dimanche 14 janvier 2018

Pourquoi l’hôpital public est-il « arrivé au bout d’un système » ?

Dans les services, la tension monte. Plus de 900 médecins et praticiens ont adressé une lettre ouverte à la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn.
Avec Dr Claire Gekiere Psychiatre, médecin hospitalier; Dr Christophe Prudhomme, Porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France, syndicaliste CGT; Nicole Smolski, Présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi et Frédéric Valletoux, Président de la Fédération hospitalière de France.

 

Une désertification des services publics et un management pyramidal

 

Par Dr Claire Gekiere, Psychiatre, médecin hospitalier. Le 12 décembre dernier, Agnès Buzyn a déclaré que « nous sommes arrivés au bout d’une histoire et d’un système » où l’hôpital public a cru « qu’il devait se sentir une âme d’entreprise » et être rentable. Elle pense avoir renoué des liens avec des professionnels de santé qu’elle décrit « très en attente et très tendus » à son arrivée. Nous le sommes encore : nous attendons toujours un signe de sa part, un rendez-vous, après la lettre ouverte signée maintenant par plus d’un millier de médecins hospitaliers que nous lui avons adressée en septembre pour dénoncer la paupérisation du service public hospitalier et le management destructeur et contre-productif qui y règne. Si elle veut vraiment retrouver un service public hospitalier avec des équipes en forme qui accueillent tous les patients, elle devra, d’une part, restaurer une Sécurité sociale solidaire (cotiser selon ses moyens et recevoir selon ses besoins) et stopper les plans d’économies toujours en cours, et, d’autre part, déconstruire le management très agressif instauré au fil des trois dernières lois hospitalières. Or, pas un mot là-dessus, alors que les deux aspects sont liés : des directeurs et certains médecins chefs de pôle se comportent en tyrans, disqualifient et persécutent soignants et médecins au nom de l’efficience (exemple récent, choisi parmi des dizaines de plus en plus médiatisés : « Des consultations de 45 minutes, ce n’est pas rentable. » Il faut faire « des consultations plus rapides ou bien plus souvent ou faire venir les patients en hôpital de jour en rajoutant des examens » ; ou plus général et attaquant le sens du soin : prévoir un « intéressement » pour une équipe pour sa « participation à la politique éthique » d’un hôpital).
Nous sommes traités comme des producteurs de soins interchangeables et dépossédés du sens de notre travail, ce qui crée de la révolte mais surtout beaucoup de découragement et de désinvestissement dans les équipes hospitalières. Cela ajoute une difficulté supplémentaire pour l’accès aux soins, encore entravé par la création des groupements hospitaliers de territoires (GHT), que Mme Buzyn approuve, alors qu’elle contribue à la désertification des services publics et augmente les effets négatifs d’un management de plus en plus pyramidal. Une des mesures faciles à mettre en place pour commencer à regagner la confiance des médecins hospitaliers serait de restaurer des contre-pouvoirs à l’hôpital en redonnant, par exemple, déjà du pouvoir décisionnel aux commissions médicales d’établissement qui ne sont plus que vaguement consultatives. Puisque notre ministre veut « redonner confiance aux équipes de l’hôpital et du sens à leur mission », qu’elle nous reçoive, nous avons beaucoup d’idées constructives à ce sujet !

Il faut battre en brèche toute l’argumentation autour de l’ambulatoire

 

Par Dr Christophe Prudhomme, Porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France, syndicaliste CGT. Non, Madame la ministre, ce n’est pas l’hôpital qui est en crise mais bien l’ensemble du système de santé. Les urgences sont à cet égard emblématiques de la dégradation de la situation. Elles offrent en miroir le constat d’une incapacité de la médecine de ville à répondre aux besoins des patients qui se rendent par défaut aux urgences après avoir cherché vainement un médecin disponible et un hôpital, qui manque de lits. Cette situation est le résultat d’une politique organisée depuis trente ans, de la dégradation de notre système de protection sociale et de santé pour promouvoir les solutions marchandes déjà largement à l’œuvre dans le secteur de ce que certains appellent la « silver economy » ou « l’or gris », à savoir le marché de la perte d’autonomie. Pour bien comprendre la situation, il faut savoir que notre système est hybride avec le maintien d’une médecine libérale qui s’appuie sur la liberté d’installation et la rémunération à l’acte, un secteur d’hospitalisation privé à but lucratif très puissant (un tiers de l’activité) et une Sécurité sociale incomplète, maintenant un marché très inégalitaire d’assurances complémentaires.
Des changements sont donc nécessaires, encore faut-il savoir définir les objectifs poursuivis. Les valeurs sur lesquelles doit s’appuyer un système de protection sociale de progrès sont d’une part le service public, d’autre part la solidarité.

Source : L'Humanité, 20/12/2017.
Article intégral en ligne : https://www.humanite.fr

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