vendredi 1 décembre 2017

Quand les ONG dessinent un système éducatif parallèle

Diverses organisations ont mis en place des méthodes adaptées aux enfants à la scolarité en pointillé. Dans les camps de réfugiés ou ailleurs.


Et si on apprenait l’alphabet avec les mains, en modelant des A et des B dans de l’argile ? Et si c’étaient les « grands » qui transmettaient ce qu’ils ont compris aux plus jeunes ? Avec ces techniques, en Ethiopie, les Speed schools ont déjà permis à 100 000 enfants non scolarisés de rattraper, en un an, l’équivalent de trois années scolaires. Cela a valu à la fondation d’être finaliste des Wise Awards 2017.
Comme des centaines de projets d’associations, l’initiative sort des sentiers battus de la pédagogie et réconcilie avec l’école des garçons et filles qui semblaient perdus pour la cause. « Dans le monde, 264 millions d’enfants ne sont pas scolarisés, notamment les filles, les enfants entrés trop tôt dans le monde du travail et ceux qui sont affectés par un conflit », rappelle Morgan Strecker, spécialiste de l’éducation à l’Unicef. Rigides et manquant de moyens, les systèmes étatiques peinent à accéder à ces publics – et encore plus à adapter l’école à leurs besoins. L’Unicef soutient ainsi un projet mené par Caritas au Liban, en Palestine et bientôt au Bangladesh avec les réfugiés du Myanmar. A travers des jeux simples, comme fabriquer une voiture avec des bouteilles ­vides, The Essence of Learning aide à ­recréer un lien avec l’enfant traumatisé, lui donne confiance en lui et le remet sur la voie de l’apprentissage.

Livret d’apprentissage modulable

C’est le même souci de l’adaptation qui guide les enseignants des Escuelas Nuevas (« écoles nouvelles ») de Vicky Colbert, lauréate du prix Wise 2013, cette fois dans la Colombie rurale. Nombre d’enfants y manquent plusieurs semaines de classe chaque année pour aider leur famille lors des récoltes. « Le système éducatif rigide expulse ces élèves et les fait redoubler ! Nous, on pense que c’est au système de s’adapter », affirme Carlita Arboleda, d’Escuela Nueva. Avec des livrets d’apprentissage modulables, en élaborant le savoir au lieu de le recevoir du professeur, les ­enfants assimilent les connaissances à leur propre rythme. La sociologue qui a créé cette méthode il y a quarante ans ­visait les écoles de campagne où plusieurs niveaux cohabitent dans la même classe. Mais l’absentéisme, le redoublement et le décrochage ont tellement chuté que le gouvernement a étendu ­l’expérience à toute la Colombie. Plus de 15 pays, de la Zambie au Timor-Oriental, ont depuis adopté le modèle.
« Il y a un manque de moyens des Etats mais parfois aussi de volonté, car éduquer intelligemment ces enfants pauvres n’est pas leur priorité »
Innovantes dans leur pédagogie, ces structures mènent aussi un travail de fourmi sur le terrain pour changer l’état d’esprit des familles. « En Inde, pour les communautés, une fille de 10 ans est trop âgée pour aller à l’école, elle doit être ­mariée », rappelle Safeena Husain. Elle-même élevée dans le patriarcat et la pauvreté, elle a créé Educate Girls (« éduquer les filles »), qui, en dix ans, a remis 200 000 fillettes sur le chemin de l’école. Le secret ? Une armée de 10 000 volontaires qui rencontrent les familles en faisant du porte-à-porte puis offrent des cours de rattrapage aux nouvelles élèves.

De l’Ethiopie à l’Inde, tous ces acteurs ­disent l’importance de travailler avec les gouvernements, notamment pour ­influencer peu à peu le système. « Il y a un manque de moyens des Etats mais parfois aussi de volonté, car éduquer intelligemment ces enfants pauvres n’est pas leur priorité », souligne Frédéric Boisset, président de l’association SEED, qui soutient des associations d’éducation alternative dans les pays en développement. L’une d’elles est Jiwar (« voisinage »), qui agit dans les quartiers défavorisés de Rabat ou de Salé, au Maroc. Elle s’installe dans les locaux des écoles et propose l’équivalent de classes maternelles gratuites, inexistantes dans le public. Sur les 3 500 enfants passés par ces maternelles solidaires, 90 % sont toujours scolarisés. Surtout, les activités sont axées sur l’ouverture au monde et la tolérance ; une façon de ­contrer l’influence des islamistes, très présents dans le préscolaire.

Source : Le Monde, 15/11/2017.
Article intégral en ligne : http://www.lemonde.fr

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