Le film de Robin Campillo a obtenu six récompenses vendredi soir: montage, espoir, musique, scénario original, second rôle et meilleur film. «Au revoir là-haut» d'Albert Dupontel, cinq, dont celle du meilleur réalisateur. L'outsider «Petit Paysan» s'en tire avec les honneurs et trois césars. L'essentiel de cette longue soirée.
On nous avait promis le grand déballage, le lessivage intégral, l’opération mani pulite du
cinéma français. On pouvait se raconter que la cérémonie des césars
2018 - qui s’est tenue vendredi soir salle Pleyel devant un public de
professionnels rodé à rire poliment devant tout et n’importe quoi -
serait placée, pour le meilleur et les pires blagounettes, sous le signe
de l’ère post-Weinstein, dont là France n’a pris pour l’heure que sa
part d’écume. Or, malgré les effets d’annonce et le sentiment que
quelque chose de l’époque se joue là, avec le cinéma pour témoin de
premières loges et principal catalyseur, il semble que tout le monde ou
presque dans la salle était prêt à se contenter d’un cours express de
consentement mutuel administré par le poussif Manu Payet et d’une
standing ovation très pénétrée mais pliée en quarante-cinq secondes,
dont on a eu quelques difficultés à cerner l’impact exact sur
l’évolution des moeurs. Ce passage néanmoins obligé, annoncé par le
maître de cérémonie comme le «moment balance ton porc» (on a
entendu quelques frémissements dans l’assistance), minuté et encadré,
aura neutralisé tout phénomène de féminisme intempestif, loquace et mal
placé, comme naguère on invitait les intermittents à monter faire
entendre leur voix sur scène pour les dissuader d’envahir la salle -
l’an prochain, on peut donc compter sur une séquence similaire dévolue à
la cause des cheminots. Seule Blanche Gardin, qui remettait le césar du
meilleur espoir féminin, aura apporté une touche un peu grinçante à cet
édifice d’ensevelissement sous des nappes de consensuel contrôlé,
arborant à la fois le ruban blanc de l’opération #MaintenantOnAgit
initiée par la Fondation des femmes et un badge à l’effigie du comique
américain Louis C.K., à la carrière torpillée il y a quelques mois suite
aux accusations de masturbation spontanée devant plusieurs femmes qui
ne lui avaient rien demandé.
En sacrant cette vibrante fresque des années sida à la fois meilleur film, meilleur scénario original, meilleur montage, meilleure musique (Arnaud Rebotini), meilleur espoir masculin (Nahuel Pérez Biscayart) et meilleur acteur dans un second rôle (Antoine Reinartz), les votants n’auront pas seulement prolongé la belle carrière du film-phénomène initiée par l’inflammation cannoise (et le grand prix glané sur la Croisette), mais aussi offert une tribune à Campillo et ses comparses, que ceux-ci ne se seront pas privés d’investir de toute la gravité, la dignité et la prise sur le monde réel qui semblait faire défaut par ailleurs. Les larmes du colosse Arnaud Rebotini invoquant «la voix de ceux qui sont morts, ceux qui ont perdu des proches [alors qu']Act Up existe toujours et [que] le sida n’est pas qu’un film», la reprise réitérée du slogan «Silence = mort», l’évocation des travailleurs du sexe, des toxicomanes et surtout de la cause des migrants (Campillo a fait entendre combien la prochaine loi Colomb constituait une aggravation de la situation déjà terrible de ces derniers en France)... Les montées sur scène successives de l’équipe du film (834000 entrées à ce jour) auront tenu la seule note juste de la cérémonie, avec l’envolée de Jeanne Balibar, enfin couronnée en meilleure actrice après quatre nominations infructueuses, pour son hommage fusionnel à la chanteuse Barbara dans le film de Mathieu Amalric.
