jeudi 26 décembre 2019

Pesticides : le gouvernement opte pour des distances très réduites entre zones d’épandage et habitations

A partir du 1er janvier 2020, les agriculteurs ne pourront plus utiliser de pesticides à moins de trois, cinq, dix et vingt mètres des habitations. Des distances insuffisamment protectrices pour les ONG.


Ce sera donc trois mètres, cinq mètres, dix mètres, voire très exceptionnellement vingt mètres.
Le gouvernement a fini par trancher. Et, sans surprise, il a campé sur ses positions. A partir du 1er janvier 2020, les agriculteurs devront respecter une distance minimale dite de sécurité entre les zones d’épandage de pesticides et les habitations, a annoncé l’exécutif, vendredi 20 décembre. Elle variera en fonction du type de culture et de la dangerosité des produits utilisés.


Le gouvernement d’Edouard Philippe était sous pression. Le Conseil d’Etat lui avait donné
jusqu’au 31 décembre pour publier un nouvel arrêté. Le 26 juin, la plus haute autorité
administrative avait annulé le texte précédent, estimant qu’il n’était pas suffisamment
protecteur.


Le nouvel arrêté sera publié dans les prochains jours. Le gouvernement met en avant une
« distance incompressible » de vingt mètres pour « les produits les plus dangereux ». Par
« produits les plus dangereux », il entend ceux dont « la toxicité est quasi avérée pour
l’homme », comme les substances classées dans la catégorie cancérogène, mutagène et
reprotoxique (CMR) avérée pour l’homme. Cette limite de vingt mètres ne concernera qu’une infime partie des pesticides utilisés en France puisque, selon les estimations du ministère de l’agriculture, seul 0,3 % des produits phytosanitaires consommés chaque année entrent dans cette catégorie. Exit le célèbre glyphosate ou les SDHI (fongicides) aux effets néfastes pourtant scientifiquement documentés.


Des distances « très insuffisantes » pour protéger la santé



Pour les 99,7 % autres pesticides non jugés comme « les plus dangereux », la distance retenue varie en fonction du type de culture : dix mètres pour les cultures hautes (vignes ou arbres fruitiers), cinq mètres pour les cultures dites « basses » comme les céréales et les salades. Le décret, qui sera publié en même temps que l’arrêté, prévoit même la possibilité de réduire cette « zone tampon » dans le cadre de « chartes d’engagement » validées au niveau départemental entre agriculteurs, riverains et élus : cinq mètres pour l’arboriculture et trois mètres pour les vignes et les autres cultures, à la condition d’avoir recours aux « matériels de pulvérisation les plus performants sur le plan environnemental ».
« Avec ce dispositif, la France devient l’un des premiers pays européens à se doter d’un cadre national pour la protection des riverains des cultures agricoles », se félicite la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne. La Slovénie et certains Länder allemands font figure de pionniers.





Les ONG prônaient des « zones tampons » d’au moins 150 mètres
Pour les associations de défense de l’environnement, ces distances sont au contraire « très
insuffisantes pour protéger la santé des populations ». A l’instar des maires qui ont multiplié
les arrêtés antipesticides depuis l’été, les ONG prônaient des « zones tampons » d’au moins 150 mètres. « Les distances soi-disant de sécurité retenues sont inconséquentes, réagit François Veillerette, le directeur de Générations futures, l’association qui avait saisi le Conseil d’Etat pour contester le précédent arrêté régissant l’usage des pesticides. Dix mètres ou rien, cela s’avère identique. Il y a là un mépris flagrant des familles exposées et qui ne peuvent se protéger des dangers des pesticides. » De son côté, la FNSEA, le principal syndicat agricole, se garde de tout triomphalisme : « Ce n’est pas une victoire », déclare son secrétaire général adjoint, Eric Thirouin.


Pour justifier les distances retenues, le gouvernement dit s’en être tenu à « la ligne de la
science ». Il s’en remet à un avis rendu par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) du 14 juin. Or, dans cet avis, l’Anses elle-même reconnaît des limites. Celui-ci s’appuie sur un document guide de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de 2014, qui repose sur des données issues d’études effectuées dans les années 1980 et concernant seulement l’exposition de personnes résidant à des distances de trois mètres, cinq mètres et dix mètres, mais pas au-delà.


« Des positions très antagonistes »



Les associations reprochent également au gouvernement de ne pas avoir tenu compte de la consultation publique qu’il avait ouverte en septembre. Organisée sur le site du ministère de la transition écologique et solidaire, celle-ci avait enregistré une participation record avec plus de 53 000 contributions en moins d’un mois. La Fondation Nicolas Hulot, France Nature Environnement, Générations futures, Association santé environnement France et Alerte des médecins sur les pesticides avaient écrit au premier ministre, le 11 décembre, pour lui demander de publier « de toute urgence » les résultats de cette consultation. En vain. Une « synthèse » devait initialement être communiquée fin octobre. Elle sera finalement publiée en même temps que l’arrêté, indique-t-on de source gouvernementale. « Cette consultation a montré que nous étions face à un sujet peu consensuel avec des positions très antagonistes, avec d’un côté des inquiétudes chez les riverains quant à leur santé et de l’autre des craintes quant aux impacts sur le monde agricole, résume-t-on au ministère de la Pesticides : le gouvernement opte pour des distances très réduites entre... 

transition écologique et solidaire. Nous avons fixé un cadre pour une bonne cohabitation entre les agriculteurs et les riverains qui passe par un dialogue au niveau local. »

Au ministère de l’agriculture, on assure avoir tenu compte des avis émis lors de la consultation publique : « Nous avons décidé de doubler la distance pour les produits les plus dangereux, par principe de précaution maximale. » Une assertion qui irrite François Veillerette. « Les pressions de la FNSEA allant bon train, il y avait fort à craindre que les textes réglementaires qui seraient proposés ne seraient pas la hauteur et nous n’avons pas été déçus, commente M. Veillerette. Mais nous n’allons pas en rester là. » Générations futures, qui avait obtenu l’annulation de l’arrêté précédent, envisage désormais un nouveau recours devant le Conseil d’Etat.
 


Un fonds pour une meilleure pulvérisation


Le gouvernement indique que les distances minimales entre zones d’épandage et habitations pourront être réduites à cinq mètres voire trois mètres si les agriculteurs utilisent les matériels de pulvérisation les plus performants sur le plan environnemental. Pour les inciter, il annonce la mise en place, au printemps 2020, d’un appel de fonds doté de 25 millions d’euros. Il sera consacré en priorité aux filières viticoles, arboricoles et maraîchères. Au ministère de l’agriculture, on rappelle qu’une buse antidérive peut coûter jusque 40 000 euros. « Plutôt qu’aider aux investissements sur les pulvérisateurs, le gouvernement devrait donner les moyens aux paysans d’assurer une transition agroécologique des systèmes de production, réagit la Confédération paysanne. La meilleure manière de protéger la santé des paysans et de la population en général est de permettre au monde agricole de s’affranchir des pesticides. 

Le Monde, 23/12/2020.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire