jeudi 29 décembre 2016

La culture prend soin de la santé

Depuis les temps immémoriaux, l’art et la santé sont intimement liés. Apollon, dieu grec de la musique et des neuf muses, n’était-il pas aussi guérisseur, seul capable de soigner la peste que ses flèches sèment ? Cependant, si aujourd’hui il s’est durablement installé dans les structures sanitaires, c’est le résultat d’un long combat. 


« La démarche ne va pas de soi, et c’est normal, car l’hôpital est d’abord un lieu de soins », avoue Patrick Vandenbergh, directeur Stratégie et parcours à l’agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes, pourtant défenseur farouche des politiques culturelles à l’hôpital.
Dans les années 1990, des associations culturelles franchissent les murs de l’hôpital, telle « Rire médecin », qui envoie ses clowns dans les services d’oncologie pédiatrique, ou ­­« Tournesol » qui dépêche des musiciens auprès des malades de services de cancérologie ou de gériatrie. C’est l’époque des formes « au chevet ».
En 1999, la première convention interministérielle « Culture à l’hôpital » (qui deviendra « Culture et santé » en 2010) donne un cadre institutionnel, agrémenté de financements, aux partenariats entre acteurs culturels et établissements sanitaires. Elle sera déclinée au niveau national, par des conventions signées entre les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et les agences régionales de l’hospitalisation (ARH, transformées en ARS en 2009). Cependant, la déclinaison régionale du dispositif s’avère inégale. Les régions Rhône-Alpes, Ile-de-France ou Aquitaine sont à la pointe du mouvement, alors que l’Auvergne ou le Poitou-Charentes, par exemple, prennent du retard.

clown-hopital-UNE
© Giambra-Fotolia

Gazette santé social, 23/12/2016.



La culture, quèsaco ?

La culture s’inscrit pleinement dans la définition de la santé donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « un état complet de bien-être physique, mental et social ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Elle relève des « droits fondamentaux » du patient que l’institution hospitalière doit lui permettre d’exercer. Or, selon l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, « toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. »

Mélanger les publics

Dans les années 2000, de nouveaux défis se posent devant les pouvoirs publics locaux : transformer les dispositifs « Culture et santé » en politiques publiques. Un nouveau métier s’introduit dans les grands hôpitaux, tels les centres hospitaliers universitaires : des attachés culturels, qui assurent l’interface entre les services hospitaliers et les structures artistiques et coordonnent la mise en place des projets. Certaines régions se dotent de structures indépendantes – « InterSTICES » en Rhône-Alpes, « Arts & Santé La manufacture » en Ile-de-France, « Pôle Culture & Santé » en Aquitaine – qui deviennent les chevilles ouvrières des Drac et des ARS pour la mise en œuvre des projets culturels dans les établissements hospitaliers.
Ces projets sont de plus en plus structurés et leurs objectifs s’élargissent. « Il ne s’agit plus d’assurer l’accès aux œuvres pour les patients, mais de les faire bénéficier de pratiques artistiques au cours de résidences d’artistes in situ. On privilégie les parcours culturels qui font le lien avec le territoire, qui font se mélanger des publics », explique Lætitia Mailho, directrice de « Arts & Santé La manufacture ».
Les exigences concernant le choix des artistes intervenant à l’hôpital se renforcent également. Mehdi Idir, conseiller territorial à la Drac Ile-de-France témoigne : « ayant une production et une diffusion conséquentes, l’artiste doit être reconnu par ses pairs, inséré dans les réseaux de professionnels. » D’ailleurs, l’ARS et la Drac Ile-de-France ont créé en 2011 un label « Culture et santé », attribué pour trois ans aux établissements sanitaires qui mènent une politique culturelle de qualité et diversifiée. En retour, l’institution hospitalière se retrouve valorisée et la qualité des soins – améliorée.

Démocratie sanitaire

« La culture à l’hôpital participe de la prise en charge globale du patient, considéré comme une personne dans son intégralité, et non pas comme porteur d’une pathologie ou comme un organe malade », affirme Séverine Le Grand, directrice d’InterSTICES. L’art va chercher des ressorts de la personnalité qui sont mis en veille dans une institution hospitalière. « Être entouré de beauté, c’est réparateur pour tout le monde », estime Yves Dubien, directeur général du CHU d’Angers, qui inscrit la culture dans le projet d’établissement en 2013.
Considérer dans sa globalité le patient, personne fragilisée physiquement, psychologiquement ou socialement, c’est lui donner la possibilité d’exercer ses droits citoyens, parmi lesquels l’accès à la culture. « Il s’agit là de démocratie sanitaire et de démocratisation culturelle », estime Lætitia Mailho.
Les projets culturels opèrent un changement de la relation soignant-soigné. En témoigne le projet « Nous vieillirons ensemble » qui vise à amener la culture au domicile des personnes âgées isolées du pays d’Albret (Landes). Pendant dix-huit mois, un binôme composé d’une professionnelle du service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et d’un artiste (conteuse, photographe, écrivain…), se rend au domicile de ces personnes, et leur offre, entre autres, une visite virtuelle des œuvres de « La Forêt de l’art contemporain ».
Alexandra Martin, coordinatrice du Pôle Culture et Santé en Aquitaine, rapporte cette conversation entre un usager et une professionnelle : « Tu vois, on est pareil, toutes les deux, on n’y comprend rien à l’art contemporain ». Une nouvelle égalité qui apporte une humanité bénéfique au soin.

S’ouvrir sur le territoire

Ce renversement des rôles est également bien vécu par les professionnels de la santé. Ainsi, le projet « Au-delà des murs. Ensemble » du photographe Grégoire Korganow au sein du service de hépato-gastro-entérologie (cancérologie digestive) au CHU de Rouen, mené en 2015, met en scène des patients, des soignants, des salariés des entreprises partenaires sur différents lieux de Normandie, choisis par les patients.
Les photos sont aujourd’hui exposées dans les couloirs du service. Lucie Touzan, infirmière, a participé au projet : « les patients, qui nous voient toujours en blouse blanche, nous découvrent en civil sur les photos. Ils prennent conscience que nous sommes des êtres humains, avant tout ».
Les projets culturels permettent à l’hôpital de s’ouvrir sur le territoire. « C’est primordial, notamment dans le domaine de la psychiatrie, où les usagers ne sont hospitalisés qu’un temps, et passent leur vie à l’extérieur », explique Françoise Liot, sociologue au Centre Émile-Durkheim (lire p. 18). Nombre d’établissements signent ainsi des conventions avec des orchestres symphoniques, des musées des beaux-arts, des scènes théâtrales.

(...)
 Gazette santé social, 23/12/2016.
Article intégral en ligne :  http://www.gazette-sante-social.fr/33798/la-culture-sinvite-a-lhopital

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire