Loi sur les fake news, fin de la neutralité du Net… les gouvernements légifèrent sur Internet à tout-va, avec des conséquences dramatiques sur l’accès à une information pluraliste et, en toile de fond, des rapports de forces économiques. Décryptage avec le chercheur, spécialiste du journalisme en ligne et de l’usage des réseaux sociaux.
Emmanuel Macron a annoncé une loi pour combattre les fake news comportant quelques pistes comme une transparence du contenu sponsorisé. Qu’en pensez-vous ?
Nikos Smyrnaios Je suis favorable à une régulation
accrue des plateformes et des réseaux sociaux numériques comme Facebook,
YouTube ou Twitter. Leur imposer des obligations de transparence est
une nécessité. Mais elle devrait s’étendre, au-delà des contenus
sponsorisés en période électorale, à des domaines autrement plus
stratégiques comme le fonctionnement des algorithmes, la nature et la
quantité des informations collectées sur les utilisateurs et la manière
dont elles sont exploitées, les pratiques d’évitement fiscal, des
conditions de travail dans l’ensemble de cette chaîne de production, y
compris chez les sous-traitants, etc. Chose qui évidemment n’est pas
prévue dans la loi et reste très compliquée à implémenter. Par ailleurs,
il existe déjà de multiples dispositions qui interdisent la diffusion
de fausses informations comme celle qu’on trouve dans le Code électoral
mais aussi dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.
Il y a plusieurs problèmes dans la proposition de Macron : pourquoi
réduire le champ d’application à la campagne électorale et comment
délimiter celle-ci ? Quelles élections seront concernées ? Enfin, l’idée
de pouvoir saisir un juge en référé, capable de « supprimer le contenu
mis en cause, de déréférencer le site, de fermer le compte utilisateur
concerné, voire de bloquer l’accès au site Internet » est aussi
problématique car elle touche aux limites de la liberté d’expression. On
risque d’assister à des abus visant à éliminer les opinions qui ne
conviennent pas à l’un ou l’autre acteur politique. Sans compter le fait
que le juge n’a pas les moyens de vérifier la véracité d’une
information dans l’urgence. Ça, c’est un métier, ça s’appelle le
journalisme.
Certains pays comme l’Allemagne ont déjà fait passer ce type de loi…
Nikos Smyrnaios Oui, mais la loi en Allemagne
concerne uniquement la diffusion du discours haineux, raciste et
l’incitation à la violence, choses dont les juges ont l’habitude de
s’occuper. Par ailleurs, elle n’est pas limitée à la campagne électorale
et elle prévoit de grosses amendes pour des plateformes en cas de
non-respect. Le but recherché est donc de pousser ces sites à agir de
manière préventive. Le résultat est que les comptes de deux députés du
parti d’extrême droite AfD ont été suspendus temporairement mais aussi
celui d’un magazine satirique. Il peut y avoir des bavures quand les
plateformes font du zèle pour préserver leur image sans qu’il y ait
nécessairement intervention judiciaire. Le problème est que leurs
décisions se prennent dans l’opacité et l’arbitraire le plus total.
Autre exemple aux États-Unis, plusieurs sites d’information de gauche
parmi lesquels les très sérieux et populaires Democracy Now ! et
AlterNet, se sont vus relégués au fin fond de résultats de Google à la
suite de mesures que celui-ci a prises pour contrer la désinformation.
On peut voter toutes les lois qu’on veut, contre le racisme, le
terrorisme ou les fausses informations, sans contrôle démocratique, leur
mise en application se fera dans la boîte noire que sont ces
plateformes.
(...)
L'Humanité, 09/02/2018.
Article intégral en ligne : https://www.humanite.fr
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