jeudi 25 février 2016

Au Brésil, le virus Zika suscite peur et défiance

Voilà trois semaines que Mariana Cassandra a accouché d’une petite fille. En bonne santé. Après des mois d’angoisse, la peur du virus Zika, pourtant, ne l’a pas quittée. « Je tente de contrôler mes nerfs », explique-t-elle. Calfeutrée dans son appartement de Sao Paulo, au Brésil, l’entrepreneuse trentenaire ne sort que rarement et jamais sans l’une de ses cinq bombes anti-moustiques dans le sac. « J’habite près d’un parc », dit-elle en guise d’explication. Son mari n’est guère plus serein. « Il a toujours une tapette à la main pour tuer les moustiques sur son chemin », rit-elle.


Elégante bourgeoise, résidente du quartier chic de Jardim Paulista, Mme Cassandra était enceinte de plus de cinq mois quand le Brésil a commencé à s’effrayer de l’explosion du nombre de microcéphalies (trop petite taille du cerveau et du périmètre crânien) chez les nourrissons dans le Nordeste du pays. Une malformation congénitale suspectée d’être liée à une contamination par le virus Zika durant la grossesse. Le mal, transmis par la piqûre du moustique Aedes aegypti, également responsable de la dengue et du chikungunya, s’attaquerait au système nerveux central. Sans conséquence chez la plupart des adultes, il est toutefois soupçonné de provoquer, plus rarement, le syndrome de Guillain-Barré, entraînant des paralysies pouvant conduire à la mort.
Assez pour que Mariana Cassandra s’affole des possibles conséquences d’une infection pour le développement de son nouveau-né et de son autre enfant de 3 ans. « On sait tellement peu de chose sur cette maladie, il vaut mieux faire attention », explique-t-elle.
« Le virus Zika est devenu un monstre médiatique, avec son lot de désinformations », souffle le docteur Ariel Levy, pédiatre et immunologue à Sao Paulo. Chaque jour, le spécialiste reçoit entre huit et dix messages de mères inquiètes, comme Mme Cassandra, des conséquences du virus sur les enfants de moins de 7 ans. Il explique que la probabilité d’une infection grave est faible mais qu’il faut se méfier de Zika comme de la dengue et du chikungunya.

Congélation d’ovules

Dans la mégalopole brésilienne, comme dans le reste du Brésil, règnent la peur et la défiance. Nombre de femmes retardent leur projet de grossesse. « Celles qui le peuvent, congèlent ovules ou embryons dans l’attente d’un vaccin », rapporte Alfonso Araujo Massaguer, gynécologue obstétricien dans la clinique d’aide à la procréation Engravida, à Sao Paulo.
Les autres, en dépit d’une chaleur écrasante, revêtent pantalons et tenues à manches longues, parfois même des bas. A défaut de climatisation, les ventilateurs fonctionnent sans interruption dans les bureaux ou les maisons. Les femmes enceintes ne sont pas les seules à se ronger les sangs. « Tout le monde est inquiet », observe Sergio Bocalini, biologiste et porte-parole de l’Aprag, l’association des entreprises de contrôle de parasites. En témoigne le bond des interventions de l’Aprag contre les moustiques en janvier. Loin de s’en réjouir, M. Bocalini redoute que les Brésiliens ne cèdent à la panique, aspergeant leurs résidences de produits chimiques toxiques en faisant appel à des sociétés peu sérieuses.
En quelques mois, la maladie s’est propagée dans le pays à une vitesse terrifiante, envahissant, aussi, les esprits. Le virus Zika a affecté plus d’un million et demi de Brésiliens depuis 2015. Et selon les données divulguées mardi 23 février par le ministère de la santé, 4 107 cas de microcéphalies suspectes ont été recensés dans le pays entre le 22 octobre 2015 et le 20 février 2016 auxquels s’ajoutent 583 cas où une contamination par Zika a été confirmée.

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/02/25/le-bresil-au-temps-du-zika_4871147_3222.html


Négligence du gouvernement

Les équipes médicales travaillent pour prouver scientifiquement et indubitablement le lien entre ces malformations et le virus. Mais pour l’heure, le Brésil vit dans une angoisse mêlée de doutes, sans savoir si le maudit moustique est le seul vecteur de la maladie : le virus a été détecté dans de la salive et les autorités sanitaires américaines s’interrogent sur une possible transmission par voie sexuelle. Un climat propice aux rumeurs et théories du complot. « Le virus Zika est un mystère. Nous essayons toujours d’obtenir des réponses », a reconnu mercredi Margaret Chan, directrice de l’Organisation mondiale de la santé, en visite à Recife, l’une des villes les plus touchées par les microcéphalies dans le pays, saluant le travail des équipes brésiliennes.
Dans le pays, le moustique est devenu l’ennemi public numéro un. Les maires, les gouverneurs et Brasilia rivalisent d’efforts pour exterminer l’Aedes aegypti, mobilisant l’armée pour fouiller les taudis des favelas comme les résidences des quartiers huppés à la recherche de larves nichées dans les récipients gorgés d’eau stagnante. « 85 % des foyers de moustiques se trouvent dans les habitations particulières », explique-t-on à la mairie de Sao Paulo. Dans la mégalopole, ravagée par la dengue qui a fait 25 morts en 2015 (863 dans tout le pays), les autorités tentent d’informer sans alarmer. « En insistant trop sur Zika, les gens pourraient relâcher leur attention contre la dengue », explique l’attachée de presse de la mairie. En dépit du battage médiatique sur le virus, « beaucoup ne savent pas que le même moustique transmet la dengue et le virus Zika », explique-t-elle.
La communication des autorités brésiliennes est ainsi depuis le début de l’épidémie souvent hésitante, parfois maladroite. Après avoir déclaré l’état d’urgence sanitaire nationale, en décembre, le ministre de la santé, Marcelo Castro, a multiplié les faux pas de communication. La méthode de comptabilisation des cas de microcéphalies suspectes a varié, compliquant la vision de l’évolution du problème. Enfin, la cohérence des données récoltées par les différents Etats brésiliens n’a pas été assurée. « Un festival d’incompétences », peste Artur Timerman, président de la Société brésilienne de dengue et d’arbovirus. « Le Brésil vit dans une inquiétude qui n’a rien de disproportionnée par rapport à la gravité du problème, dit-il, mais la négligence du gouvernement n’a fait qu’ajouter à l’angoisse ambiante. »

Le Monde, 25/02/2016.

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