vendredi 17 juillet 2015

Des collèges appelés à tester dès septembre la réforme controversée

Des dizaines de collèges vont, sans attendre la rentrée 2016, expérimenter dès septembre l’épineuse et polémique réforme du collège – parfois sans grand enthousiasme. Le collège Saint-Exupéry à Condom (Gers), celui du Mas-d’Azil (Ariège), l’établissement privé Notre-Dame-de-la-Clarté à Perros-Guirec (Côtes-d’Armor), le collège Diwan de Quimper ou encore celui de Noé (Haute-Garonne) font partie de ces collèges préfigurateurs. Au moins trois académies, Rennes, Toulouse et Aix-Marseille (« peut-être plus », confie-t-on au cabinet de la ministre de l’éducation), prennent part à ces expérimentations.

 Au collège Georges Clemenceau à Paris, le 29 mai.

Aix-Marseille ne communique pas encore sur ses projets. Rennes et Toulouse, elles, si : l’enseignement de la LV2 (la deuxième langue vivante) dès la classe de 5e, soit un an plus tôt, a en réalité débuté dans ces deux académies en 2014. Toulouse franchira une étape supplémentaire en septembre prochain, prête – dit-elle – à tester trois autres volets de la réforme. Et pas des moindres : la liaison école-collège, l’aide personnalisée et les fameux « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) qui heurtent une frange des professeurs. Parmi les 318 collèges de l’académie, 34 seraient partants. « Des collèges pionniers et volontaires », assure-t-on dans l’entourage de la rectrice, en se réjouissant de voir ces « petits laboratoires de la réalité » prendre vie.

Prudence de mise

 

Sur le terrain, l’optimisme n’est pas toujours partagé. Sans surprise, l’intersyndicale qui mène la fronde – et qui a déjà appelé à relancer la mobilisation cet automne – conteste même tout élan de « la base ». Mais dans les rangs des organisations réformistes, aussi, la prudence est de mise. « Des collèges volontaires ? Les guillemets s’imposent », lâche, ironique, Jean-Rémi Girard, du SNALC, syndicat dit de droite même s’il s’en défend. « C’est nous qui avons appris à certains collègues qu’ils devaient être prêts à sauter le pas dans deux mois, renchérit Bernard Schwartz, du SNES-FSU-Toulouse ; les chefs d’établissement ont souvent pris la décision d’expérimenter sans s’embarrasser de consulter leurs enseignants. »
Souvent ? « Cela s’est vu dans dix à douze collèges sur la trentaine d’établissements pionniers dans notre académie », estime ce syndicaliste, reprenant à son compte la crainte martelée depuis trois mois par le SNES-FSU, majoritaire dans le second degré : les 20 % d’autonomie concédés aux collèges dans le cadre de la réforme viendraient renforcer la marge de manœuvre des principaux, faisant le jeu des « petits chefs » et de la « caporalisation » des professeurs.


« Un appel à candidatures avec des moyens en plus à la clé, ça ne se refuse pas », confie Jamel El-Ayachi, principal du collège du Mas-d’Azil, en reconnaissant avoir « un peu sous-estimé » le manque d’enthousiasme au sein de son établissement. Lui comptait beaucoup sur la « belle dynamique » engagée depuis deux ans, avec, entre autres, quatre modules interdisciplinaires proposés en 5e et 4e – patrimoine, sciences et techniques, arts et lettres, et mémoire et citoyenneté. « On expérimente déjà, me suis-je dit un peu naïvement, pourquoi ne pas pousser plus loin la logique ? » C’était sans compter les réactions en salle des professeurs, qui l’ont obligé à renoncer à trois EPI sur quatre pour se concentrer sur l’aide personnalisée. « Il me fallait bien calmer les esprits », conclut-il.

« Impulser le changement »

 

A 30 kilomètres de Toulouse, le principal du collège de Noé reconnaît, lui aussi, que l’initiative est effectivement partie de lui… mais qu’elle a trouvé un « vrai écho » auprès des deux tiers des enseignants. « Les petits chefs, c’est l’éternelle accusation qui nous est faite, et elle n’est pas toujours dénuée de fondements, témoigne Olivier Henry, mais c’est aussi notre rôle de piloter la réforme, d’impulser le changement… La décision d’expérimenter ne vaut rien si elle n’est pas relayée par l’équipe, le collectif. »
Dans son gros collège – 620 élèves –, quatre EPI verront bientôt le jour – corps et santé, et langues et cultures étrangères, notamment. Mais rien sur le latin, pourtant au cœur des polémiques, alors même qu’une soixantaine d’élèves de 5e débuteront l’option en septembre. « Quand viendra l’heure de la généralisation de la réforme, dans un an, ils choisiront l’EPI dédié, je ne suis pas inquiet », affirme ce principal, sûr de « pouvoir aussi conserver des heures pour l’option » latin, quand les enseignants de lettres classiques pronostiquent pourtant sa disparition.
Dans le Gers, au collège de Condom – 450 élèves –, deux EPI doivent être prêts en septembre : l’un sur la découverte de l’entreprise, l’autre sur la fabrique du citoyen, raconte la principale. Pour les prendre en charge, des enseignants sont « porteurs, volontaires, intéressés », assure Annette Simonot. La jeune femme raconte avoir, à l’origine, lancé l’idée en direction des professeurs d’histoire-géographie – ceux qui étaient impliqués dans l’heure de découverte professionnelle supprimée en 3e avec la réforme –, et de leurs collègues d’arts plastiques. « Aujourd’hui, j’ai presque plus d’enseignants volontaires que d’heures à octroyer aux EPI, conclut Mme Simonot. Cette histoire d’expérimentation imposée, ça ne tient pas… Vue la difficulté à mettre en place ce type de démarche, ça ne saurait venir d’en haut. »

Course contre la montre

 

La rapidité – « l’urgence », disent les syndicats – avec laquelle les expérimentations sont lancées est sans doute pour beaucoup dans l’inquiétude perceptible sur le terrain. C’est le 20 mai, au lendemain de la mobilisation nationale contre la réforme du collège (30 % de grévistes de source ministérielle), que le décret et l’arrêté d’application de la réforme ont été publiés. Ce même 20 mai, la rectrice de l’académie de Toulouse, Hélène Bernard, a présenté le dispositif des « collèges pionniers »… et restitué les premiers résultats de l’expérimentation de la LV2 dès la 5e sur lesquels les professeurs de langues émettent des réserves.


« Est-ce qu’on n’inverse par l’ordre des priorités ?, interroge Laure Peskine, porte-parole de l’Association des professeurs de langues vivantes. Ne faudrait-il pas prendre le temps d’écouter les enseignants, d’évaluer ce qui est déjà mis en œuvre, avant d’avancer d’un cran ? » La course contre la montre est engagée pour Mme Vallaud-Belkacem : il reste à la ministre de l’éducation nationale deux rentrées scolaires avant la présidentielle de 2017 pour mettre en musique la « refondation » promise.

Source : Journal Le Monde, 06/07/2015, Mattea Battaglia.

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