mercredi 9 décembre 2020

Laïcité : cinq idées reçues sur un mot qui déchaîne les passions

Docteur en science politique, Eric Vinson est spécialiste des rapports entre démocratie et spiritualité. Il décrypte ce terme qui fait l’objet de tant d’interprétations, conceptions, de discussions.

Rarement un mot aura fait l’objet de tant d’interprétations, de conceptions, de discussions et de passions. Décryptage.

Trois activistes féministes placardent des affiches d’un dessin de Charb pour former le mot « Laïcité » à Montreuil, octobre 2020.

  • « La laïcité, c’est les Lumières et la Révolution »

Les acteurs de la IIIe République qui élaborent la laïcité se réfèrent constamment à un certain XVIIIe siècle, antiabsolutiste et antiobscurantiste. Cependant, vastes et complexes, les « Lumières » sont loin d’être toujours antireligieuses. Fervent anticlérical, Voltaire réprouve pourtant l’athéisme ; et le chrétien Rousseau met la religion au centre de sa cité démocratique.

Quant à la Révolution, elle proclame, en 1789, « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] » [Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, art. 10] et institue l’état civil, le mariage civil et le divorce, acquis laïques fondateurs. Mais elle célèbre aussi l’unité nationale par la messe grandiose de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790 (origine de notre actuelle fête nationale). Et divise l’Eglise catholique en cherchant à la contrôler par « la constitution civile du clergé », d’où un rejet violent du nouveau régime, des persécutions anticatholiques et une guerre civile.

Enfin, elle crée des cultes d’Etat, celui de la Déesse Raison ou de l’Etre Suprême – lequel est toujours inscrit dans notre bloc constitutionnel, à travers la Déclaration de 1789.

  • « La France est une République laïque »

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », stipule en effet la Constitution de 1958 (art. 1er), ces adjectifs étant inséparables. Le même article poursuit : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Si l’on pense néanmoins que la laïcité, c’est d’abord la séparation des religions et de l’Etat, on s’étonne que le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, la Moselle et la Guyane (ainsi que certains Territoires d’Outre-Mer) ne l’appliquent pas. Ces départements ne respecteraient-ils pas la laïcité, c’est-à-dire la Constitution ? Tel n’est pas l’avis du Conseil constitutionnel en date du 21 février 2013… La laïcité – ou plus précisément, « le droit des cultes » – se déploie donc selon plusieurs régimes juridiques. Au nombre de huit, ces derniers ajoutent au « régime général » familier sept autres, particuliers, qui n’impliquent pas tous la séparation de l’Etat et des religions. Enfin, de certaines, puisque ces régimes ne les financent pas toutes à égalité.

  • « La laïcité, c’est la loi de 1905, séparant l’Eglise et l’Etat »

La fameuse loi de 1905 constitue un moment clé de la longue histoire de la laïcité ; mais celle-ci ne commence, ni ne se cristallise définitivement avec ce texte, forcément daté. Il ne contient d’ailleurs même pas le mot « laïcité », encore moins une définition de celle-ci… pas plus qu’aucun autre texte officiel législatif ou réglementaire !

(...)

Source : Le Monde.fr, 09/12/2021.
Article intégral en ligne : https://www.lemonde.fr

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