samedi 20 février 2016

Violences policières, au-delà du droit ?


Les violences légales ne sont pas toujours légitimes. Mais il s’avère souvent délicat de tracer la frontière entre une intervention musclée, rendue nécessaire par une menace, et un abus de pouvoir.

Distinguer violence légale et violence légitime, lorsqu’il est question d’action policière, peut de prime abord sembler surprenant : la légalité n’est-elle pas précisément une condition sine qua non à ce que l’usage de la violence par la police soit légitime ? Lorsqu’un policier, par exemple, amène quelqu’un au sol pour le menotter, il agit en accord avec la loi. C’est ce qui garantit la légitimité de l’acte. À l’inverse, se pourrait-il que des formes de violences parfaitement légales soient considérées comme illégitimes ? Lors de l’intervention policière à l’occasion de la manifestation interdite du 29 novembre 2015 en préambule de la Cop 21, la violence déployée pour interpeller les manifestants était à n’en pas douter légale, mais nombreuses ont été les voix qui en ont contesté la légitimité.

 

Une question de contexte

 

La distinction entre légalité et légitimité n’est en effet pas toujours aisée. L’observation des dispositions du droit montre que la légitimité de la violence dépend très largement d’éléments qui ne sont pas établis a priori par le droit. Mentionnons-en deux : l’exigence d’opportunité, d’une part ; celle de proportionnalité, d’autre part. Le droit affirme que l’usage de la violence par la police doit être opportun, c’est-à-dire rendu nécessaire par les exigences particulières de la situation ; et il stipule par ailleurs que l’usage de la violence doit être fait dans de strictes conditions de proportionnalité au regard de la situation : l’intensité de la violence dépendrait donc du contexte (nombre de témoins, populations impliquées, unité policière concernée, etc.). Pour le dire autrement, le droit laisse les fonctionnaires de police juger des conditions opportunes pour recourir à la violence.
Voilà qui complique singulièrement l’équation violence légale/violence légitime. La preuve en est donnée par l’instruction des plaintes alléguant des violences illégitimes. Alors qu’elles représentent un tiers de l’ensemble des plaintes déposées auprès des services de contrôle interne de la police nationale, elles ne constituent qu’un très faible pourcentage des sanctions prises par l’institution. Et encore, la majorité des sanctions prises pour des faits de violence illégitime vise des violences commises par des policiers alors qu’ils se trouvent hors service, c’est-à-dire en dehors de tout périmètre légal de l’exercice de la violence.
Cet écart s’explique dans un premier temps par les difficultés que rencontrent les enquêtes conduites sur de telles allégations : il faut d’abord déterminer s’il y a bien eu violence et en avoir une trace incontestable (fournie, à Paris, uniquement par les unités médico-judiciaires de l’Hôtel-Dieu). Il faut ensuite mesurer dans quelle mesure cette violence est disproportionnée : car, à moins de violences particulières (un coup de tête, par exemple) ou d’une gravité extrême (cas – très rares – de tortures), la plupart des traces attestant les coups reçus ne permettent pas d’indiquer quand et comment ils ont été infligés. Une épaule peut avoir été luxée parce que le plaignant a résisté avec violence à l’interpellation, tout comme elle peut résulter de coups portés une fois le plaignant menotté : dans le premier cas, la violence est possiblement légitime, aucunement dans le deuxième. Mais pour établir le moment de l’exercice de la violence, il faut des preuves : des témoins, mais il y en a rarement ; des incohérences dans les versions des policiers auditionnés par les services de contrôle interne, mais elles sont tout aussi exceptionnelles. Souvent, le manque de preuves conduit les enquêteurs à conclure à un classement sans suite.

L’illégitimité sous-estimée

 

Il faut, pour comprendre le traitement réservé aux plaintes en matière de violence illégitime, ajouter à ces conditions d’enquête un autre élément : l’écart entre la violence exercée et sa légalité est globalement considéré comme minimal par les instances disciplinaires, comme n’étant pas susceptible de porter atteinte à la légitimité de l’usage de la violence. Disons-le plus prosaïquement : qu’un policier serre trop fort les menottes d’un interpellé, qu’il accompagne une clé de bras d’une claque au visage, ou qu’il pousse trop brutalement quelqu’un qu’il contrôle, et il se sera rendu coupable d’une violence illégitime, possiblement illégale si tous les éléments étaient portés à la connaissance de la justice ou des services d’enquête. Mais cette illégalité ne saurait être suffisante pour porter atteinte à la légitimité de l’institution elle-même, légitimité que les services disciplinaires cherchent à protéger. Les violences illégitimes sont moins couvertes qu’elles ne sont sous-estimées, considérées comme secondaires, à l’opposé d’autres déviances policières, corruption, dévoiements de la fonction policière, qui risquent de bafouer la figure publique de l’institution, et par là même sa légitimité.

(...)

Cédric Moreau de Bellaing
  
, 17/02/2016, Sciences Humaines.
 

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