lundi 14 septembre 2015

La maladie d’Alzheimer serait-elle transmissible ?

Quelques cas de transmission d’une anomalie d’une protéine, qui fait partie des caractéristiques de la maladie d’Alzheimer, semblent avoir été découverts pour la première fois dans le cerveau de personnes mortes, rapporte une équipe médicale londonienne sur le site de la revue Nature, mercredi 9 septembre. Ces malades avaient été victimes d’une forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob provoquée par un traitement, plusieurs décennies auparavant, avec l’hormone de croissance contaminée. Ces constatations ponctuelles doivent encore être confirmées par d’autres équipes.


Plusieurs maladies neurodégénératives partageraient des mécanismes analogues : l’accumulation dans le système nerveux central de protéines anormales. La démonstration en avait été faite pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob où la protéine prion, présente à l’état normal, devient infectieuse du fait d’une modification de sa forme. Depuis, des arguments concordant laissent entendre qu’il en irait de même avec les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Dans l’Alzheimer, l’une des caractéristiques est l’accumulation de la protéine ß-amyloïde, qui forme des plaques entre les neurones du système nerveux central.
Le scandale de l’hormone de croissance contaminée a montré qu’il pouvait exister au cours de certains actes médicaux une transmission d’agents infectieux dits non conventionnels puisque, à la différence des bactéries, des virus, des parasites et des moisissures qui ont en commun d’être des micro-organismes, ils ne sont pas dotés de matériel génétique.

Une patiente atteinte d'Alzheimer à New York en mars 2015.
Une patiente atteinte d'Alzheimer à New York en mars 2015. Richard Drew / AP

 

Le Monde, 10/09/2015, Paul Benkimoun

 

Autopsie de victimes de Creutzfeldt-Jacob

 

Avant 1985, l’hormone de croissance était extraite d’une glande reliée au cerveau, l’hypophyse, prélevée sur des cadavres. C’est ainsi que le prion pathologique s’est diffusé. Après cette date, elle a été remplacée par de l’hormone de croissance biosynthétique. Au niveau mondial, la contamination par le prion a déclenché des formes de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez 226 personnes traitées par de l’hormone de croissance en raison de leur petite taille.
C’est lors d’une étude par autopsie du cerveau de huit malades concernés par cette voie de transmission du prion que l’équipe de John Collinge et Sebastian Brandner (unité des prions, Medical Research Council, à Londres) a découvert des « dépôts substantiels de protéine ß-amyloïde dans le système nerveux central » chez quatre des huit patients et un foyer pathologique de la même protéine localisé dans une région du cerveau chez deux autres des malades.
Les auteurs de l’étude évoquent plusieurs arguments en faveur d’une transmission de l’anomalie à l’origine de la maladie d’Alzheimer. Tout d’abord, aucun de ces malades, morts à un âge compris entre 36 et 51 ans, ne présentait les mutations génétiques associées à des formes de maladie d’Alzheimer débutant de manière précoce (avant 60 ans).
De plus, la comparaison avec une série de 116 patients ayant d’autres maladies à prion ne mettait quasiment pas en évidence d’anomalies de la protéine ß-amyloïde chez ceux ayant le même âge ou plus âgés d’une décennie. Enfin, les chercheurs confirment une observation précédente selon laquelle la protéine ß-amyloïde peut former des dépôts dans l’hypophyse de patients atteints d’Alzheimer.

L’équipe britannique conclut : « Bien qu’il n’y ait pas d’indication que la maladie d’Alzheimer soit contagieuse et pas d’argument fourni par les études épidémiologiques sur le fait qu’elle soit transmissible, en particulier par transfusion sanguine, nos résultats devraient soulever des interrogations sur l’éventualité que d’autres voies de transmission du prion, y compris les instruments chirurgicaux et les produits sanguins, puissent concerner les germes de la protéine ß-amyloïde et autres anomalies protéiques vues dans les maladies neurodégénératives. »

Un petit nombre de malades étudiés

 

Venant d’une équipe réputée dans son domaine, la démonstration est-elle imparable ? Pas encore. « Cette observation ne concerne qu’un petit nombre de malades chez lesquels on ne retrouve pas une autre anomalie caractéristique de la maladie d’Alzheimer, les dépôts de “protéine tau” dans les cellules nerveuses. Surtout, du fait de l’âge auquel ces patients sont décédés, il est impossible de savoir s’ils auraient effectivement développé une maladie d’Alzheimer », tempère le docteur Stéphane Haïk, qui dirige l’équipe des maladies à prions et de la maladie d’Alzheimer à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris.
« Il n’y a pas eu de cas de maladie à prion liée à des actes médicaux depuis sept ans en France », explique Stéphane Haïk, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris
Egalement directeur du centre national de référence sur les prions, le Dr. Haïk souligne qu’il « n’y a pas eu de cas de maladie à prion liée à des actes médicaux depuis sept ans en France, du fait des mesures de sécurité qui ont été prises notamment pour modifier les procédures de désinfection du matériel chirurgical et neurochirurgical. Mesures qui pourraient bien avoir un effet positif à l’égard des autres maladies neurodégénératives impliquant des protéines anormales ».
A la suite de la publication de l’équipe londonienne, la professeure Sally Davies, équivalente du directeur général de la santé en France, s’est voulue rassurante : « Comme cette étude le précise elle-même, il n’y a pas de preuve que la maladie d’Alzheimer soit transmissible chez les humains, ni de preuve qu’elle puisse être transmise par un acte médical quelconque. »
Cependant l’incertitude sur la durée d’incubation de ces maladies rend difficile l’analyse et la quantification du risque que présenteraient les pratiques médicales passées dans le cas de la maladie d’Alzheimer. Les travaux britanniques appellent en tout cas des études similaires par d’autres équipes.

Le Monde, 10/09/2015, Paul Benkimoun

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