lundi 25 décembre 2017

Les Etats-Unis abrogent la neutralité du Net. Au fait, qu’est-ce que c’est ?

Le régulateur américain s'est prononcé pour la fin de la neutralité du Net. Un enjeu démocratique crucial. De quoi s'agit-il ?

Lorsqu’il était candidat à la présidence, en 2000, Al Gore s’était targué d’avoir contribué à "créer internet" ; il exagérait un chouïa. Donald Trump, lui, pourra se vanter légitimement de l’avoir tué. Du moins tel qu’il avait été imaginé : un réseau complètement ouvert et neutre, c’est-à-dire ne favorisant personne. Ce jeudi, la Commission fédérale des communications (FCC), régulateur américain du secteur, s'est prononcée pour la fin du principe de "neutralité du Net" aux Etats-Unis, telle qu’elle avait été définie par la même autorité de régulation sous Barack Obama.

Sous la pression de quatre grands opérateurs (ATT, Charter, Comcast et Verizon) l’obligation selon laquelle tous les contenus doivent circuler à la même vitesse et sans discrimination devrait ainsi finir aux oubliettes, pour laisser place à un internet à plusieurs vitesses. Dès son arrivée à la Maison Blanche, Trump a en effet nommé à la tête de la FCC un nouveau boss pour cette basse besogne : Ajit Pai. Et cet ancien lobbyiste de la compagnie de téléphone Verizon, a aussitôt promis de "nettoyer au Karcher" les réglementations précédentes.  

La fin d'une utopie libertaire

Cette décision fera-t-elle tache d’huile en Europe ? On peut souhaiter que non, et l’UE reste attachée au principe de non-discrimination des utilisateurs, qu'elle a inscrite dans un règlement il y a deux ans. Mais déjà, les grands acteurs des télécoms s’activent. Stéphane Richard, le patron d’Orange, n’a-t-il pas déclaré ce lundi sur BFM Business qu’un internet à deux vitesses devenait une "obligation"  ? Selon lui,  "certains usages, comme l'internet des objets, la voiture autonome (...) vont nécessiter des internets particuliers en termes de latence, de vitesse".
En France, l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques) veille au grain. Dans l’Obs, son président Sébastien Soriano explique qu’il craint "un effet de contagion" :
“Cela va certainement réveiller la volonté des opérateurs européens d’être moins régulés. Mais il serait suicidaire pour l’Europe d’emboîter le pas aux Etats-Unis ! J’invite les responsables européens à rester très clairs sur les valeurs de la société numérique que nous voulons construire.” Le sujet est crucial en termes de libertés publiques. Internet a été imaginé comme un bien commun, qui ne peut être organisé pour servir des intérêts particuliers, comme  c’était par exemple le cas avec les chemins de fer privés aux XIXe siècle. Vit-on les dernières heures de cette utopie libertaire ?

1. La neutralité, qu’est-ce que c’est ?

Internet est un espace ouvert et libre. Cette ouverture est source de créativité, d’innovation - et donc de croissance économique. C’est en cela que la neutralité du Net est considérée comme précieuse : elle garantit que le réseau ne peut opérer aucune discrimination en fonction des émetteurs des contenus qui y sont diffusés, de leurs récepteurs et de la nature des contenus elle-même. Supprimer la neutralité du Net, "cela revient à la fois à mettre un videur à l’entrée de la boîte de nuit et à faire payer à la tête du client", résume Sébastien Soriano.

 Deux comparaisons pour comprendre :
  • Imaginez une autoroute gratuite. Tout à coup, sous la pression de groupes de transport privés, une des files deviendrait payante : une voie "express". Tous les autres véhicules seraient relégués sur les deux autres files, et rouleraient alors plus lentement.
  • Pour mieux  réguler son trafic, la RATP réserverait ses métros entre 17h30 et 19 heures aux seuls travailleurs. Les habitants qui voudraient emprunter le métro pour faire leurs courses ou rendre visite à des amis ne pourraient le faire que dans l’après-midi.

(...)

Article intégral en ligne : https://www.nouvelobs.com
Nouvel Observateur, 14/12/2017.

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