Beaucoup
de bruit pour rien ? Depuis son élection, Emmanuel Macron en a fait son
cheval de bataille, et un test de sa capacité à orienter l’action de
l’Union européenne vers la lutte contre le dumping social. Alors que
hier en début de soirée, d’âpres discussions entre les ministres de
l’Emploi des 28 États membres se poursuivaient à Luxembourg autour de la
révision de la directive sur le travail détaché, il était à peu près
sûr que le pari du président de la République était perdu. Non seulement
car plusieurs pays continuaient de s’opposer au texte sur les points
mis en avant par la France, mais surtout parce qu’il aura fait tourner
les débats sur des détails sans jamais attaquer à la racine du mal…
La France a décidé de porter le fer sur la durée des détachements
Derrière la mise en scène, la proposition de la
Commission, émise il y a bientôt deux ans et approuvée dans son ensemble
par Emmanuel Macron, avec juste quelques retouches, change un principe
fondamental du détachement : au nom de l’égalité – « un même salaire
pour un même emploi » –, la rémunération du travailleur détaché ne sera
plus fixée sur le salaire minimum, mais sur les conditions de ses
collègues sur le même poste dans le pays d’accueil. Les primes, comme le
13e mois, par exemple, devront lui être versées. Les travailleurs
bénéficient de plein droit des accords collectifs en vigueur sur leur
lieu de travail. Les patrons ne pourront plus prélever sur les salaires
le coût du voyage et de l’hébergement. « On passe du salaire minimum à
une rémunération égale, se félicite José Vieira da Silva, le ministre
portugais du Travail. Le détachement ne sera plus jamais utilisé comme
un moyen de concurrence déloyale ou d’exploitation des travailleurs. »
Pourtant, dans le fond, la révision de la directive, toujours en
discussion à l’heure où ces lignes étaient écrites, ne change pas le
point cardinal du détachement : les cotisations sociales demeurent,
elles, calculées sur la base des taux en vigueur dans le pays d’origine.
Ce qui laisse demeurer au cœur du mécanisme tous les risques de dumping
social dans l’Union européenne avec des écarts de cotisations et de
couvertures sociales très importants d’un État à l’autre.
La France a, elle, décidé de porter le fer sur la durée
des détachements. Dans la proposition de la Commission, ils sont limités
à 24 mois, mais Macron a choisi de démontrer son ambition sur cet
aspect, réclamant une limitation à 12 mois et entraînant dans son
sillage l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas. Mais comme le lui
disent depuis des mois les syndicats, CES en tête, cette fixation est
tout à fait déplacée, alors qu’elle risque de servir de prétexte pour
faire capoter tout accord – la proposition d’une limitation à 20 mois
faite par la présidence estonienne du Conseil européen a été rejetée par
tout le monde : variant d’un pays à l’autre (de moins d’un mois à
200 jours), la durée moyenne de travail détaché ne dépasse pas, dans les
faits, les 98 jours, selon une étude réalisée en décembre 2016 pour le
compte de la Commission européenne.
Dans ce contexte, la France, représentée hier par Muriel
Pénicaud, peine à convaincre sur des éléments autrement plus
déterminants comme l’application de la directive dans le secteur des
transports routiers, un segment crucial de la concurrence sauvage dans
l’UE, et de nombreux États, comme l’Espagne en particulier, mais aussi
les pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et
Slovaquie), entendent sortir les routiers du champ de la révision de la
directive. Une solution « de compromis » se dessine : dans l’attente de
l’examen d’une autre directive spécifique sur le sujet, il s’agirait de
laisser les routiers sous le régime actuel. Encore une grande réussite
en perspective pour Emmanuel Macron.
L'Humanité, 24/10/2017.
Info + : directive européenne sur le travail détaché