vendredi 26 février 2016

Pourquoi les ados se font-ils mal ?

Les comportements autodestructeurs – anorexie, scarifications, mutilations – sont une façon pour l’adolescent d’agir sur sa vie. Des outils existent pour mieux les prévenir. L’adolescence se caractérise par un début d’autonomie, et donc par une nouvelle distance relationnelle aux parents. En ce sens, elle représente un puissant révélateur : l’adolescent met à l’épreuve ses propres ressources, c’est-à-dire ce dont il hérite de sa famille et de son enfance. Même s’il va bien, il voit vaciller son sentiment de sécurité interne, son image de lui-même, autrement dit sa confiance en lui et dans les autres. Les pathologies psychiatriques de l’adolescence, par les vulnérabilités qu’elles expriment, ne font que redoubler cet effet révélateur de l’adolescence normale.


Parfois apparaissent des conduites qui paraissent inhabituelles à l’entourage : le retrait, l’évitement subi des liens habituels, le dénigrement de soi, de ses compétences ainsi que toutes les formes d’attaque du corps qui vont des accoutrements provocants jusqu’aux scarifications en passant par la trichotillomanie (l’arrachage compulsif de ses poils) ou l’anorexie mentale ; la tentative de suicide en étant la forme extrême.

Menace sur le territoire

 

Les apprentissages scolaires sont également une voie privilégiée d’expression : basculement soudain d’une réussite en son contraire. Il en est de même de la qualité des relations sociales et notamment des liens avec les objets d’attachement privilégiés. On assiste à ce renversement plus ou moins brutal de la proximité et de la dépendance affective en son contraire avec souvent un caractère ostentatoire et provocant qui désarçonne les parents et les déçoit. Déception que l’adolescent semble tout faire pour renforcer en se montrant de plus en plus difficile…
Les facteurs déclenchant de ces conduites sont souvent difficiles à cerner. La puberté en elle-même est un facteur, en ce sens où elle correspond à une variation de la relation à quiconque représentait jusque-là un repère ou un appui : parents, mais aussi professeurs, amis, etc. L’adolescent peut alors se sentir « débordé » par les autres, ou, en miroir, confronté à une menace de soumission aux autres. Si ces ressources, conjuguées aux soutiens environnementaux de l’adolescent, sont insuffisantes pour contenir la tension que cette situation fait peser sur son équilibre psychique, il peut survenir un douloureux vécu d’impuissance.
À ce vécu d’impuissance, l’adolescent répond comme l’animal qui perçoit une menace sur son territoire. L’être humain considère comme son « territoire » tout ce à quoi il confère une valeur : sa famille, ses croyances, mais aussi bien son club de foot, sa bande de copains, etc. Quand il se sent menacé sur ce territoire, il a tendance à vouloir reprendre activement la main sur ce qu’il a eu le sentiment de subir. Il éprouve la nécessité de se percevoir à nouveau comme acteur de sa vie, afin d’éviter l’effondrement ou la désorganisation. La destructivité est la forme la plus accessible de cette maîtrise. Si le plaisir et le succès sont toujours aléatoires, comme tout ce qui est de l’ordre de la vie, car ils dépendent de la réponse des autres, le déplaisir, l’échec provoqué et l’autodestruction sont toujours sûrs, surtout quand on les provoque soi-même. Plutôt s’infliger soi-même ce que l’on craint de subir que de se le voir imposer par autrui. Ce n’est pas un choix mais cela peut devenir la tentation d’en faire ce que le psychanalyste américain Erik Erickson appelait une « identité négative ».

Anesthésique émotionnel

 

Toutes ces conduites ont également en commun de prendre la forme d’une amputation d’une partie des acquis et des potentialités dans l’un des trois champs nécessaires au développement : le corps, les apprentissages, la sociabilité. Les scarifications en sont un exemple caricatural. Si l’on demande à ces jeunes filles pourquoi elles se scarifient, elles ont beaucoup de peine à trouver une réponse sauf, en fin de compte, le fait que ça les soulage – c’est là la clé de ce type de conduites. Ce n’est pas un choix de leur part mais bien une contrainte subie, à laquelle elles tentent dans un second temps d’adhérer ou même de considérer comme un choix délibéré.
Pourquoi cette adhésion voire cette appropriation de ces conduites ? Parce qu’elles apportent un soulagement et rassurent ces sujets. Pourquoi ce soulagement ? Parce que le moi retrouve ainsi un rôle actif face à la menace de débordement.
En revanche, si quelqu’un d’autre cherche à imposer à l’adolescent ce qu’il s’inflige lui-même, la réaction est immédiatement inverse : il se révolte, crie à l’injustice, se pose éventuellement en victime.

(...)

Philippe Jeammet, 22/02/2016.


Lire la suite de l'article sur le site internet de la revue Sciences Humaines : http://www.scienceshumaines.com/pourquoi-les-ados-se-font-ils-mal_fr_35794.html

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire