Grève des médecins libéraux : « Ce gouvernement veut vendre notre profession à la découpe »
Plus de cinquante médecins généralistes
ont répondu à l'appel à témoignages lancé sur LeMonde.fr leur demandant
d'expliquer pourquoi ils comptaient faire grève du 23 au 31 décembre.
Nous en publions ici une sélection.
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AFP/PATRICK BERNARD |
- « En devenant gratuit, notre travail sera encore plus dévalorisé », par Céline, 40 ans, Rouen
« Charge de travail colossale, mauvaise couverture maladie et
maternité, agressivité de certains patients toujours plus exigeants,
contraintes de l'assurance maladie toujours plus fortes... Nous
n'arrivons plus à recruter de jeunes médecins. Et parmi ceux qui
restent, de plus en plus frôlent le burn-out sans pouvoir s'arrêter de
travailler. Quant à la généralisation du tiers payant, il ne fera
qu'accroître encore plus notre charge administrative, qui est déjà
énorme. Avec 400 mutuelles differentes, il sera compliqué de récupérer
la part mutuelle de nos consultations. Nous estimons qu'en devenant
gratuit pour tous notre travail sera encore plus dévalorisé et que les
patients seront déresponsabilisés. Nous sommes favorables au tiers
payant pour nos patients dans le besoin comme nous le pratiquons déjà. »
- « On a maltraité systématiquement le généraliste », par Jean-Christophe, Feytiat (Haute-Vienne)
« On a maltraité systématiquement le généraliste, aussi bien
matériellement (tarifs inférieurs et horaires extensifs) que moralement
(déconsidération). Que l'on veuille créer des « sous-médecins » pour
vacciner n'est que le symptôme de la totale incompréhension de la
réalité du soin généraliste par les responsables politiques. On met en
avant sans cesse le tiers payant, ce n'est qu'un écran de fumée. Peut
importe qui me paie si je suis payé. Mais comment est évaluée ma
contribution à l'état des gens qui me confient leur santé ? C'est le
nœud du problème, le lieu même de la maltraitance à l'encontre de mon
métier. Est-il plus difficile de faire une radio ou de diagnostiquer une
méningite chez un gosse qui vomit ? Le radiologue gagne « en moyenne »
trois fois plus que le généraliste... Oui, je vais faire la grève ! »
- « Je pratique déjà le tiers payant, sans trompette ni fanfare, plusieurs fois par jour », par Franck, médecin de famille breton
« La généralisation du tiers payant est une mesurette démagogique et
idéologique qui ne coûte rien à celle qui la propose, généreusement. Je
pratique déjà le tiers payant, sans trompette ni fanfare, plusieurs fois
par jour, avec tous mes patients CMU [couverture maladie universelle]
et certains patients à 100 %, mais aussi tous les autres qui me le
demandent ou à qui je le propose, connaissant leur difficultés
financières. Il n'est pas rare que je ne demande pas du tout
d'honoraires. Mais je serai en grève dure car la généralisation du tiers
payant est une fausse bonne idée. Il me faudra, en plus de mes actes
médicaux, ajouter des actes de comptabilité pour vérifier et pointer mes
« remboursements ». Les retours de paiement sont une véritable usine à
gaz et je serai bien incapable de les pointer. Je suis d'accord pour
généraliser le tiers payant à une condition : que la Sécu me règle les
23 euros et qu'ensuite, elle se fasse rembourser. »
- « Ce gouvernement veut détruire notre profession en la vendant à la découpe », par Adrian, 38 ans, Lannilis (Finistère)
« Ce gouvernement veut détruire notre profession en la vendant à la
découpe. Les vaccins aux pharmaciens et aux sages femmes, le passage des
visites de sport tous les trois ans, ce qui est une aberration pour les
enfants, la prévention et l'éducation aux auxiliaires de santé alors
que nous nous en chargeons en réclamant depuis longtemps que cela soit
reconnu. (…) C'est un métier passionnant mais il y a un mal-être qui
grandit. La loi santé pourrait nous rendre complétement dépendants d'une
administration qui soigne des chiffres quand nous soignons des êtres
humains. »
- « La généralisation du tiers payant est la porte ouverte à une inflation de consultations sans raison », par Catherine, 53 ans, Paris-19e
« La généralisation du tiers payant est la porte ouverte à une
inflation de consultations sans raison. Il faut absolument sensibiliser
le patient à la valeur de notre compétence, et, la plupart du temps,
cela passe par une responsabilisation du coût de l'acte médical. 23
euros à avancer pour être pris en charge correctement par des
professionnels surformés, est-ce vraiment trop demander ? Nos conditions
de travail sont très difficiles : les caisses ne nous parlent que
d'économies au détriment de notre savoir et le patient en oublie notre
art. La médecine nous concerne tous et la dégradation générale de
l'exercice de la profession va nuire dans un avenir très proche à la
prise en charge des patients. »
- « C'est la fin de la liberté d'installation », par Bénédicte, généraliste en maison de santé
« Je fermerai du 23 au 31 décembre pour exprimer mon désaccord
vis-à-vis de la loi que veut nous imposer Marisol Touraine. Cette loi
fait des trous de gruyère dans notre exercice et je crains que bientôt,
il n'y ait plus assez de matière pour tenir les trous. C'est en suivant
notre patient au long cours et en le voyant régulièrement, notamment
pour des suivis dits simples – dont la prévention – que nous sommes au
plus près de lui et que nous sommes les plus à même de nous occuper de
sa santé, y compris quand ça se complique. Je pense aussi que le tiers
payant, comme on veut nous l'imposer systématiquement, n'est pas au
point. Avec cette loi, c'est la fin de la liberté d'installation et donc
le libre choix du médecin pour le patient, car il faudra aller voir
celui qu'on aura obligé à exercer près de chez vous. »
- « A ce prix-là, on ne va pas passer trente minutes pour résoudre un problème complexe », par Joël, 51 ans, « sorti de la médecine générale par dépit », Rouen
« L'évolution de la profession : une humiliation croissante de tous
bords, patients, tutelles, médias. Avec un tarif inférieur à une coupe
homme chez le coiffeur, il ne peut pas y avoir de reconnaissance. Comme
pour tous les métiers en rapport avec l'humain, enseignants,
politiciens, policiers, commerçants, la perte du respect de la fonction
entraîne mathématiquement une perte de la qualité du travail effectué.
Les conditions d'exercice sont finalement meilleures, car produire un
travail bas de gamme, à la valeur de ce qu'il est rémunéré, est moins
fatigant... A ce prix-là, on ne va pas faire d'heures supplémenaire, on
ne va pas passer trente minutes pour résoudre un problème complexe, on
va choisir les patients faciles. C'est juste un peu frustrant après
avoir gâché dix ans de sa jeunesse à apprendre un beau métier qui
pourrait être bien mieux mis en valeur. »
Le Monde, 22/12/2014.
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