Gestion au coup par coup, manque de volonté politique… En France, seuls 300 exilés ont été « relocalisés » sur les 30 000 annoncés d’ici à 2017. Le Conseil européen, qui s’ouvre aujourd’hui, devrait enterrer définitivement l’espoir suscité par cette idée de répartir 160 0000 réfugiés dans l’UE.
Mardi
dernier, à Munich, le premier ministre Manuel Valls s’est dit « très
impressionné par la capacité du peuple allemand à accueillir » et « par
ce que les villes et les Länder ont fait », tout en précisant cependant
que ça n’est pas « la position de la France ». Pourtant, les villes et
citoyens français ont largement répondu présent lorsque, cet automne, le
gouvernement a annoncé l’accueil de 30 000 réfugiés parmi les 160 000
prévus par le « mécanisme de relocalisation » adopté, à la fin de l’été,
par les pays membres de l’Union européenne (UE). Des particuliers ont
ouvert leur foyer et de nombreuses communes créé des places
d’hébergement. Un « réseau des villes solidaires » est même né de cet
élan de solidarité. Mais, aujourd’hui, ce sont à peine quelque
300 personnes à qui la France a offert son hospitalité, sur 880 dans
toute l’Union.
« Quand on est volontaire et qu’on voit la situation aux
frontières européennes, on se demande pourquoi ça ne va pas plus vite »,
interroge le maire divers gauche du Vigan (30), Éric Doulcier. Sa
commune a été une des premières à annoncer son intention d’accueillir
des réfugiés. « Au bout de huit mois, dix exilés, pour la plupart
irakiens, sont arrivés, explique l’édile. Mais ça ne s’est pas fait dans
le cadre des relocalisations. Ce sont des personnes qui arrivent de
Calais. » Quant à l’aide financière de 1 000 euros par personne
accueillie, annoncée par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve,
en septembre, il n’en a toujours pas vu la couleur.
Même son de cloche du côté de Lille. La ville dirigée par
Martine Aubry s’était placée aux avant-postes « du réseau des villes
solidaires ». « C’est désolant de voir toutes ces personnes obligées de
s’accrocher à un bout de tente alors que nous avons les possibilités de
les accueillir dignement », pointe Dalila Dendouga, ajointe aux droits
de l’homme de la capitale nordiste. La commune a prévu un important
dispositif d’accompagnement et ouvert une centaine de places
d’hébergement. Mais, pour l’heure, seules 54 d’entre elles sont
occupées. « Ce sont principalement des personnes orientées par des
associations », précise l’élue municipale. Ici encore, pas de trace des
réfugiés prévus par le dispositif des « relocalisations ».
Des demandeurs d’asile condamnés à habiter squats et bidonvilles
Le mécanisme sur lequel s’appuie l’exécutif pour tenter de
conserver une image accueillante de la France semble complètement
grippé. « On a demandé, il y a plusieurs mois, aux opérateurs qui gèrent
les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de geler des
places pour ceux qui allaient arriver, explique Claire Rodier du Groupe
d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Personne n’est arrivé
et, aujourd’hui, on leur demande de conserver ces places pour ceux qui
vont sortir des centres d’accueil et d’orientation (CAO)… Tout ça est
chaotique. C’est de la gestion au coup par coup. » En attendant, le
nombre de places en Cada fait toujours défaut pour des centaines de
demandeurs d’asile condamnés à habiter squats parisiens et autres
bidonvilles du nord de la France.
(...)
Emilien Urbach
Jeudi, 17 Mars, 2016
L'Humanité
Pour Bernard Cazeneuve, si le mécanisme dysfonctionne, ce
n’est pas par « mauvaise volonté délibérée » du gouvernement. Selon lui,
ce sont les réfugiés eux-mêmes qui répugnent à s’inscrire dans le
dispositif.
