mardi 8 décembre 2020

Emploi : l’e-commerce au banc des accusés

Selon une nouvelle étude, 82 000 postes ont été détruits en France en dix ans à cause des plates-formes de vente en ligne. 

Combien l’e-commerce crée-t-il d’emplois ? N’en détruit-il pas aussi en parallèle ? La somme est-elle positive ? Ces questions sont sensibles et encore ravivées par le reconfinement, qui a fermé des commerces physiques mais laissé ouverts les sites de vente en ligne comme Amazon. Ce vendredi 4 décembre, à l’occasion du « Black Friday », une étude conclut à un effet plutôt négatif en France : entre 2009 et 2018, l’e-commerce aurait détruit 82 000 emplois, avec 114 000 suppressions nettes dans le commerce de détail non alimentaire et 32 000 créations dans le commerce de gros. D’ici à 2028, 46 000 à 87 000 autres emplois pourraient être détruits, en fonction de la progression de la vente en ligne.

Cette analyse a été menée par Ano Kuhanathan, économiste passé par le cabinet de consultants EY et l’assureur Axa, et Florence Mouradian, consultante et ex-économiste de l’OCDE. Menée sur sept pays, l’étude a été financée par la députée européenne de La France insoumise Leïla Chaibi, sur une idée des Amis de la Terre, une ONG écologiste engagée, comme l’élue, dans une campagne contre l’expansion d’Amazon.

A Lauwin-Planque (Nord), le 26 novembre 2020.

 

Habillement et chaussures

« En théorie, la vente en ligne détruirait des emplois dans les magasins physiques mais en créerait en amont et en aval de l’acte d’achat, par exemple dans le commerce de gros ou la livraison, expliquent les auteurs, citant le concept de “destruction créatrice” théorisée par l’économiste Joseph Schumpeter. Mais au total, il semblerait que le secteur arrive à opérer avec globalement moins de ressources. » L’habillement et les chaussures seraient les plus touchés. Ainsi que les petits commerces : les sociétés de plus de 250 salariés auraient quant à elles connu 14 000 créations nettes.

Evaluer de façon définitive les effets de la vente en ligne sur l’emploi est très difficile. M. Kuhanathan et Mme Mouradian ont utilisé un modèle économétrique pour calculer si le taux de pénétration de l’e-commerce avait une corrélation statistique avec le niveau d’emploi dans le commerce en général.

Patrick L’Horty, professeur à l’université Paris-Est, souligne que la baisse des prix liée à l’e-commerce pourrait faire monter la consommation et donc l’emploi

Certains résultats peuvent surprendre : l’Allemagne n’aurait connu que 3 000 destructions dans le commerce de détail. Les auteurs l’expliquent par la plus forte proportion d’entreprises de taille moyenne outre-Rhin. Autre limite importante : alors que l’e-commerce crée en principe des emplois de livreurs, les calculs n’ont pas permis d’isoler un « impact significatif » sur le secteur du transport de marchandises. Cela peut-être dû, selon les auteurs, à un effet trop faible ou au fait que certains chauffeurs, autoentrepreneurs ou travailleurs détachés étrangers, échapperaient aux statistiques.

Cette étude n’est toutefois pas la première à souligner le versant destructeur de l’e-commerce : aux Etats-Unis, l’assureur Euler Hermes pointait en juillet 670 000 destructions d’emplois dans le commerce physique depuis 2008 et en prévoyait 500 000 de plus d’ici à 2025. En avril 2019, une étude la banque UBS anticipait, elle, 75 000 fermetures de commerces américains d’ici à 2026, si la part de l’e-commerce passait de 16 à 25 % (elle est de 10 % en France). En Europe, une étude italienne avait début 2018 décelé un effet plutôt négatif sur l’emploi, alors qu’une autre concluait à une influence positive, mais entre 2002 et 2010. Enfin, l’ex-secrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi a tenté fin 2019 un calcul sur Amazon France, affirmant qu’un emploi en détruisait jusqu’à 2,2. Un chiffre vivement contesté par l’entreprise.

Le spectre de la robotisation

Amazon revendique, lui, 9 300 emplois directs créés en France. Et 13 000 emplois indirects chez les 11 000 entreprises tierces françaises qui vendraient des produits sur sa plate-forme. Amazon parle aussi de « 110 000 emplois indirects » dans sa chaîne de production mais y agrège aussi bien la livraison et le fret que la construction, la restauration, le nettoyage… Dans ses agences de livraison du dernier kilomètre, l’entreprise emploierait de 2 500 à 5 000 chauffeurs, chez des prestataires. Mais ce réseau ne gérerait que 30 % des colis d’Amazon, le reste étant confié à La Poste et à d’autres logisticiens. Au niveau mondial, Amazon affiche des recrutements record en 2020 : + 400 000 employés, portant le total à 1,1 million.

« Il est tout à fait possible que les entreprises subissant la concurrence directe des plates-formes d’e-commerce, plus productives et plus automatisées, subissent des pertes d’emploi à court terme », décrypte Stéphane Carcillo, directeur de la division emploi et revenus de l’OCDE. A long terme, toutefois, des concurrents pourraient « se mettre à niveau » tout en gardant leurs magasins physiques, croit l’économiste. Patrick L’Horty, professeur à l’université Paris-Est, souligne, lui, que la baisse des prix liée à l’e-commerce pourrait faire monter la consommation et donc l’emploi.

Alma Dufour, des Amis de la Terre, pense que la crise due au Covid-19, qui a précipité des fermetures chez Naf Naf ou André, peut « aggraver » la situation. D’autres pointent le spectre de la robotisation. Il semblerait toutefois difficile de supprimer la vente en ligne au nom de l’emploi… Pour Mme Dufour, il faudrait favoriser un e-commerce « rationalisé et compatible avec la transition écologique », par des petits commerces et PME français, avec des systèmes de livraison mutualisés. Il faut privilégier les « circuits courts », avait conseillé M. Mahjoubi il y a un an… en prévision de Noël.

 

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