vendredi 17 juillet 2015

Les idées des profs pour réformer le bac

Eux aussi entendent à chaque session du baccalauréat la petite musique « anti-bac ». Un examen que l’on dit bradé, coûteux, voire inutile. On les écoute peu, pourtant, quand il est question de réfléchir à l’avenir de cet examen bicentenaire, alors qu’ils sont sans doute les mieux placés pour avancer des idées, eux qui le préparent, le surveillent et le corrigent. Le Monde a donc demandé à ses lecteurs professeurs quel serait, selon eux, le « bon bac ». Dans la cinquantaine de réponses reçues, c’est moins une remise en cause du baccalauréat qu’une volonté de lui redonner du sens qui transparaît. Redéfinir son rôle, son niveau d’exigence, ses épreuves : pour beaucoup d’enseignants, une refonte du bac ne peut pas faire l’économie de ces trois débats.


Epreuve de philosophie lors du bac 2014, à Paris.
Épreuve de philosophie lors du bac 2014, à Paris. FRED DUFOUR / AFP
C’est une spécificité française que tous les profs – ou presque – mettent en avant : le baccalauréat sanctionne la fin des études secondaires mais constitue aussi le premier grade universitaire. Or si un jeune sur trois seulement décrochait le diplôme il y a tout juste trente ans, l’objectif fixé en 1985 par le ministre de l’éducation de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, de porter « 80 % d’une génération » au niveau du bac, est désormais quasiment atteint. Si les résultats définitifs du bac 2015 devaient être connus samedi 11 juillet dans la soirée, on sait déjà que 78,8 % des candidats ont été reçus à l’issue du premier groupe d’épreuves. Et les mentions sont désormais légion. « Pour arriver à ce résultat, une seule option rapidement efficace : réduire drastiquement les exigences, commente Olivier Lame, enseignant-chercheur à Lyon. Et c’est ainsi que des cohortes de bacheliers fragiles vont se fracasser sur les premières années de facultés. »

 
« Tout le monde sait que la sélection s’effectue après, dans le supérieur »
Faut-il renforcer le bac ou l’adosser à une sélection à l’université ? Eternel débat qui tiraille les professeurs. « Rétablissons un véritable examen sélectif, plaide David Fabert, enseignant d’histoire-géographie dans un lycée de Créteil, et mettons fin à cette pantalonnade qui veut faire croire aux Français que nous amenons réellement [tous ces élèves] à un tel niveau… alors que tout le monde sait – parents, élèves, enseignants – que la sélection s’effectue après, dans le supérieur. » Pour ce professeur, il y a urgence à « revenir » à une notation juste, à « rétablir » des notes éliminatoires.

« Vanité pure »

 

C’était là l’une des pistes mises en avant par les inspections générales dans un rapport sur l’organisation du baccalauréat présenté en mars 2012. « Ce n’est qu’en ayant un niveau d’exigence correct, et une sanction ferme de l’erreur, que cet examen retrouvera une valeur », affirme aussi Mathieu (il a souhaité rester anonyme), 29 ans, enseignant en classe prépa en Ile-de-France. Qui pose la question qui fâche : « Quel professeur ne fait pas le constat que les filières générales sont peuplées d’élèves qui auraient fait d’excellents techniciens, perdus dans des disciplines qui ne les intéressent pas et où parents et ministres les forcent à entrer par vanité pure ? »
Nostalgiques, les professeurs ? Réalistes, répondent-ils. Olivier Lame parle, lui, de « revenir à la base » : distinguer un bac général dit « études longues », plus « exigeant », d’un bac « études courtes » – de type bac pro – qu’il faudrait « rendre plus compatible avec les formations de type bac + 2 ». Pour d’autres, il faudrait séparer l’acquisition du bac du droit d’entrer à l’université. Jorge Caballé, retraité de l’enseignement privé, propose un système sur le modèle de la « selectividad » espagnole. Soit un examen post-bac attribuant à chaque élève un « niveau de note » correspondant, ou non, à celui requis par les formations du supérieur. Cela aurait l’avantage de « dédramatiser le bac » selon lui, en le cantonnant à un « certificat de niveau d’études secondaires », et ainsi de faciliter les débats sur l’évolution de ses modalités de passage.

Bac à la carte

 

Peut-on s’étonner que le débat sur le contrôle continu divise la communauté éducative ? « Ne tombons pas dans le piège du contrôle continu, que j’ai vu massivement à l’œuvre en Grande-Bretagne, avec de graves problèmes d’équité et de fraude, prévient Yann Desdevises, enseignant d’anglais dans un lycée de Nantes, qui défend l’évaluation par compétences. Seules les épreuves terminales, parce qu’elles sont anonymes, sont à même de garantir la valeur de cet examen,en permettant au correcteur de se défaire de ses a priori sur les candidats – en bien comme en mal… » 

Une petite minorité d’enseignants n’exclut pas une quasi-suppression de ce rite républicain
Alors qu’un tiers seulement des Français se disent attachés au bac « tel qu’il est » actuellement, selon un sondage BVA-Orange-i-Télé effectué fin juin, une petite minorité d’enseignants n’exclut pas une quasi-suppression de ce rite républicain. Un bac à la carte ou un bac modulaire ? Quelques-uns l’envisagent pour favoriser l’implication des élèves. « En entrant en terminale, les élèves pourraient choisir les matières – et leurs coefficients – qu’ils présenteraient au bac, leur conférant ainsi le poids qu’ils estiment en fonction de leurs capacités, propose Thierry Poinot, professeur d’histoire-géographie dans le Jura. Nous pourrions ainsi avoir un bac choisi et non plus un bac subi, ce qui permettrait de relever le niveau. »

 
Ainsi le bac ne serait plus un verrou, mais permettrait une poursuite d’étude « plus ciblée », comme le dit Patrice Ligereau, professeur de biotechnologie au Mans. Olivier (il a souhaité rester anonyme), professeur de mathématiques en collège, défend, lui, une bonne dose de QCM, ces questionnaires à choix multiples qui « contrairement à ce que pensent souvent les Français, ne sont pas un test au rabais ». 40 % de bonnes réponses, ou 80 %, « n’est-ce pas plus précis qu’une moyenne de 12/20 au baccalauréat, qui noie les résultats » ? Un résultat qui ne parle pas aux établissements de l’enseignement supérieur et qui ne dit rien des fragilités ou des forces du candidat.
Source : Journal Le Monde, 11/07/2015, Séverin Graveleau & Mattea Battaglia.

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