lundi 12 octobre 2015

« Sécu » : ce qui a été fait, ce qui reste à faire

Lorsque François Hollande est arrivé au pouvoir, trois des quatre branches de la « Sécu » étaient plombées par les déficits : l’assurance-maladie (− 5,9 milliards d’euros en 2012, selon la Cour des comptes), le système de retraite de base des salariés du privé (− 4,8 milliards) et la branche famille (− 2,5 milliards). Les réformes engagées depuis trois ans et demi ont obéi à une double préoccupation : redresser les comptes sans écorner notre modèle de protection sociale. L’objectif a-t-il été atteint ?


S’agissant de la branche vieillesse, « certaines des mesures prises vont dans le bon sens et introduisent plus de justice », commente Michel Borgetto, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas (Paris-II). Il cite comme exemples la prise en compte de la pénibilité ou l’assouplissement des règles pour permettre aux salariés ayant accompli des carrières longues de partir à la retraite à 60 ans, voire avant. « La pérennité du système est assurée, ajoute Michel Borgetto, grâce à la réforme de 2013 qui prévoit une hausse des cotisations et l’allongement de la durée de cotisations pour percevoir une pension à taux plein. » Le gouvernement table d’ailleurs sur un léger excédent de l’assurance-vieillesse l’an prochain – une première depuis 2004.

Mais ces progrès sont fragiles aux yeux de plusieurs spécialistes. « On colmate les brèches, mais sans entreprendre de réforme structurelle et en sachant que ça ne sera pas tenable, à terme, juge Jean-Olivier Hairault, professeur d’économie à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris-I). Il conviendrait de relever l’âge de cessation d’activité ; nous sommes très au-dessous des standards européens en la matière. »
L’un des plus gros défis à relever concerne les retraites complémentaires. En 2014, le déficit de l’Agirc a atteint 1,98 milliard d’euros et celui de l’Arrco 1,15 milliard. Le patronat et les syndicats négocient depuis des mois pour trouver un accord synonyme de retour à l’équilibre.

Le Monde,


« Rustines »

Avec 7,5 milliards d’euros de déficit prévus en 2015, soit un milliard de plus qu’en 2014, la branche maladie fait encore figure de mauvaise élève. Pour redresser la barre, l’exécutif veut réaliser 3,4 milliards d’euros d’économie en 2016 (régulation des prix des médicaments, diminution de la durée des hospitalisations…). Des mesures qui préservent les patients mais pas l’industrie pharmaceutique : les baisses de prix de médicaments ont doublé depuis 2012 pour atteindre 900 millions d’euros. En y ajoutant diverses remises reversées à l’assurance-maladie, le montant réclamé aux industriels sera supérieur à 1,6 milliard en 2015 et 2016.
« En décidant de faire porter à cette industrie près de la moitié des efforts d’économies, alors que le médicament ne représente que 15 % des dépenses, les autorités diffèrent, année après année, le chantier de réforme globale dont notre système de santé a besoin », regrette Patrick Errard, le président du LEEM, le lobby des laboratoires. « Il ne faut pas reprendre les mêmes rustines d’une année à l’autre et toujours taper sur les mêmes acteurs », approuve le député Jean-Pierre Door (Les Républicains, Loiret).
Quant à l’accès aux soins, le bilan est en demi-teinte. « On a contenu la pression sur le porte-monnaie des patients depuis 2012 mais il y a encore des restes à charge très élevés, comme pour les lunettes et les prothèses dentaires ou auditives », estime Christian Saout, le secrétaire général délégué du CISS, un collectif de quarante associations de patients.
Trois chantiers sont ouverts pour améliorer l’accès aux soins : la généralisation du tiers payant, l’extension des complémentaires santé et la « protection maladie universelle », qui vise à maintenir les droits du million de personnes changeant, chaque année, de situation professionnelle, de situation familiale ou de domicile. Elle représente pour Didier Tabuteau, titulaire de la chaire santé de Sciences Po, une « réforme structurelle fondamentale sur le plan théorique », car elle marque le passage d’une « assurance sociale » à une « prestation universelle ».

« Principe d’universalité »

Enfin, en matière de politique familiale, les déficits demeurent mais ils se réduisent : − 800 millions d’euros prévus en 2016, contre − 2,7 milliards deux ans plus tôt. Une amélioration induite par la modulation des allocations familiales en fonction du revenu des ménages. « C’est un changement de taille, observe Michel Borgetto. Certes, le principe d’universalité est maintenu puisque les plus riches continueront à toucher quelque chose mais la pente est glissante : pourquoi ne pas envisager le mécanisme de modulation pour les remboursements de l’assurance-maladie, par exemple ? On ne sait pas où cela s’arrêtera. »
Au total, « plusieurs points positifs » peuvent être mis au crédit du président de la République, mais « il n’y a eu aucune conquête sociale majeure », juge Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Ce qui, pour un gouvernement de gauche, constitue « une première » depuis le Front populaire. Pour Louis Maurin, l’équipe en place a commis « une erreur au début du quinquennat en disant : “Seuls les plus riches paieront.” » « Cela a délégitimé l’action publique et les catégories aisées ont obtenu que le gouvernement fasse machine arrière, complète-t-il. Aujourd’hui, il n’a plus, par exemple, les moyens d’adapter notre modèle social au vieillissement, notamment pour soutenir les personnes âgées démunies. Il aurait fallu expliquer, dès le départ, qu’un effort global de solidarité, réparti sur l’ensemble de la population, était nécessaire. »

Le Monde,

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