lundi 29 mai 2017

L’investissement social peut-il redessiner un projet de société ?

Pour Julien Damon, l’investissement social permet d’affirmer que la dépense sociale a un rendement. Nathalie Morel estime que la protection sociale y acquiert une dimension plus préventive. Les deux chercheurs y voient la possibilité de choix stratégiques politiques.


Quel intérêt présente une stratégie d’investissement social ?

Julien Damon : L’idée d’investissement social consiste à dire qu’à toute charge est rattaché un produit ! À un ensemble de cotisations est attaché un ensemble de prestations. C’est un raisonnement comptable basique qu’il est judicieux de rappeler pour aller à l’encontre de fausses représentations sur la protection sociale et ses coûts.
En effet, quand on entend parler à longueur de temps de la lourdeur des charges et quand on entend rituellement répéter « ce ne sont pas des charges, ce sont des cotisations », l’idée d’investissement social permet de remettre les pendules à l’heure.
Plus stratégiquement, élaborer et soutenir une stratégie d’investissement social c’est non seulement rappeler, en termes bassement comptables, qu’à toute charge est rattaché un produit, mais c’est surtout raisonner en termes économiques. Il y a un rendement de la dépense sociale.
Dépenser aujourd’hui c’est limiter des coûts demain. Au fond, raisonner et agir en termes d’investissement social, c’est souligner que la dépense sociale a une rentabilité.

DRJulien Damon, est professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale (En3s). Il est le créateur de la société de conseil et d’étude Éclairs.

Nathalie Morel : Les transformations économiques, démographiques et sociologiques (transformation des formes familiales, participation accrue des femmes au marché du travail) de ces dernières décennies se sont traduites par l’émergence de nouveaux risques sociaux peu ou mal pris en charge par les systèmes de protection sociale mis en place dans la période d’après-guerre.
La stratégie d’investissement vise à répondre à ces nouveaux risques en modifiant leur logique d’action : à la fonction traditionnellement compensatrice doit s’ajouter une dimension plus préventive. Il ne s’agit pas d’intervenir seulement en aval, lorsque le risque est avéré, mais plutôt de prévenir en investissant dans le capital humain tout au long du cycle de vie et en offrant un accompagnement continu pour faciliter et sécuriser les transitions, tant dans les parcours biographiques que professionnels.
Dans un contexte de polarisation croissante des sociétés, en termes d’inégalités de revenus mais aussi en termes d’investissement dans le capital humain des enfants, cette stratégie permet en outre de réduire la transmission intergénérationnelle de ces inégalités, en donnant les mêmes chances à tous les enfants dès le plus jeune âge. Il s’agit ainsi de soutenir et « d’équiper » les individus, en investissant de façon précoce et continue dans l’éducation dès le plus jeune âge, dans la formation tout au long de la vie et dans la santé, de façon à renforcer les capacités de chacun dans une économie en constante mutation.

DRNathalie Morel, est politiste, docteure en sociologie de l’université Paris I. Elle codirige l’axe « Politiques sociofiscales » au LIEPP et est membre élue du bureau du Réseau de l’Association française de sociologie : protection sociale, politiques sociales et solidarités (RT6).

Quelles sont ses limites ?

JD : Les stratégies et communications autour de l’investissement social présentent deux limites. La première relève de la méthode. Il faut savoir comment mesurer le rendement des dépenses sociales. Les banquiers et les services financiers savent calculer le ROI (return on investment).
Les experts et opérateurs des politiques sociales sont appelés à s’accorder afin de calculer, de façon robuste et de manière aussi simple que possible, le SROI (social return on investment). À cet effet, il faut de la méthodologie à la fois rigoureuse, pour être sérieuse et opposable, et lisible, pour ne pas verser dans l’économétrie incompréhensible. En un mot, il faut des outils.
La deuxième limite procède des choix à faire. Tout, dans les dépenses sociales, n’est pas investissement… Comme la rhétorique est à la mode, tout le monde se prévaut de l’expression. La difficulté est de bien centrer et choisir les dépenses qui s’inscrivent vraiment dans cette logique, les dépenses en faveur des enfants, celles en faveur de la prévention et de la formation.
À défaut, le terme « investissement social » sera donné à toute activité de manière à la consolider et la légitimer en lui donnant un lustre ripoliné.
NM : L’accent qui est mis sur le potentiel productif des politiques d’investissement social peut s’avérer à double tranchant : si cela représente un argument persuasif en faveur de l’intervention sociale, les gouvernements, soucieux de faire des économies, peuvent s’en servir pour couper dans les dépenses sociales « non productives » ou « passives » (indemnisation chômage, retraites…) au profit des dépenses « actives », quand bien même il existe une complémentarité institutionnelle importante entre les deux.
L’enjeu réside notamment dans l’identification des complémentarités institutionnelles tout au long du cycle de vie permettant un redéploiement efficace des politiques sociales.

Comment financer des politiques d’investissement social ?

JD : La question de la capacité à financer spécifiquement des politiques d’investissement social est secondaire derrière ce qui est essentiel : faire des choix sur des priorités et donc sur des instruments. De fait, faire de l’investissement social une véritable stratégie c’est faire des efforts après avoir fait des choix.

(...)

Article intégral à retrouver en ligne dans le dossier Protection sociale : l’action sociale réduite à un marché ? de la revue Gazette Santé Social : http://www.gazette-sante-social.fr

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