Celle-ci eut comme quelques autres des primés de la soirée à se débattre avec un jingle symphonique importé sauvagement de la cérémonie des oscars pour faire taire les impétrants trop bavards à coups de violons sirupeux - dispositif qui se fait cruellement absent tandis que s'étirent les insipides introductions des remettants. Autre innovation pour le moins discutable de cette édition, le «césar du public», remis au film ayant réalisé le plus d’entrées en France au cours de l’année écoulée (en l’occurrence le confondant Raid dingue de Dany Boon), soit le seul prix décerné qui ne repose sur aucune forme de suffrage. Comme si pareil film et son réalisateur-acteur-producteur avaient besoin qu’on lui administre pareils gratifications dorées en plus de tout le reste au titre que ses oeuvres bénéficient d’opérations de distribution et de marketing parmi les plus problématiquement enviables en termes de concentration des moyens et d’écrasement de tout ce qui l’entoure.
Le challenger Petit Paysan, premier long métrage d’Hubert Charuel (et succès surprise à plus de 500 000 entrées) s’en tire avec les honneurs : meilleur acteur pour le phasme blême Swann Arlaud, meilleure actrice dans un second rôle pour Sara Giraudeau et trophée du meilleur premier film (au détriment de concurrents tels que Grave ou Jeune femme, caméra d’or du dernier festival de Cannes).
Les deux grands perdants du soir sont le Sens de la fête du duo Nakache-Toledano (dix nominations, un amas de stars invraisemblable et une cote de sympathie certaine, mais pas un prix) et une certaine idée du bien-être le vendredi soir, saccagée en règle dès le numéro d’entame musicale des festivités.
Toi Jean, toi Jeanne...
Abondamment irrigué en traits de génie par les auteurs géniaux élevés au bon grain par Vincent Bolloré, Manu Payet a aussi pris l'initiative de siffler l’heure du «moment gênant» comme archétype structurant des césars depuis leur création - mais ça ne va pas en s’arrangeant. Un grand moment de mise en abyme ratée, puisque cette année, c’est l’intégralité de la cérémonie qui constituait une vaste cathédrale de gêne hérissée de tous les poncifs de circonstance («Vous faîtes le plus beau métier du monde», etc.), ponctuellement traversée par les séquences émotions consacrées aux grands disparus de l’année (toi Jean, toi Jeanne, toi Danielle, toi Johnny, toi Gigi...) et quelques trop rares éclairs de lucidité sur le sens de ce cirque, que l’on doit pour l’essentiel à l’équipe du film 120 battements par minute, de Robin Campillo. Le grand vainqueur de la soirée, sur tous les tableaux, à défaut d’avoir coché toutes les catégories pour lesquelles il était nommé.En sacrant cette vibrante fresque des années sida à la fois meilleur film, meilleur scénario original, meilleur montage, meilleure musique (Arnaud Rebotini), meilleur espoir masculin (Nahuel Pérez Biscayart) et meilleur acteur dans un second rôle (Antoine Reinartz), les votants n’auront pas seulement prolongé la belle carrière du film-phénomène initiée par l’inflammation cannoise (et le grand prix glané sur la Croisette), mais aussi offert une tribune à Campillo et ses comparses, que ceux-ci ne se seront pas privés d’investir de toute la gravité, la dignité et la prise sur le monde réel qui semblait faire défaut par ailleurs. Les larmes du colosse Arnaud Rebotini invoquant «la voix de ceux qui sont morts, ceux qui ont perdu des proches [alors qu']Act Up existe toujours et [que] le sida n’est pas qu’un film», la reprise réitérée du slogan «Silence = mort», l’évocation des travailleurs du sexe, des toxicomanes et surtout de la cause des migrants (Campillo a fait entendre combien la prochaine loi Colomb constituait une aggravation de la situation déjà terrible de ces derniers en France)... Les montées sur scène successives de l’équipe du film (834000 entrées à ce jour) auront tenu la seule note juste de la cérémonie, avec l’envolée de Jeanne Balibar, enfin couronnée en meilleure actrice après quatre nominations infructueuses, pour son hommage fusionnel à la chanteuse Barbara dans le film de Mathieu Amalric.
Celle-ci eut comme quelques autres des primés de la soirée à se débattre avec un jingle symphonique importé sauvagement de la cérémonie des oscars pour faire taire les impétrants trop bavards à coups de violons sirupeux - dispositif qui se fait cruellement absent tandis que s'étirent les insipides introductions des remettants. Autre innovation pour le moins discutable de cette édition, le «césar du public», remis au film ayant réalisé le plus d’entrées en France au cours de l’année écoulée (en l’occurrence le confondant Raid dingue de Dany Boon), soit le seul prix décerné qui ne repose sur aucune forme de suffrage. Comme si pareil film et son réalisateur-acteur-producteur avaient besoin qu’on lui administre pareils gratifications dorées en plus de tout le reste au titre que ses oeuvres bénéficient d’opérations de distribution et de marketing parmi les plus problématiquement enviables en termes de concentration des moyens et d’écrasement de tout ce qui l’entoure.
Au revoir «le Sens de la fête»
Nahuel Pérez Biscayart, l’acteur starisé par 120 BPM fait le lien avec l’autre principal champion de la soirée: Au revoir là-haut d’Albert Dupontel (absent car «il est mal à l'aise avec le principe de compétition»), pataquès à la Tardi/Jeunet/Gilliam en marmelade pour Ehpad et halte-garderies, où tout est morceau de bravoure et rien ne consiste jamais. C’est pourtant ce film-là, certes de loin le plus ambitieux de son auteur très obstiné, qui aura décroché le prix de la meilleure réalisation à la barbe de Campillo, outre son césar de la meilleure adaptation, et ses différentes distinctions dans des catégories relevant toutes plus ou moins de la direction artistique (meilleurs photo, costumes et décors), symptôme de là où se joue, sur un mode outré, l’écriture de Dupontel.Le challenger Petit Paysan, premier long métrage d’Hubert Charuel (et succès surprise à plus de 500 000 entrées) s’en tire avec les honneurs : meilleur acteur pour le phasme blême Swann Arlaud, meilleure actrice dans un second rôle pour Sara Giraudeau et trophée du meilleur premier film (au détriment de concurrents tels que Grave ou Jeune femme, caméra d’or du dernier festival de Cannes).
Les deux grands perdants du soir sont le Sens de la fête du duo Nakache-Toledano (dix nominations, un amas de stars invraisemblable et une cote de sympathie certaine, mais pas un prix) et une certaine idée du bien-être le vendredi soir, saccagée en règle dès le numéro d’entame musicale des festivités.
LE PALMARÈS
Meilleur film
Robin Campillo, 120 Battements par minuteMeilleure actrice
Jeanne Balibar, BarbaraMeilleur acteur
Swann Arlaud, Petit PaysanMeilleur acteur dans un second rôle
Antoine Reinartz, 120 battements par minuteMeilleure actrice dans un second rôle
Sara Giraudeau, Petit paysanMeilleur réalisateur
Albert Dupontel, Au revoir là-hautMeilleure espoir féminin
Camelia Jordana, le BrioMeilleur espoir masculin
Nahuel Perez Biscayart, 120 Battements par minuteMeilleur premier film
Petit paysan, Hubert CharuelMeilleur documentaire
I Am Not Your Negro, réalisé par Raoul PeckMeilleure photographie
Vincent Mathias, pour Au revoir là-hautMeilleur film étranger
Faute d’amour, réalisé par Andreï ZviaguintsevMeilleure adaptation
Albert Dupontel, Pierre Lemaitre, pour Au revoir là-hautMeilleur court-métrage
Les Bigorneaux, réalisé par Alice VialMeilleur court-métrage d’animation
Pépé le Morse, réalisé par Lucrèce AndreaeMeilleur film d’animation
Le Grand méchant Renard et autres contes, réalisé par Benjamin Renner et Patrick ImbertMeilleur son
Olivier Mauvezin, Nicolas Moreau, Stéphane Thiébault, BarbaraMeilleure musique originale
Arnaud Rebotini, pour 120 battements par minuteMeilleur scénario original
Robin Campillo, pour 120 Battements par minuteMeilleurs costumes
Mimi Lempicka, pour Au-revoir là-hautMeilleurs décors
Pierre Quefféléan, pour Au revoir là-hautMeilleur montage
Romain Campillo, pour 120 Battements par minute
Libération, 03/03/2018
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