vendredi 15 janvier 2016

La perpétuité réelle existe-t-elle en France ?

Patrick Henry, qui avait été condamné, en 1977, à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre d’un enfant de 7 ans, a obtenu, jeudi 7 janvier, du tribunal d’application des peines une libération conditionnelle, qui a aussitôt été suspendue après que le parquet a fait appel de cette décision.

Si Patrick Henry est potentiellement libérable – sa libération sera examinée prochainement devant la Chambre de l’application des peines – c’est que sa condamnation à perpétuité n’est pas une peine de prison à vie : elle n’est pas assortie d’une période de sûreté illimitée. Ce qui n’est pas le cas pour Pierre Bodein, Michel Fourniret et Nicolas Blondiau, les trois seuls détenus français vraiment condamnés « à perpète ».

A l'intérieur de la prison des Baumettes, en mars 2013, à Marseille.
A l'intérieur de la prison des Baumettes, en mars 2013, à Marseille.
ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Qu’est-ce que la perpétuité réelle ?

« Prendre perpète », l’expression est entrée dans le langage commun pour qualifier une peine de prison à vie. Enlevée du code pénal en juin 1791 par l’Assemblée constituante (« Nous devons, Messieurs, dire que les peines ne seront pas perpétuelles », avait lancé Pierre-Louis Prieur, député du tiers état), la prison à perpétuité a été rétablie dès 1810 dans le code mis en place par Napoléon Bonaparte. Mais le code pénal prévoit dans ce cas la possibilité d’un aménagement de peine ou d’une libération conditionnelle.
Les condamnations à la perpétuité dite « réelle » ou « incompressible » sont extrêmement rares. Il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité doublée d’une période de sûreté illimitée, empêchant tout aménagement de peine. C’est la sanction pénale la plus importante de notre droit. Elle est prévue depuis 1994.
« Le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle », prévoit l’article 132-23 du code pénal. Et ce sont les articles 221-3 et 221-4 du même code qui disposent que cette période de sûreté peut être incompressible.

Ismaël Halissat, Le Monde, 12/01/2016.



Quand la perpétuité réelle s’applique-t-elle ?

La décision revient à la Cour d’assise dans deux cas, lorsque la victime d’un assassinat (meurtre avec préméditation) est :
  1. un mineur de moins de 15 ans et que l’acte est accompagné « d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie »
  2. un dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice ou en raison de ses fonctions (policier, gendarme, surveillant pénitentiaire…).
En dehors de ces situations, la période de sûreté prononcée ne pourra pas dépasser vingt-deux ans.
Dans les faits, la prison à vie peut aussi toucher les condamnés à de longues peines, non concernés par une période de sûreté illimitée. L’opportunité d’une libération conditionnelle est laissée à l’appréciation du tribunal d’application des peines, qui peut donc décider de ne pas laisser sortir un condamné.
Le cas de Patrick Henry l’illustre. L’homme est l’un des détenus les plus connus de France pour avoir échappé de justesse à la peine de mort en 1977, pour le meurtre d’un enfant l’année précédente. A 62 ans, il est derrière les barreaux depuis près de quarante ans. Sa demande de grâce présidentielle a été rejetée en 2014 par François Hollande.
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Même en cas de condamnation à la perpétuité incompressible, le détenu conserve toutefois une maigre possibilité de sortir un jour. L’article 720-4 prévoit qu’après 30 ans derrière les barreaux, le juge de l’application des peines peut décider d’un aménagement de peine après avoir sollicité l’avis de trois experts médicaux chargés d’examiner « l’état de dangerosité du condamné ».

Le système français est-il compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme ?

La légalité du système français des peines de perpétuité incompressibles s’est posée récemment devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La juridiction de Strasbourg s’est penchée sur la situation de Pierre Bodein, premier condamné à cette peine en France, en 2007.
Elle a estimé, dans une décision du 13 novembre 2014, que « le droit français offre une possibilité de réexamen de la réclusion à perpétuité, qui est suffisante ». Pour la CEDH, la lueur d’espoir d’une éventuelle sortie de prison, prévue par l’article 720-4, est indispensable.
En 2013, la CEDH avait examiné la perpétuité incompressible au Royaume-Uni. La Cour avait donné raison aux condamnés britanniques, en estimant que ces peines étaient assimilables à un traitement « dégradant », car aucun espoir de sortie ne subsistait.
Pour Pierre Bodein, le réexamen de sa situation ne pourra intervenir qu’en 2034. Il serait alors âgé de 87 ans.

D’autres dispositifs permettent-ils un maintien en détention à vie ?

Oui. Un autre dispositif peut contribuer à maintenir quelqu’un à l’ombre jusqu’à la fin de ses jours, en dehors même d’une condamnation à perpétuité : la rétention de sûreté. Voulue par Nicolas Sarkozy et introduite dans notre système judiciaire en 2008, elle permet d’autoriser le placement d’un détenu dans un centre spécialisé après la fin de sa peine.
Cette mesure, encadrée par les articles 706-53-13 et suivants du code de procédure pénale, concerne les prisonniers dont l’expertise aura déterminé un risque très élevé de récidive.
La rétention de sûreté est vivement critiquée par les juristes pour son idéologie sécuritaire : un mécanisme fonctionnant sur des prédictions et non des faits.

Ismaël Halissat, Le Monde, 12/01/2016.

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