samedi 23 janvier 2016

Comment les inégalités hommes-femmes s’exercent-elles au travail ?

Par Margaret Maruani, directrice de recherche au CNRS, fondatrice du réseau Mage, Anne-Cécile Mailfert, représentante d’Osez le féminisme !, Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS et Jacqueline Laufer, sociologue, professeure émérite HEC.

Photo : Philippe Huguen / AFP


  • La multiplicité des rapports de domination par Isabelle Clair, sociologue, chargée de recherche au CNRS et Jacqueline Laufer, sociologue, professeure émérite HEC
323045 Image 1La division sexuelle du travail et de l’emploi est un objet de recherche central au sein du réseau Marché du travail et genre (Mage). C’est également un objet centralement étudié en France pour comprendre les rapports de domination entre hommes et femmes. Or les transformations qu’ont connues les mondes du travail et le mouvement social au cours des vingt dernières années obligent à s’interroger sur les contours et la place de cet objet de recherche pour comprendre les rapports de domination et les combattre. Nous assistons à des mutations du travail. Prenons quelques exemples contrastés issus de la table ronde que nous avions organisée pour le colloque des vingt ans du Mage. Tout d’abord, les emplois de « service à la personne » : massivement occupés par des femmes peu ou pas qualifiées souvent issues de migrations postcoloniales, ces emplois interrogent les notions mêmes de travail et d’emploi en raison de leur grande proximité avec le travail domestique et du morcellement extrême du temps de travail auquel ils exposent. À l’autre bout du spectre, on trouve du côté de l’ensemble hétéroclite des hackers une « éthique » du travail inédite, susceptible de contester les ordres hiérarchiques à l’œuvre dans l’entreprise : cette éthique conduit-elle à des transformations dans les rapports de domination entre hommes et femmes au travail ? Ou bien tend-elle à les perpétuer, sous de nouvelles formes ? Dans ces deux cas, comme dans d’autres, la précarisation de l’emploi ou la remise en cause de formes d’organisation anciennes oblige à renouveler les enquêtes ainsi que les catégories de pensée capables d’en rendre compte. L’approche dite « intersectionnelle » constitue à cet égard un renouvellement majeur en ce qu’elle permet de penser ensemble les oppressions multiples.
323045 Image 0On constate une multiplicité des rapports de domination. La recherche féministe, dont le Mage est en France l’un des principaux réseaux, s’est construite contre une pensée de la société exclusivement attentive aux rapports de classe : proche de théories critiques plus anciennes (marxistes notamment), elle a montré que le rapport social de sexe structurait un autre ordre hiérarchique fondamental, que la classe ne pouvait expliquer. Oublier le rapport social de sexe revenait à oublier « la moitié de l’humanité ». Le revendiquer, c’était contrer des décennies d’occultation dans la recherche en sciences sociales. Depuis, c’est la recherche féministe qui à son tour a été critiquée, en interne : parce qu’elle s’est souvent montrée aveugle à la couleur (et donc au rapport social structuré par le racisme), à la sexualité (et donc au rapport social structuré par l’injonction à l’hétérosexualité), à l’histoire coloniale de la France (et donc aux rapports sociaux structurés par la nationalité ou encore la religion), etc. Ces diverses interpellations, toujours en cours, portées dans la recherche à partir de voix émergentes dans le mouvement social, ont rendu plus difficile de seulement parler « des femmes », sans plus de précision ; elles ont mis l’accent sur les hiérarchies entre femmes et sur la multiplicité des rapports de domination à l’intersection desquelles se définissent les vies et se contestent les ordres existants. Prendre en compte cette multiplicité, c’est regarder les mondes du travail avec de nouveaux yeux, c’est mettre en lien des problèmes qui ne l’étaient pas jusqu’à présent, c’est faire émerger des figures et des expériences longtemps occultées dans l’analyse. C’est continuer à décloisonner une analyse du travail fondée sur les seuls rapports de production.

  • La division sexuelle nous renseigne sur notre société par Margaret Maruani, directrice de recherche au CNRS
323045 Image 2«Je travaille, donc je suis », tel est le titre du colloque que nous avons organisé le 4 décembre 2015 en Sorbonne. Mais c’est avant tout l’hypothèse fondatrice du réseau Mage et le fil conducteur de nos travaux depuis vingt ans : mettre le marché du travail au centre de la réflexion sur les rapports sociaux de sexe et la domination masculine. Car précisément la place des hommes et des femmes dans le monde du travail ne nous dit pas leur seule position professionnelle. C’est une clé pour comprendre le statut de l’un et l’autre sexe dans la société. Notre objectif n’a pas varié depuis vingt ans. Il pourrait se résumer en quelques mots : montrer les vertus heuristiques d’une lecture sexuée du monde du travail. Le prisme du genre n’est pas un supplément d’âme. En oubliant le genre, ce n’est pas seulement de l’information que l’on perd, c’est de la connaissance que l’on déforme. Au fond, nous défendons deux idées différentes mais indissociables : la pertinence durable de la question du genre pour l’analyse du monde du travail, d’une part ; la centralité du travail dans les sciences humaines et sociales, et en particulier dans les études de genre, d’autre part.
(...)

Lire la suite de l'article sur le site internet de L'Humanité : http://www.humanite.fr/comment-les-inegalites-hommes-femmes-sexercent-elles-au-travail-596133
Mercredi, 20 Janvier, 2016
L'Humanité

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire