samedi 23 janvier 2016

« J'ai été cobaye, et ce n'était pas pour la science »

Cathéters, piqûres, ingestion, examens... Ils ont accepté de se soumettre à des essais. Axel et Guillaume, 30 et 34 ans, sont deux des 55000 « volontaires sains » que Biotrial a déjà recrutés en vingt-sept années d'existence. Témoignages.

photo d'archive
Benoit Decout
Pourquoi devient-on cobaye et accepte-t-on d'ingérer des pilules dont on ne sait rien ou de se faire piquer à heures fixes ? « Pour moi, ce n'était pas pour la science, mais clairement pour le fric », explique Guillaume. En 2005, il a participé à un essai Biotrial à Rennes. Il a alors 24 ans et est étudiant en histoire. Après avoir entendu un spot publicitaire sur une radio locale pour devenir « volontaire sain, j'ai commencé à me renseigner, il y avait des tests rémunérés 2 800 euros (non imposables ­ NDLR) pour 15 jours d'hospitalisation. Je remplissais les critères, mais pour un premier, je me suis dit que c'était trop lourd. J'ai pris le Basic, payé 800 euros : deux jours hospitalisés chez Biotrial, puis retour chez moi avec une prise de sang à 7 h 50 tous les matins pendant une semaine, puis à nouveau deux jours chez Biotrial ». Avec lui, 23 autres volontaires dans une grande salle : des étudiants, un pompier, un chômeur. Arrêt de l'alcool et du chocolat un mois auparavant. « Il y a des formulaires longs comme le bras à remplir. C'est très sérieux. »
« En tant que cobaye, on ne sait pas grand-chose, même pas le nom du laboratoire. On nous dit à quoi va grossièrement servir la molécule, et les risques encourus. » Il n'a pas eu d'effets indésirables. « Mais je n'en menais pas large. Je faisais attention à toutes les réactions de mon corps. » Pendant l'hospitalisation, « je pouvais bouger, mais avec un cathéter et des prises de sang toutes les trois heures ». Il se souvient pourtant, alors qu'il se baladait dans les couloirs de Biotrial, d'un « mec confiné, seul dans une salle, branché à plein de machines. Ça fait flipper ». Axel, lui, est aujourd'hui médecin. Quand il a participé à deux essais, en 2007 puis 2009, il était étudiant en médecine. « Bien sûr que c'était pour l'argent. Pas pour faire avancer la recherche.
D'autres amis en médecine le faisaient aussi, mais à l'hôpital, ils étaient bien moins payés que moi chez Biotrial. » Il s'agissait de « tester la façon dont vivait le produit, l'élimination rénale du produit et la concentration sanguine. Les doses n'étaient pas thérapeutiques ». Quatre jours et trois nuits d'hospitalisation pour 700 euros. « Étudiant, ça valait le coup. »
Difficile, voire impossible d'affirmer qu'il n'y a pas eu de précédents aussi dramatiques en France. Les comptes rendus et résultats des essais cliniques ne sont pas accessibles dans leur immense majorité. John Virapen, l'ex-dirigeant des laboratoires Lilly (Prozac), rapporte dans « Médicaments effets secondaires : la mort », que les décès en cours d'essais cliniques aux États-Unis portent la mention « perdus de vue ». Et le nombre insuffisant de volontaires enrôlés ne permet pas d'établir avec certitude les effets indésirables potentiels. Deux accidents notables ont néanmoins été rendus publics. À Londres, en 2006, six personnes ont été placées en soins intensifs après l'essai d'un traitement contre la leucémie, la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques. L'une a dû être amputée des orteils et de certaines phalanges. En 1999, aux ÉtatsUnis, une jeune femme de 24 ans est morte alors qu'elle testait un médicament contre l'asthme.

PIA DE QUATREBARBES
Vendredi, 22 Janvier, 2016
Humanité Dimanche

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