Alors que des syndicats de médecins libéraux appellent à la grève, le Syndicat de la médecine générale (SMG) s’y refuse, ne cautionnant pas des revendications « injustes pour la population ». Pourtant, les motifs de mécontentement sont nombreux, souligne Patrick Dubreil, son secrétaire.
B. BOISSONNET / BSIP |
Les médecins libéraux sont appelés à la grève jusqu’au 31
décembre contre le projet de loi sur la santé par quatre syndicats. Mais
si, parmi eux, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF)
rejette un « système de soins reposant sur le tout public », son
concurrent MG France, premier syndicat chez les généralistes, ne partage
pas ses positions, en particulier sur la généralisation du tiers
payant, qu’il veut voir encadré. Le SMG a refusé de son côté de
s’associer au mouvement et défend la mise en place d’un « guichet unique
».
La colère des médecins libéraux se focalise
notamment sur la question du tiers payant, que le projet de loi de santé
entend rendre obligatoire. Quelle est votre position à ce sujet ?
Patrick Dubreil
L’ensemble des syndicats a décidé de dire non au tiers payant
généralisé. Il faut qu’ils prennent conscience qu’en pleine crise
économique il n’est pas acceptable que ce dispositif soit attaqué, car
c’est un outil fondamental de justice sociale. Surtout dans une période
où le renoncement aux soins progresse. Tourner le dos à cette pratique,
c’est rajouter de la violence à la violence. En tant que médecin, on ne
peut pas le tolérer, d’autant que les pharmaciens et les kinés, eux,
pratiquent le tiers payant sans que cela pose de problème…
Un grand nombre de vos collègues dénoncent non
pas l’objectif du tiers payant, mais la lourdeur de ce système qu’ils
jugent trop compliqué. Qu’en pensez-vous ?
Patrick Dubreil Il est vrai
qu’aujourd’hui le tiers payant est utilisé au prix d’une augmentation de
la charge administrative des professionnels, d’une réduction de leur
temps médical et donc de leur épuisement. À chaque fois qu’un médecin
effectue un tiers payant, il lui faut vérifier à quelle caisse le
patient est affilié, s’il a une mutuelle et, ensuite, contrôler s’il est
bien remboursé par l’assurance maladie et par les complémentaires. Cela
prend du temps. En outre, l’assurance maladie ne rembourse les frais
que si le patient a déclaré un médecin traitant, y compris dans les
cabinets de groupe. Personnellement, je travaille avec quatre collègues.
Si je reçois le patient d’un collègue, parce que celui-ci est absent,
je ne suis remboursé que 30 % de la consultation car je ne suis pas
déclaré comme étant son médecin traitant. Ce qui me fait un manque à
gagner de 9,20 euros.
Comment, selon vous, le tiers payant pourrait-il être généralisé sans léser les médecins ?
Patrick Dubreil Au sein du SMG, nous réclamons la création
d’un guichet unique, qui serait l’assurance maladie, car c’est la seule
caisse qui est solidaire et c’est aussi la moins coûteuse, qui
dispenserait l’avance de frais totale du tiers payant. Celui-ci serait
systématiquement proposé aux patients et aux médecins qui le souhaitent
tant que le système est régi par le paiement à l’acte. Concrètement,
l’assurance maladie réglerait la totalité des actes de secteur 1 aux
professionnels et se ferait ensuite régler le ticket modérateur par les
complémentaires santé. Les médecins seraient alors libérés de la
vérification administrative de la récupération d’une partie de leurs
revenus et de la contractualisation avec ces mêmes complémentaires. Il
faut que l’assurance maladie comprenne que ce n’est pas en faisant payer
plus les malades qu’on fera baisser les dépenses de santé…
Vous évoquez en filigrane une sortie du paiement à
l’acte. Pouvez-vous expliquer quel en serait l’intérêt pour les
médecins et les patients ?
Patrick Dubreil Le paiement actuel
favorise la course à l’acte. Plus on fait de consultations et d’actes,
plus on est payé. Au SMG, nous refusons cette logique inflationniste.
Tout comme nous prônons la suppression de la prime à la performance
– appelée rémunération sur objectifs de santé publique. C’est un forfait
variable, qui peut aller jusqu’à 12 000 euros par médecin par an, basé
sur des critères médico-économiques fixés par l’assurance maladie.
Inégalitaire entre praticiens, inefficace pour réduire les inégalités,
comme son application l’a montré dans de nombreux pays, elle est
perverse dans son principe – individualisme, logique financière prenant
le pas sur le soin, formatage des pratiques… – et coûteuse pour
l’assurance maladie. Nous pensons qu’il faut développer d’autres modes
de rémunération. Pour éviter les inégalités de revenus des médecins, on
pourrait augmenter le forfait des patients en ALD (affection de longue
durée), qui est de 40 euros seulement par an, on pourrait instaurer des
forfaits pour certaines pratiques. J’ai fait hier un certificat pour
coups et blessures sur une femme violentée, cela m’a pris presque une
heure… Pour 23 euros ! On pourrait tout à fait forfaitiser les revenus
des médecins de manière globale et non variable. Quelques améliorations
ont été faites, comme le forfait de la consultation
post-hospitalisation, fixé à 46 euros. Sauf que, dans le même temps, au
lieu de lutter contre les dépassements d’honoraires, on les a
généralisés…
Comme les autres syndicats de médecins libéraux, vous êtes très critiques vis-à-vis du projet de loi santé ?
Patrick Dubreil Cette loi met tout le
monde en colère dans le monde médical mais pour des motifs différents.
Marisol Touraine tourne le dos à la stratégie nationale de santé, à
laquelle nous avons cru, qui jetait les bases d’un système coordonné,
avec une prise en compte des besoins de la population. Le décalage entre
l’exposé des motifs et les mesures envisagées est énorme : d’un côté,
ce projet de loi s’appuie sur la loi HPST (hôpital, patients, santé et
territoires) et renforce le pouvoir de l’État sur l’ensemble du champ
médico-social à travers les agences régionales de santé. De l’autre, il
n’annonce aucun changement profond de l’organisation de l’offre de
santé. De notre point de vue, quelques mesurettes vont dans le bon sens,
comme la délégation de tâche ou les salles de shoot. Mais c’est
insuffisant. Donc oui, nous sommes en colère contre ce gouvernement qui
ne prend pas en compte les besoins de la population et les réalités de
terrain des médecins généralistes. Mais faire grève ne résoudra rien.
C’est le mouvement social dans son ensemble qui doit permettre de
débattre et de faire des propositions.
Entretien réalisé par Alexandra Chaignon, L'Humanité, 24/12/2014.
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