sages femmes, le passage des visites de sport tous les trois ans, ce qui est une aberration pour les enfants, la prévention et l'éducation aux auxiliaires de santé alors que nous nous en chargeons en réclamant depuis longtemps que cela soit reconnu. (…) C'est un métier passionnant mais il y a un mal-être qui grandit. La loi santé pourrait nous rendre complétement dépendants d'une administration qui soigne des chiffres quand nous soignons des êtres humains. »

  • « La généralisation du tiers payant est la porte ouverte à une inflation de consultations sans raison », par Catherine, 53 ans, Paris-19e
« La généralisation du tiers payant est la porte ouverte à une inflation de consultations sans raison. Il faut absolument sensibiliser le patient à la valeur de notre compétence, et, la plupart du temps, cela passe par une responsabilisation du coût de l'acte médical. 23 euros à avancer pour être pris en charge correctement par des professionnels surformés, est-ce vraiment trop demander ? Nos conditions de travail sont très difficiles : les caisses ne nous parlent que d'économies au détriment de notre savoir et le patient en oublie notre art. La médecine nous concerne tous et la dégradation générale de l'exercice de la profession va nuire dans un avenir très proche à la prise en charge des patients. »
  • « C'est la fin de la liberté d'installation », par Bénédicte, généraliste en maison de santé
« Je fermerai du 23 au 31 décembre pour exprimer mon désaccord vis-à-vis de la loi que veut nous imposer Marisol Touraine. Cette loi fait des trous de gruyère dans notre exercice et je crains que bientôt, il n'y ait plus assez de matière pour tenir les trous. C'est en suivant notre patient au long cours et en le voyant régulièrement, notamment pour des suivis dits simples – dont la prévention – que nous sommes au plus près de lui et que nous sommes les plus à même de nous occuper de sa santé, y compris quand ça se complique. Je pense aussi que le tiers payant, comme on veut nous l'imposer systématiquement, n'est pas au point. Avec cette loi, c'est la fin de la liberté d'installation et donc le libre choix du médecin pour le patient, car il faudra aller voir celui qu'on aura obligé à exercer près de chez vous. »
  • « A ce prix-là, on ne va pas passer trente minutes pour résoudre un problème complexe », par Joël, 51 ans, « sorti de la médecine générale par dépit », Rouen
« L'évolution de la profession : une humiliation croissante de tous bords, patients, tutelles, médias. Avec un tarif inférieur à une coupe homme chez le coiffeur, il ne peut pas y avoir de reconnaissance. Comme pour tous les métiers en rapport avec l'humain, enseignants, politiciens, policiers, commerçants, la perte du respect de la fonction entraîne mathématiquement une perte de la qualité du travail effectué. Les conditions d'exercice sont finalement meilleures, car produire un travail bas de gamme, à la valeur de ce qu'il est rémunéré, est moins fatigant... A ce prix-là, on ne va pas faire d'heures supplémenaire, on ne va pas passer trente minutes pour résoudre un problème complexe, on va choisir les patients faciles. C'est juste un peu frustrant après avoir gâché dix ans de sa jeunesse à apprendre un beau métier qui pourrait être bien mieux mis en valeur. »

Le Monde, 22/12/2014.

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