lundi 12 octobre 2015

L’exposition précoce au tabac favoriserait des troubles du comportement

Les troubles comportementaux d’un enfant peuvent-ils être reliés à son exposition au tabac durant la grossesse ou après la naissance ? C’est ce que suggère une étude française, publiée dans la revue Plos One le 28 septembre.


Afin d’évaluer le fonctionnement comportemental et psychosocial des enfants, l’équipe d’Isabella Annesi-Maesano, directrice de recherche Inserm au département d’épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires (Paris), a soumis un questionnaire standardisé à 5 221 familles françaises d’enfants scolarisés en école primaire dans six villes.
Les troubles comportementaux ainsi étudiés correspondent à deux grandes sous-catégories : la forme internalisée, qui désigne des troubles de l’émotion (se traduisant par des maux de têtes ou d’estomac par exemple) et la forme externalisée, qui renvoie à la sphère des troubles des conduites (colères…).
Comparativement à des enfants n’ayant jamais été exposés à la fumée de tabac, ceux qui l’ont été présentent davantage de troubles du comportement à l’âge de 10 ans.
L’exposition au tabac à la fois pendant la vie fœtale et la petite enfance – 21 % de l’échantillon – est associée à un risque augmenté de 70 % de troubles émotionnels qualifiés d’« anormaux », et de 90 % s’agissant de troubles des conduites. Les conséquences sont moindres pour les enfants exposés au tabagisme passif seulement après la naissance : l’excès de risque est de 40 % pour les troubles émotionnels et de 50 % pour ceux des conduites. Le pourcentage d’enfants exposés uniquement in utero était trop faible (1 %) pour conclure.
Rien d’étonnant, selon le professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue fortement engagé dans la lutte contre le tabagisme. « Lorsque l’exposition au tabac survient à un moment où le cerveau est particulièrement malléable, ce toxique vient modifier les connections neuronales de manière irrémédiable », souligne-t-il.

Le Monde, 01/10/2015Roxane Poulain.



Méthodologie critiquée

Des expériences conduites précédemment sur des animaux ont démontré que, au stade prénatal, la fumée inhalée vient stimuler les récepteurs acétylcholiniques, ce qui entraîne la mort de certains neurones et provoque une altération structurelle du cerveau. Au stade postnatal, il a été démontré que les cobayes exposés à la fumée subissent une modification de leur croissance neuronale, du fait d’un déséquilibre protéinique directement dû au tabac.
Certains sont cependant sceptiques quant au caractère direct du lien entre tabac et troubles du comportement chez l’humain. « Le tabagisme pendant la grossesse est un marqueur d’une multitude d’éléments : niveau socio-économique, investissement de la maternité, problèmes anxio-dépressifs, vulnérabilité génétique aux addictions… Ce sont surtout ces facteurs sous-jacents qui expliquent les problèmes des enfants », signale le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre, biostatisticien et directeur de l’unité Inserm consacrée aux troubles alimentaires adolescents. « S’il existe un lien direct, celui-ci est résiduel », poursuit le spécialiste, par ailleurs très critique sur la méthodologie de l’étude.
Certains sont cependant sceptiques quant au caractère direct du lien entre tabac et troubles du comportement chez l’humain.
Les troubles anxio-dépressifs d’une mère – comme d’un père – qui cède à ses pulsions au détriment de la santé de son enfant risqueraient donc d’être génétiquement transmis ou de socialement impacter l’enfant. Selon Bruno Falissard, la véritable problématique du sujet est donc moins l’incidence biologique de la fumée sur les enfants que le questionnement d’une femme par rapport à son statut de mère qui continue à exposer son enfant au tabac en dépit des risques.
Reste que l’exposition précoce au tabac a été associée à de nombreuses pathologies : retard de croissance fœtale, naissances prématurées, asthme, infections respiratoires, malformations spécifiques comme les fentes labiales… Ces constats, dressés depuis des années, finiront-ils par modifier la donne, dans un pays comme la France où le taux de femmes enceintes fumeuses (20 %) est parmi les plus élevés d’Europe ? « Pas tant que le tabac sera encore considéré comme un mode de vie, alors que c’est une maladie », répond le professeur Bertrand Dautzenberg. « Et lorsque la représentation nationale cessera d’obéir à la pression lobbyiste du tabac », ajoute-t-il, faisant référence au rejet par les sénateurs, le 16 septembre, de la création du paquet neutre prévu par la loi santé. Celle-ci était toujours en cours d’examen au 30 septembre.

 
Le Monde, 01/10/2015Roxane Poulain.

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