vendredi 6 mai 2016

Les réfugiés peinent à retrouver le chemin des études

A la rentrée 2015, face à la crise humanitaire et à l’afflux de réfugiés, les universités s’étaient déclarées prêtes à les accueillir pour reprendre leurs études. Quelques mois plus tard, ce sont surtout des initiatives dues à l’engagement local et très actif d’étudiants, d’enseignants, et de certaines directions d’université qui maintiennent la flamme allumée. Mais l’effort global n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Aujourd’hui, impossible de savoir combien de réfugiés exactement étudient sur les bancs de l’université.



Pour beaucoup, parlant peu ou mal le français, l’urgence est de rejoindre des cours de français langue étrangère (FLE). Sésame incontournable pour reprendre leur filière universitaire. Quelques universités pionnières ont montré l’exemple dès la rentrée 2015, sur leurs ressources propres : Strasbourg accueille ainsi 75 étudiants, pouvant compter sur l’aide d’associations, notamment « Alsace-Syrie ». C’est aussi le cas du centre de langues rattaché à l’université de Grenoble. A Paris-VIII-Saint-Denis, ils sont une centaine. En revanche, à Paris-V-Descartes, ils ne sont que onze à avoir été inscrits au premier semestre : « Mais nous n’avons refusé personne. Le problème est sans doute de les identifier et de les amener à l’université », suppose Frédéric Dardel, son président. En réalité, ce sont souvent des jeunes étudiants bénévoles qui s’y sont mis.
A Paris, dans les bidonvilles de La Chapelle et de Pajol, puis au lycée Jean-Quarré, dans le 19arrondissement, devenu un centre d’hébergement, nombre d’entre eux sont venus très tôt apporter des vivres ou des vêtements, et surtout donner des cours. Comme ce groupe d’étudiants de l’Ecole normale supérieur (ENS) Ulm : « Nous avons passé notre été 2015 à enseigner le français parfois assis par terre », explique Alison Bouffet, élève en première année. Parmi les migrants et les réfugiés, ils ont vite repéré des jeunes « d’un niveau excellent », explique Frédéric Salin, également en première année. Ce qui les a amenés à se soucier de l’avenir de leurs « élèves », compte tenu de la précarité de leurs conditions de vie ou de la complexité des procédures administratives, dans lesquelles ils les accompagnent. Alors ils se sont organisés à travers l’association MigrENS qui accompagne le projet « programme étudiants-invités », soutenu par les personnels – 120 bénévoles – et la direction de l’ENS. Le Soudanais Abdelhamid Mahmoud, la Syrienne Hasan Nenar, ou les Afghans Habibullah Hashemi et Rabi Asabi, qui apprenaient dans la rue, se perfectionnent aujourd’hui en français à l’ENS, participent à des activités culturelles, sportives…

« La société civile fait bouger les choses »

 

Avec une amie, Lola Courcoux, étudiante en master de sciences politiques à Paris-X-Nanterre, a commencé à recenser des étudiants sans inscription, pour pouvoir les orienter vers des formations, aller sonner à la porte des universités… Elles comptent 170 candidats sur leur liste « mais il y a des gens qui passent par l’ENS, par l’EHESS, par le collectif de cours de français à Nanterre donc nous avons été en contact avec beaucoup plus de personnes ! », explique Lola Courcoux. Des jeunes rencontrent d’autres jeunes qui veulent apprendre le français, voir leurs diplômes reconnus, étudier et ne plus être enfermés dans leur seul état de migrant : « Nous ne sommes pas dans l’émotion mais dans un rapport d’égalité avec les gens. Un étudiant soudanais et un étudiant australien doivent avoir la même information et le même respect de leurs droits. Il y a de très bonnes universités en Afrique, à Khartoum, de même que certaines universités syriennes sont excellentes », ajoute la jeune fille.
Mi-avril, toutes ces bonnes volontés se sont unies dans le collectif Resome (Réseau études supérieures et orientation des migrant.e.s et exilé.e.s), qui plaide pour l’ouverture de programmes de reprises d’études et d’associations d’enseignement du français dans l’enseignement supérieur. L’association Voyage au bout de la 11 en fait partie. A son origine, le même parcours fait par Maiwelle Mezi, étudiante en L3 de relations internationales à Paris-II-Assas venue, elle aussi, apporter de l’aide aux réfugiés du lycée Jean-Quarré. « J’y suis allée régulièrement puis j’ai improvisé des cours de français. J’en ai parlé avec des amis, et au bout d’un certain temps, c’est devenu plus officiel et plus structuré. » L’association compte 150 étudiants bénévoles « venus de tous les horizons », qui dispensent des cours de français chaque dimanche. Actuellement une centaine d’étudiants se retrouvent dans des locaux de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul dans le 14arrondissement.
« Beaucoup d’initiatives étudiantes sont motrices et c’est la société civile qui fait bouger les choses », constate Etienne Bergès, étudiant à Sciences Po. Avec Alyette Tritsch, Louisa Mammeri ou encore Hai Ha Vu Thi, il fait partie du groupe d’élèves français et étrangers engagés pour que leur école accueille une vingtaine d’étudiants réfugiés et migrants depuis le second semestre. Ils ont aussi créé la branche française de l’ONG allemande Kiron permettant à leurs « auditeurs libres » de reprendre immédiatement des cours en ligne. D’abord accueilli par ses confrères du barreau de Paris, où il a cherché refuge à l’automne 2015, Zaid Al-Azem, ancien avocat à Damas, a d’abord choisi de se « perfectionner en français » à Sciences Po. « Mais, ajoute-t-il dans un grand sourire, j’ai déjà appris à faire des crêpes, j’ai lu Paul Eluard, Molière, Baudelaire, je connais la Révolution française, Robespierre et Danton… »

Casse-tête administratif

 

Ces initiatives restent fragiles, face au manque de moyens, à la longueur et aux casse-tête des procédures administratives, ou à la déstabilisation de certains étudiants déplacés subitement de centre d’hébergement… A Paris, la Cité universitaire a été obligée de mobiliser des mécènes privés pour héberger 18 étudiants réfugiés ; et le Crous de Paris a accueilli au premier semestre dans ses résidences universitaires 14 étudiants, pris en charge directement à Munich dans le cadre des accords européens.
« La France ne donne pas de logement aux réfugiés, sauf ceux qui sont pris en charge avant leur départ », constate avec dépit le jeune Syrien Jaafar Karkor, étudiant en mathématiques à Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Lui a pu bénéficier du « cas particulier » de son université, qui accueille 111 étudiants grâce à un soutien financier du Qatar – 300 000 euros par an sur trois ans – obtenu par l’entremise de son procureur général Ali Ben Fetais Al-Marri, docteur en droit de cette université. Ce qui permet d’aller au-delà de la seule scolarité gratuite et d’aider aux procédures administratives, de donner des bourses et des aides au logement.
Thierry Mandon a pu mesurer l’ampleur de ces problèmes lors d’une visite à l’ENS, mi-février. Une demi-journée de travail est d’ailleurs prévue sur ce sujet mardi 10 mai au secrétariat d’Etat à l’enseignement supérieur. A l’ENS, M. Mandon avait pu entendre l’étudiant soudanais Abdelhamid Mahmoud, diplômé de gestion, disserter sur la théorie du contrat social de Jean-Jacques Rousseau, dire son amour de l’œuvre de Victor Hugo et remercier la France « pays de liberté ». Difficile d’y rester insensible. 

Le Monde, 03/05/2016, Adrien de Tricornot.

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