Pour faire partie des « relocalisés », les exilés doivent
être identifiés dans un des « hot spots » grecs ou italiens, puis
attendre que vienne leur heure. « L’avis des personnes n’est, à aucun
moment, pris en compte, insiste Claire Rodier. Comment convaincre une
personne d’aller quelque part sans lui laisser le choix et sans qu’elle
ne sache où ? » Récemment, sur l’île de Lampedusa, une manifestation a
rassemblé plusieurs dizaines d’Érythréens qui refusaient de se prêter au
processus d’identification prévu par Frontex. « Les gens ont peur de
devenir des “dublinés” si la relocalisation ne fonctionne pas ou s’ils
souhaitent finalement demander l’asile dans un autre pays. » Le
règlement de Dublin prévoit toujours, en effet, qu’une personne ne
puisse pas demander l’asile dans un autre pays de l’UE que celui où elle
a été préalablement enregistrée. Elle peut alors être expulsée vers ce
dernier à tout moment.
De plus, « les dispositifs d’accueil et de répartition des
réfugiés dans les “hot spots” ne fonctionnent encore que de façon très
imparfaite », tente de se justifier Bernard Cazeneuve. Sur ce point, nul
ne saurait le contredire. Avec un million d’arrivées en 2015 et des
pronostics revus à la hausse pour l’année en cours, ces zones d’accueil
prévues pour la répartition de seulement 160 000 personnes sont
évidemment obsolètes. Mais c’est aussi l’ensemble du dispositif qui est à
revoir. « C’est un système bureaucratique qui ne peut pas répondre au
problème, accuse, pour sa part, Marie-Christine Vergiat, députée
européenne Front de gauche, de retour de Syrie. Dans les hot spots, on
n’a pas les moyens de recenser tout le monde. Les procédures, de plus,
sont très longues et les États membres de l’UE refusent de les
accélérer. Quand un État accepte de prendre en charge une personne, elle
n’est déjà plus là… »
Dans ce contexte, le gouvernement français joue, tour à
tour, la carte du soutien à la démarche d’ouverture de l’Allemagne et
celle du repli qu’agitent les détracteurs de la relocalisation ou de
ceux qui, après en avoir accepté le principe, sont revenus sur leur
décision. L’Autriche en a demandé la suspension en faisant valoir « le
changement des routes migratoires ». La Pologne, elle, s’est servie de
la paranoïa qui a suivi les attentats de Paris pour prétexter la
présence de terroristes parmi les réfugiés. Il n’y a guère que le
Portugal qui vient de taper du point sur la table pour demander
l’accélération de la procédure.
Au lieu de cela, se tient aujourd’hui et demain un Conseil
européen qui doit enterrer définitivement toute démarche solidaire des
États membres de l’UE. Le Conseil s’apprête à allouer une nouvelle manne
financière à la Turquie et à passer un accord avec Erdogan sur des
reconduites massives à la frontière de réfugiés syriens. Le deal prévoit
que, pour chaque réfugié accueilli par l’Europe, un autre, entré
illégalement, soit reconduit en Turquie.
Les ONG sont vent debout. « L’Europe est malade de son
incapacité à accueillir des personnes en grande détresse » a déclaré,
hier, la présidente de Médecins du monde, Françoise Sivignon. Rejoignant
Amnesty International qui vient de lancer une campagne « Les réfugiés
ne sont pas une marchandise ». Et le directeur exécutif de Human Rights
Watch, Kenneth Roth, de pointer dans un courrier adressé mardi aux chefs
d’État de l’UE, que cet accord dénote « un mépris inquiétant pour le
droit international régissant les droits des réfugiés, des demandeurs
d’asile et des migrants ». Il se dit, par ailleurs, « profondément
préoccupé par le fait que, dans le but de sécuriser le plan d’action
commun pour endiguer le flux de réfugiés et de migrants, l’UE soit prête
à détourner le regard alors que le président turc est en train de
réprimer les droits humains et de démanteler le cadre démocratique de la
Turquie ». Les larmes de crocodiles versées après la publication de la
photo du petit Aylan, l’enfant kurde mort noyé sur une plage de Turquie,
ont définitivement séché.
Emilien Urbach
Jeudi, 17 Mars, 2016
L'Humanité
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